Au commencement était l’Afrique…

L’écrivain français Jean-Marie Le Clézio raconte l’expérience de son père au Nigeria. Et retrouve les origines de sa propre oeuvre.

Publié le 5 avril 2004 Lecture : 3 minutes.

Jean-Marie Gustave Le Clézio est un écrivain pudique. Son nouveau livre, L’Africain, qui inaugure au Mercure de France la collection « Traits et Portraits » dirigée par Colette Fellous, nous entraîne sur les traces de son père, qui exerça pendant des années le métier de médecin en Afrique. Au Cameroun et, essentiellement, au Nigeria. De ce père longtemps absent, Le Clézio ne nous révèle ni le prénom ni le visage. Comme s’il ne pouvait se résoudre à nommer un personnage qui n’est pas issu de son imaginaire. Mais si l’auteur de Révolutions et de La Quarantaine ne nous offre qu’une image passée au crible de sa mémoire, accompagnée de quelques photographies prises au « Leica à soufflet » par son père, c’est pour s’abstraire des épanchements biographiques trop sentimentaux. Dès la première phrase, Le Clézio écrit : « Tout être humain est le résultat d’un père et d’une mère. » Une formulation qui ne laisse place ni aux lamentations ni à l’enjolivure. « J’ai longtemps rêvé que ma mère était noire. Je m’étais inventé une histoire, un passé, pour fuir la réalité à mon retour d’Afrique, dans ce pays, dans cette ville où je ne connaissais personne, où j’étais devenu un étranger. Puis j’ai découvert, lorsque mon père, à l’âge de la retraite, est revenu vivre avec nous en France, que c’était lui l’Africain. Cela a été difficile à admettre », poursuit-il, avant de remonter le cours de l’histoire.
L’odyssée du père commence « le jour fatal de 1919 » où la famille Le Clézio est expulsée de sa maison de Moka, à l’île Maurice, et où il fait le choix de partir « très loin » et de « ne jamais revenir ». Elle se poursuit avec un premier voyage en Guyane britannique, huit ans plus tard, puis avec le départ pour l’Afrique, en 1928. Le médecin va vivre plus de vingt ans « en brousse », « seul médecin sur des territoires grands comme des pays entiers, où il [a] la charge de la santé de milliers de gens » et où il lui faut combattre des « ennemis qui s’appellent kwashiorkor, bacille virgule, ténia, bilharzia, variole, dysenterie amibienne ». Cet homme, Le Clézio le rencontre en 1948, au Nigeria, « vieilli prématurément par le climat équatorial, devenu irritable à cause de la théophylline ». Pendant toute la guerre, il a vécu seul, éloigné de sa famille. Une folle tentative pour rejoindre femme et enfant a échoué à Alger, où il a été arrêté après avoir traversé le désert à pied, avant d’être renvoyé vers le Nigeria. Le petit Jean-Marie ne fait sa connaissance qu’à l’âge de 8 ans, à Ogoja, et apprend « à craindre plutôt qu’à aimer » un homme « pessimiste et ombrageux » qui se lave les mains avec de l’alcool enflammé. L’autorité paternelle pose tout de suite problème à des enfants habitués à une très grande liberté. Le Clézio se souvient avoir été alors capricieux, irritable, en proie à d’atroces migraines et avoue : « L’arrivée en Afrique a été pour moi l’entrée dans l’antichambre du monde adulte. » Quand on connaît la fascination de l’écrivain pour l’adolescence, on prend toute la mesure de ce que peut représenter ce voyage au Nigeria, qu’il évoquera plus tard dans Onitsha. L’Africain n’est pas seulement un « petit livre » – comme le qualifie l’auteur – où s’exprimeraient les blessures et les découvertes de l’enfance, où s’expliciteraient les rapports du père et du fils. Quand, faussement ingénu, Le Clézio demande : « Si je n’avais pas eu cette connaissance charnelle de l’Afrique, si je n’avais pas reçu cet héritage de ma vie avant ma naissance, que serais-je devenu ? », il avoue implicitement que, dans ces cent pages limpides, il y a la matrice d’une oeuvre.

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