Barnier, Darcos et la « case à fétiches »

Un eurocrate pragmatique, un fort en thème au verbe haut. Les nouveaux patrons de la diplomatie et de la coopération françaises n’ont qu’une expérience limitée du continent africain.

Publié le 6 avril 2004 Lecture : 3 minutes.

La politique étrangère – singulièrement africaine – de la France a changé, mercredi 31 mars, de visage, et peut-être de passion. Dominique de Villepin parti pour la place Beauvau, où le suivront sans doute son goût prononcé pour les affaires de renseignement, ses masques baoulés et ses envolées lyriques, voici venu le Savoyard Michel Barnier. À 53 ans, le nouveau titulaire du Quai d’Orsay n’a que peu de choses à voir avec le tropisme continental qui animait son prédécesseur. Ce diplômé de l’École de commerce de Paris est un pragmatique, européen beaucoup plus qu’universaliste au sens où Villepin l’entendait, dont les affinités hors du Vieux Continent sont rares et ténues. Homme de cabinets ministériels, ancien député, ex-ministre (Environnement, Affaires européennes), Michel Barnier occupait à Bruxelles le poste de Commissaire chargé de la politique régionale et de la réforme des institutions. Une fonction qui, en dehors des traditionnelles réunions ACP-UE, ne l’a guère amené à fréquenter les dossiers africains. Ce haut fonctionnaire brillant et travailleur, très apprécié d’un expert comme Jacques Delors, est, certes, un homme de consensus. On ne le verra donc pas endosser le heaume et l’armure du chevalier pour d’improbables joutes avec l’Amérique, un changement de style et – regretteront certains – un déficit de panache qui seront surtout perceptibles au « Grand Moyen-Orient ». Mais son absence de liens particuliers avec l’Afrique subsaharienne et le Maghreb, jointe au moule du parfait eurocrate dans lequel il s’est aisément coulé, laissent présager des relations parfois délicates avec les gouvernements en panne de bonne gouvernance. Villepin, quoi qu’on en dise, avait une sensibilité, une écoute et des bribes de réseaux africains. Avec Barnier, que les chefs d’État connaissent à peine, il faudra revoir de fond en comble la « case à fétiches » et plus que jamais compter sur un Jacques Chirac vieillissant pour faire passer les messages.
Rue Monsieur, au ministère délégué à la Coopération et à la Francophonie, exit donc Pierre-André Wiltzer. « Puni » pour cause d’appartenance à l’UDF, le très discret fidèle de Raymond Barre s’en est allé le coeur serré, tant il avait appris à aimer ce poste. Lui succède un docteur ès lettres et latiniste distingué de 56 ans, Xavier Darcos, à qui le fait d’avoir présidé il y a quelques années le Groupe d’amitié France-Mauritanie au Sénat tient lieu de « crédit » africain. Pour le reste, ce fervent admirateur d’Alain Juppé, qui échange parfois des poèmes rares avec Dominique de Villepin par télécopie, est un spécialiste de l’éducation. Ministre délégué à l’enseignement scolaire dans le précédent gouvernement Raffarin, très engagé dans la loi contre le port du voile à l’école – il s’est également prononcé contre les strings ostentatoires pour les jeunes lycéennes et pour un éventuel retour à l’uniforme -, Xavier Darcos est l’un des grands battus du récent scrutin régional. Tête de liste de l’UMP en Aquitaine, ce passionné d’Ovide et de Prosper Mérimée – auquel il a consacré une biographie remarquée – n’avait pourtant pas ménagé ses effets de manche. François Bayrou, dont il fut le directeur de cabinet il y a dix ans, a été qualifié par lui de « Rastignac béarnais ». Son adversaire socialiste, d’adepte de la « politique du caca d’oie ». Et le numéro deux de la liste UDF, transfuge du camp Juppé, de « femme adultère ». Comme quoi on peut être inspecteur général de l’Éducation nationale et savoir parler cru. Très politique, proche de Jacques Chirac, celui qui succéda à Yves Guéna à la mairie de Périgueux devrait redonner un peu de nerf et de visibilité à une maison passablement endormie. Reste, pour ce fort en thème qu’est Darcos, à s’initier aux hommes et aux arcanes.
Pour ce faire, Michel Barnier et Xavier Darcos pourront toujours compter sur le conseiller Afrique de Jacques Chirac, Michel de Bonnecorse, et surtout sur Nathalie Delapalme, qui demeure, comme elle le dit, « fidèle au poste ». Cette Grenobloise de 47 ans, mère de trois enfants, qui a travaillé avec Michel Charasse et Jacques Godfrain dans des secteurs très économiques (budget et finances publiques), est peu à peu devenue l’une des meilleures têtes politiques de la Françafrique. Elle conserve, auprès de Michel Barnier, le poste qui était le sien auprès de Dominique de Villepin, ainsi que celui de chargée de mission à la « Coopé ». Vendredi 2 avril à 10 heures précises, Nathalie Delapalme rencontrait d’ailleurs à ce titre le Premier ministre ivoirien Seydou Diarra, venu à Paris pour tenter de renouer les fils rompus de l’accord de Marcoussis : la continuité est assurée…

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