Bois d’ébène

Publié le 5 avril 2004 Lecture : 2 minutes.

L’affaire n’a pas fait la une des gazettes, mais elle est d’importance. Après la Shoah et l’apartheid, c’est le sale dossier de la traite négrière qui se retrouve aujourd’hui sur le bureau de deux juges new-yorkais. Grâce à une plainte pour génocide déposée, le 29 mars, contre l’assureur britannique Lloyds, la banque américaine Fleet Boston et la manufacture de tabac de Winston-Salem (Caroline du Nord) R.J. Reynolds, par dix descendants d’esclaves dont l’arbre généalogique permet de remonter à cette triste époque.

Les plaignants, des Africains-Américains dont les aïeux étaient du Nigeria, du Ghana et de la Sierra Leone actuels, ont fourni des échantillons d’ADN prouvant que certains des esclaves embarqués de force sur les côtes africaines aux XVIIIe et XIXe siècles étaient bel et bien leurs ancêtres. Ils réclament des réparations et sont défendus par Edward Fagan, célèbre pour avoir obtenu en 1998, au nom des victimes de l’Holocauste, le versement par les banques suisses de 1,25 milliard de dollars au Congrès juif mondial. Selon cet avocat blanc, qui représente également les intérêts de Sud-Africains noirs accusant plusieurs entreprises occidentales d’avoir fait leur beurre dans leur pays sous le régime de l’apartheid, la Llyods assurait les navires chargés de « bois d’ébène », Fleet Boston finançait les opérations « commerciales », et R.J. Reynolds achetait la « main-d’oeuvre » à bon marché pour ses champs de tabac.

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Ce n’est pas la première fois que la traite esclavagiste fait l’objet d’une action en justice, mais c’est la première fois qu’une plainte est déposée par des descendants des victimes dont l’arbre généalogique permet de remonter jusqu’au « commerce » triangulaire. « Grâce à l’ADN, chacun de mes clients peut dire avec précision de quel pays africain il est originaire, explique Edward Fagan. Et nous pouvons dire sans risque de nous tromper quel bateau a été assuré par la Lloyds, quel navire a été financé par Fleet Boston, et quel individu a fini chez R.J. Reynolds. » Pour lui, le fait que ces dramatiques événements aient eu lieu il y a plusieurs siècles ne change rien à l’affaire. Tout en faisant remarquer qu’il « s’agit moins de créer une culture de la compensation que de faire comprendre aux personnes qui violent la loi qu’un jour ils se retrouveront fatalement devant un tribunal », son confrère britannique Fraser Whitehead reste circonspect sur les chances de succès de la poursuite : « Il sera difficile de démontrer que la Lloyds a soutenu la déportation d’esclaves. C’est un peu comme dire que le fabricant d’armes est responsable des crimes commis avec elles. » La décision finale appartient aux juges du tribunal fédéral de Manhattan, Lewis Kaplan et Gabriel Gorenstein, qui doivent se prononcer sur la recevabilité de la plainte.

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