Question de volonté

Le pays caresse le rêve de devenir dès 2020 l’une des puissances économiques de la région des Grands Lacs. Mais a-t-il vraiment les moyens de ses ambitions ?

Publié le 5 mars 2007 Lecture : 6 minutes.

En matière économique, quand un chef d’État place la barre très haut, il est au mieux considéré comme un idéaliste, au pire comme un utopiste. Paul Kagamé n’est ni l’un ni l’autre. Il est simplement réaliste. Celui qui a sorti le pays des affres du génocide en 1994 sait de quoi il parle : à force de volonté, un peuple finit toujours par gagner… En témoigne le bilan économique des années passées à la tête du pays. Mais le président rwandais le reconnaît volontiers, beaucoup de choses restent à faire.
Afin de fixer ses objectifs, Paul Kagamé est allé voir du côté de Singapour. Ce minuscule pays du sud-est de l’Asie est, à lui seul, un miracle économique. Il se classe aujourd’hui au 30e rang des puissances économiques mondiales avec un produit intérieur brut (PIB) de 120 milliards de dollars et un revenu annuel par habitant de 28 000 dollars. Belle performance pour cette cité-État de 4,5 millions d’habitants (soit 6 500 habitants au km2) qui ne dispose d’aucune ressource naturelle, hormis celles issues de la pêche. À force de travail et de savoir-faire, Singapour est devenu une plaque tournante dans le commerce maritime international et dans le trafic aérien. Au fil des années, la petite république a su miser sur la productivité humaine qui, contrairement au pétrole, s’avère être une ressource éternellement renouvelable.
Le Rwanda peut-il espérer un destin similaire en Afrique, et en particulier dans la région des Grands Lacs ? Pour le président Paul Kagamé, cela ne fait aucun doute. Avec le programme d’orientation « Vision 2020 » adoptée en 1999, le gouvernement a défini les grandes lignes d’une stratégie qui entend bien remettre le Rwanda sur les rails, et ce malgré ses handicaps. Le pays, enclavé, est difficile d’accès et son fonctionnement est handicapé par les coûts du transport maritime et aérien. Et il sort d’une longue période de conflits opposants les différentes composantes ethniques qui a profondément affecté l’économie : destruction des infrastructures, abandon des entreprises et des plantations… Au lendemain du génocide de 1994, c’est sur de nouvelles bases que le pays a entamé sa reconstruction. Aujourd’hui, son développement économique est loin d’atteindre les records singapouriens, mais avec une population deux fois plus importante (9 millions d’habitants en 2006), le Rwanda a réalisé un PIB de 2,4 milliards de dollars (2 % de celui de Singapour), et sa population active produit, en moyenne, une valeur ajoutée annuelle de 260 dollars (1 % de celle des Singapouriens). Le plan « Vision 2020 » prévoit une valeur ajoutée par habitant de 900 à 1 000 dollars en 2020. Le pari n’est pas impossible : il s’agira en fait de réaliser, sur quatorze ans, quatre fois plus qu’en 2006 (soit une augmentation moyenne de 7 % à 8 % par an). Entre 1995 et 2002, le taux de croissance avait atteint 12,6 % par an.
Mais tenir une telle croissance sur le long terme exige des moyens (infrastructures, ressources énergétiques) et une politique économique stable. Le 29 janvier dernier, dans le cadre de ses consultations ordinaires avec les pays membres, le conseil d’administration du Fonds monétaire international (FMI) a souligné les progrès effectués et pointé les insuffisances à corriger.
Selon le FMI, l’économie rwandaise est encore trop dépendante de l’agriculture et de l’aide internationale. Une mauvaise année climatique peut coûter au pays la moitié de sa croissance économique. Au Rwanda, le taux de croissance du PIB est particulièrement erratique : 1 % en 2003, 6 % en 2005 et 4,2 % en 2006. L’agriculture, qui fait vivre 90 % de la population et assure plus de 40 % du PIB, procure aussi le plus gros des recettes en devises (ventes du café et du thé) et fait varier les exportations au gré des humeurs du ciel. Ainsi en 2003, elles ont diminué de 6 %, pour augmenter de 55 % en 2004, de 27 % en 2005 et 10 % en 2006. Or les importations, elles, sont en constante augmentation. Le solde de la balance courante (échanges de biens et services) a atteint 480 millions de dollars en 2005, contre 267 millions en 1995.
