Peur sur l’Afrique

La morosité persistante des cours de l’or blanc met en péril l’avenir de la filière sur le continent. Au point que certains prédisent sa disparition pure et simple d’ici à quinze ans.

Publié le 5 mars 2007 Lecture : 6 minutes.

Le retour de la croissance en Afrique ? Une réalité incontestable depuis deux ans, relayée par un nombre incalculable de rapports et de satisfecit appuyés des institutions financières internationales. Sur fond d’envolée des cours des matières premières, cette embellie devrait se confirmer au cours des prochaines années avec une croissance moyenne de 5 %. Pétris d’optimisme au point d’évoquer « une renaissance africaine », les analystes omettent cependant d’évoquer une autre tendance, beaucoup plus sombre. En fait une véritable lame de fond, à savoir la morosité persistante des cours du coton, qui, depuis des mois, met en péril l’avenir de milliers de producteurs. Rare filière agricole structurée et intégrée au sud du Sahara, « l’or blanc » est actuellement confronté à plusieurs dangers mettant en cause sa survie. Certains organismes réputés comme le Club du Sahel n’hésitant pas à prédire sa disparition pure et simple du continent d’ici à quinze ans.
Malgré une légère remontée fin 2006 à 61,2 cents la livre, contre 57,6 cents un mois auparavant, les prix peinent à se remettre d’une chute amorcée au début de la décennie et dont les conséquences pour les producteurs et exportateurs nets comme le Burkina, le Mali, la Côte d’Ivoire ou le Bénin se font durement ressentir. Depuis 2003, ces cours ont perdu plus de 30 % pour s’établir péniblement autour de 55 cents la livre en moyenne sur les cinq dernières campagnes, contre plus de 70 cents dans les années 1990. Alors que les prévisions de campagne 2006-2007 sont prometteuses avec une offre mondiale située à 25 millions de tonnes de fibres, selon le Comité consultatif international du coton (CCIC), le maintien des productions subventionnées conjugué à l’appréciation de l’euro (auquel est arrimé le franc CFA) par rapport au dollar continue de pénaliser fortement le coton africain, et ce en dépit d’une demande toujours aussi soutenue et de la hausse constante du volume de fibres synthétiques.
Avec 950 000 tonnes, l’Afrique ne contribue que pour 3,9 % à la production mondiale. Mais l’économie cotonnière reste vitale et socialement extrêmement structurante pour de nombreux pays, en particulier de la zone franc. Or, au-delà des aléas climatiques ou des parités monétaires défavorables, la volatilité des cours continue d’être alimentée par les subventions des pays industrialisés, qui tirent les prix vers le bas tout en contribuant à la faible rémunération des producteurs du continent. Une tendance qui n’est pas près de s’inverser. En 2005, pas moins de 4,7 milliards de dollars ont été versés aux 25 000 cotonculteurs américains, leur permettant ainsi d’exporter à des prix inférieurs aux prix de revient. L’Union européenne (UE) a accordé 850 millions d’euros aux Espagnols et aux Grecs. Quant à la Chine, elle a soutenu sa filière à hauteur de 1 milliard de dollars. Chaque année, les recettes d’exportation des pays africains sont amputées de 300 millions de dollars. Si l’UE a décidé de limiter fortement ses aides à partir de fin 2006, rien de tel aux États-Unis, qui représentent à eux seuls 35 % des 9 millions de tonnes exportées à l’issue de chaque campagne. De quoi largement expliquer la décote observée sur le marché international.
De fait, au Mali, au Burkina, mais aussi au Togo ou au Tchad, les prix garantis aux planteurs ont chuté sans que les surfaces aient considérablement augmenté en raison du coût des intrants. De 210 F CFA en 2004-2005, les prix ont été ramenés à 160 F CFA en 2005-2006. Un niveau qui sera maintenu cette année. « L’accroissement des surfaces et des productions pour juguler la baisse des prix n’est pas une stratégie soutenable sur le long terme, s’empresse d’ailleurs de préciser l’Agence française de développement [AFD]. À 160 ou 165 F CFA, la plupart des producteurs sont à la limite de produire à perte et ne cessent de s’endetter. » Autant de facteurs qui rendent le coton africain peu compétitif malgré son incontestable qualité. Un kilo de coton-graine produit au Bénin revient à 0,46 cent par hectare, contre 0,21 cent en Australie et 0,31 au Brésil.
