Des litres d’hémoglobine

LA PASSION DU CHRIST,de Mel Gibson (sorti à Paris le 31 mars)

Publié le 5 avril 2004 Lecture : 3 minutes.

Difficile d’évoquer avec sérénité, après l’avoir enfin vu, La Passion du Christ. Comment parler sans idées préconçues d’un film qui a provoqué tant de polémiques et tant de commentaires ? Alors, autant commencer par énoncer lesdites idées, ou du moins les principales, qui nous accompagnaient quand nous sommes entré dans la salle de projection. Et qui ne surprendront pas les lecteurs de Jeune Afrique/l’intelligent puisque nous avons traité de l’affaire Mel Gibson au moment de la sortie du film aux États-Unis, il y a quelques semaines (voir J.A.I. n° 2252).
On s’attendait donc à voir un film très violent, jouant plus sur l’émotion que sur la raison. On supposait aussi que les accusations d’antisémitisme proférées aux États-Unis étaient peut-être exagérées, mais pouvaient se comprendre. Mel Gibson, catholique intégriste et fils de catholique encore plus intégriste, ne professe-t-il pas une lecture des Évangiles qui, refusant les enseignements de Vatican II, maintient que l’on peut accuser les Juifs d’être « le peuple déicide », responsable, plus que les Romains, de la mort de Jésus ? Enfin, après avoir considéré avec quelle énergie et quelle passion les milieux chrétiens fondamentalistes américains catholiques et protestants confondus avaient soutenu l’uvre et son réalisateur, on imaginait que le spectateur était invité à (re)trouver la foi.
Question violence, la réputation du film n’est pas usurpée. Bien au contraire. Au point qu’il est difficile de décrire ces scènes de torture, sanglantes, qui occupent une bonne moitié du film. Un seul mot vient à l’esprit : boucherie. Trois scènes ultraviolentes montrent la flagellation, le chemin de croix et la crucifixion de Jésus, pendant plus de dix minutes, avec un souci du détail quasi sadique que ne renierait pas le plus radical des films d’horreur. Insoutenable. D’autant que, même si un cinéphile peut repérer les trucages derrière les plans couleur hémoglobine rythmés par les coups de fouet et les arrachements de chair, la volonté de l’auteur de jouer dans un registre réaliste interdit toute distanciation.
L’antisémitisme ? Il n’est, de fait, guère apparent à l’écran. Même si la physionomie des prêtres du Temple qui réclament la mise à mort de l’« hérétique » évoque à l’occasion cette caricature du Juif représenté autrefois dans les publications antisémites (nez crochu, etc.). Et même si, pour l’érudit, il est possible de contester des « détails » (le menuisier qui fabrique la croix, par exemple, est juif, alors que les Romains avaient le « monopole » de cette pratique) ou de repérer que l’ensemble du récit s’appuie sur l’évangile réputé le plus antijudaïque (Mathieu). L’essentiel des souffrances infligées à Jésus, non sans jouissance de la part de ses bourreaux, sont le fait des Romains et non des Juifs. Le film est peut-être utilisable par des antisémites, mais il ne soutient pas une telle cause.
Mel Gibson, enfin, quand on l’interroge sur les raisons pour lesquelles il a voulu tourner ce film, dit qu’il « a pu renaître à la vie » il y a quelques années grâce à « une attention particulière portée à la passion, cur de la foi chrétienne », qui enseigne que « tous les hommes peuvent être sauvés ». À cet égard, on reste pour le moins perplexe après avoir vu La Passion du Christ. On a vraiment du mal à concevoir comment un tel film, dépourvu de dimension spirituelle, qui ne suscite guère d’émotions, peut de quelque façon que ce soit servir « la foi chrétienne ». Si l’on ne craignait de blasphémer, peut-être dirait-on même que, telle qu’elle est présentée dans ce film paroxystique, la figure de Jésus évoque autant celle d’un psychotique comme le soutient Hérode, qui parle d’un « fou » quand il est consulté par les prêtres que celle d’un mystique ou, surtout, d’un prophète.
Reste qu’il ne s’agit que d’un film. Là, pour le critique, pas d’hésitation. La Passion du Christ est un film sans grâce et grossier, concourant dans la catégorie péplum. Sa mise en scène ferait passer Rocky ou Rambo pour des exercices de poésie. Elle est entièrement fondée sur des « trucs » ralentis nombreux et interminables, contre-plongées spectaculaires et sur un souci de la scène choc qui oblige les acteurs à surjouer les répliques et les sentiments. On ne peut évidemment jouer à la fois la carte du réalisme et celle de l’art, avec sa dimension symbolique, sa recherche esthétique, ses différents niveaux de lecture. L’objet, cependant, est singulier. Une curiosité pour les amateurs de
cinéma extrême.

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