Pour le moment, le déficit est financé grâce aux dons de pays amis. Aujourd’hui, l’aide extérieure se chiffre en moyenne à environ 300 millions de dollars par an (voir infographies page suivante). Mieux, à la suite des initiatives de la Banque mondiale et du G8 en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), les pays donateurs ont effacé à ce jour 80 % de la dette extérieure du Rwanda, passée de 1,7 milliard de dollars à la fin 2004 à 357 millions à la fin 2006. Elle ne représente plus actuellement que 15 % du PIB, contre 92 % en 2004. Et le service de la dette (remboursement des intérêts et du principal) est désormais inférieur à 3 % des recettes d’exportations. Mais le FMI prône la prudence. Le Rwanda doit se garder d’un endettement excessif (en particulier avec la Chine, qui vient d’accepter de financer l’étude de faisabilité d’un chemin de fer relié au réseau tanzanien) et poursuivre une politique de bonne gouvernance (le pays dispose de plus de 406 millions de dollars de réserves de change). Mais Kigali a surtout obligation d’accélérer les réformes structurelles : finaliser les dernières privatisations (une vingtaine d’entreprises), stabiliser le système financier (contrôle prudentiel des banques, concours à l’économie), assurer une plus grande flexibilité du taux de change et améliorer la compétitivité des entreprises (coût encore très élevé pour lancer une entreprise, coûts exorbitants du transport et de l’énergie). Toutes ces recommandations du FMI sont autant d’encouragements lancés au Rwanda pour qu’il persévère sur la voie de la croissance et de la lutte contre la pauvreté.
Mais quid de la corruption ? À en croire le dernier rapport de Transparency International, le Rwanda est passé du 83e rang mondial (sur 159 pays) en 2005 au 121e rang (sur 163) en 2006. La « note » – appelée indice de perception de la corruption – du Rwanda a chuté de 3,1 à 2,5 (sur 10). Un net recul qui ne semble pas inquiéter le FMI. Il faut dire que la mauvaise appréciation attribuée au Rwanda ne repose en réalité que sur trois « enquêtes » (pour la plupart des autres pays, le nombre varie entre 5 et 9). C’est dire les insuffisances, sinon la partialité, de la base des calculs Paul Kagamé, de son côté, rejette catégoriquement les résultats de Transparency International. « Je ne suis absolument pas d’accord avec ce classement, a-t-il affirmé à Jeune Afrique [voir J.A. n° 2404]. J’ai la certitude que, dans le domaine de la lutte contre la corruption, nous avons fait encore mieux en 2006 qu’en 2005 et non l’inverse. Chez nous, toute dépense publique est strictement contrôlée, encadrée, et les contrevenants risquent très gros. Tous les budgets sont régulièrement audités, et les responsables sont tenus de suivre des séminaires réguliers sur les thèmes de la bonne gouvernance et de l’utilisation des fonds et dotations de l’État. »
Le président a pris conscience que sans un gouvernement crédible, sans un État de droit, son pays ne pourra prospérer longtemps. Pour le moment, les donateurs étrangers et les investisseurs de la diaspora rwandaise restent confiants : plus de cinq cents projets privés sont aujourd’hui « dans le pipeline ». En outre, les succès enregistrés en Europe et aux États-Unis par les entreprises locales telles que Rwanda Flora (fleurs coupées), Maraba (café arabica), Sowarthé (thés noir et vert) et Sopyrwa (insecticide) pourraient susciter des vocations. En attendant, le gouvernement devra aussi se concentrer sur la maîtrise des technologies de l’information, sur le développement de l’éducation et de la formation professionnelle et sur l’essor du tourisme naturel (lacs, volcans). Mais le Rwanda ne doit pas pour autant dénigrer l’agriculture qui souffre actuellement du morcellement des parcelles et de l’absence de titres de propriété. Le secteur devrait disposer cette année d’une nouvelle loi favorisant l’accès au crédit, et par conséquent à la propriété, à la mécanisation, aux semences et aux engrais. Et l’énergie n’est pas en reste. La construction d’une première centrale de 40 MW (10 % du potentiel) prévue entre 2008 et 2010 permettra la production du gaz naturel dissous dans les eaux profondes du lac Kivu, à l’ouest du pays. À terme, un Rwandais sur deux devrait vivre en 2020 des secteurs non agricoles, au lieu de un sur dix aujourd’hui.
Enfin, à partir du 1er juillet 2007, le Rwanda intégrera, avec le Burundi, la Communauté de l’Afrique de l’Est (Tanzanie, Kenya et Ouganda). L’adhésion à cette organisation régionale dynamique – avec, à terme, une intégration monétaire et douanière – permettra aux autorités de préparer au mieux la future zone franche de Kigali, qui s’étendra sur 20 hectares en 2007-2008, puis 740 hectares en 2020. Quant aux entreprises rwandaises, elles seront aux portes d’un marché de plus de 120 millions de consommateurs.

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