Les mécanismes de stabilisation des prix ont permis jusqu’à présent de limiter l’impact des fluctuations tout en garantissant un revenu, mais ce système montre ses limites. Les sociétés d’égrenage et de commercialisation, voire les États eux-mêmes, qui n’hésitaient pas à dégager des budgets extraordinaires pour enrayer la chute, ont, à l’instar du Burkina, de plus en plus de mal à faire face aux tensions du marché. En 2007, ce pays maintiendra son rang de premier producteur africain avec 340 000 tonnes de fibres, contre 299 000 tonnes en 2005-2006. Mais les inquiétudes demeurent. S’il a su se lancer dans une stratégie judicieuse de diversification via le coton transgénique, la morosité des cours a forcé l’acteur historique – la Société burkinabè des fibres textiles (Sofitex) – à porter d’urgence son capital de 4,4 milliards de F CFA (7 millions d’euros) à 38 milliards (59 millions d’euros) afin d’enrayer un déficit devenu chronique (44 milliards de F CFA en 2005). Quant à l’enveloppe de 23 millions d’euros versés en janvier par un pôle bancaire européen pour financer l’actuelle campagne, elle ne doit pas faire illusion. Si elle traduit la confiance des investisseurs, elle pourrait tout aussi bien être une nouvelle source d’endettement dans l’hypothèse d’une tendance baissière des prix. À cette situation s’ajoute la crise politique en Côte d’Ivoire, qui n’a rien arrangé à la filière dans ce pays, mais aussi la diminution de la production du Tchad, ivre de son mirage pétrolier, tout comme celle du Togo. Alors que le secteur est déliquescent en Guinée, au Sénégal et en Centrafrique, la situation du Mali, important producteur, n’est pas moins préoccupante. Fleuron de l’économie, la Compagnie malienne de développement du textile (CMDT) connaît, elle aussi, des difficultés alors que sa privatisation, programmée pour 2008, ne cesse de soulever de nombreuses interrogations.
Objet de toutes les crispations, le coton est emblématique de l’insertion de l’Afrique dans les relations internationales et de ses capacités limitées à lutter contre les travers d’une mondialisation à deux vitesses merveilleusement illustrée par l’écrivain et académicien Erik Orsenna dans son denier ouvrage, Voyage aux pays du coton (Fayard). Si les quatre États (Bénin, Mali, Burkina et Tchad) ayant décidé de porter cette question devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) se sont retrouvés en janvier à Ouagadougou pour mettre au point une nouvelle stratégie dans le cadre du cycle de négociations de Doha, la suppression des aides à la production ou l’instauration de mesures compensatoires ne sont pas pour demain. Les appels empressés des ministres africains du Commerce, depuis le siège de l’Union africaine (UA), en octobre 2006, n’y feront rien. D’autant que les États-Unis continuent de freiner des quatre fers et que ce cycle de négociations est bel et bien ajourné, comme l’a confirmé, le même mois, le conseil général de l’OMC, réuni à Genève. En dehors d’une politique de diversification suggérée par la production de coton transgénique ou biologique, qui est moins concurrencé, les voies et moyens mis à la disposition des États africains pour garantir la pérennité de leurs filières sont limités. Et l’AFD de s’alarmer : « Si les prix, qui sont déjà faibles, accusaient de nouvelles baisses, nous assisterons à l’abandon de cette culture. Les producteurs, qui n’ont pas d’activité de substitution, émigreront vers les villes et viendront gonfler le niveau de pauvreté urbaine. » Le Fonds monétaire international (FMI) vient bien d’instituer un nouvel outil financier permettant d’atténuer les chocs exogènes. Mais plus qu’une énième aide, les producteurs africains auraient préalablement besoin, à tout le moins, de voir leur travail rémunéré à sa juste valeur et d’évoluer dans un cadre qui sache imposer et faire respecter les règles admises du commerce international.

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