Paroles de femmes

Il y a les Ellen Johnson-Sirleaf, les Simone Gbagbo, les Nadia Yassine, les Aïcha Kadhafi, les Aminata Traoré Celles dont la voix porte déjà loin. Et puis, il y a celles qui, dans leur coin, ont gravi des échelons construits par les hommes et, dans leur

Publié le 5 mars 2007 Lecture : 16 minutes.

Wangari Maathai
66 ans, kényane. Présidente de Green Belt Movement, Prix Nobel de la paix 2004
« En 1971, à l’époque où je suis devenue la première femme d’Afrique de l’Est à obtenir un doctorat, très peu de femmes faisaient des études scientifiques. Elles étaient découragées, elles s’autocensuraient. Dans mon entourage, personne, sinon mes parents, ne comprenait pourquoi je voulais continuer à aller à l’école. Chercheur ne faisait pas partie des professions dont les femmes étaient jugées capables. On les voyait plutôt au foyer, ou institutrices. Aujourd’hui, il n’y a plus cette pression sociale. Les jeunes filles n’ont plus d’excuses pour ne pas aller à l’école, sinon la pauvreté. C’est précisément cette pauvreté qui freine l’accession des femmes à des postes de responsabilité. La position des femmes dans la société est le reflet du développement économique. Quand il y a de la richesse, on a quelque chose à partager et tout le monde obtient sa part. Mais quand il y a peu à partager, ce peu revient d’abord aux hommes. Les femmes sont toujours le second choix. Quand on choisit une femme pour un poste, c’est toujours la deuxième solution. Les hommes respectent les compétences et le mérite des femmes, mais mettront du temps avant d’accepter qu’une femme puisse être meilleure qu’eux. Meilleure ne signifie pas pour autant identique. Les femmes développent des qualités différentes des hommes. Elles sont plus sensibles aux enfants, elles uvrent plus volontiers pour la paix, car ce sont elles qui perdent leurs fils et qui deviennent réfugiées quand les hommes partent au front. Mais quand une femme occupe une position de pouvoir ou d’influence, il est bien souvent difficile de la distinguer d’un homme. C’est le problème des femmes aujourd’hui : elles évoluent dans un système vieux de plusieurs siècles fait par des hommes. Chaque femme qui accomplit quelque chose est un grand pas en avant pour que plus personne ne se demande : Une femme peut-elle être élue présidente ? »

Léonora Miano
33 ans, camerounaise. Romancière
« Je n’ai pas vraiment rencontré d’obstacles sur mon parcours d’auteure. Si les femmes ne sont pas victimes de discriminations éditoriales, elles sont néanmoins mal vues lorsqu’elles abordent certains thèmes. C’est ce qui m’est arrivé avec mon premier roman.
La condition féminine est d’abord une condition hormonale. Être une femme, c’est avoir ses règles tous les mois et, éventuellement, enfanter. Je ne pense pas que la femme soit vraiment libérée. Quand on regarde la surenchère sur l’exposition des corps de femmes dans la publicité, on se rend compte que c’est une réification. Nous sommes encore dans le même processus qui consiste à considérer d’abord les femmes comme de jolies choses et pas comme des sujets pensants.
Cela dit, je considère le féminin et le masculin comme des énergies qui doivent vivre en harmonie. Mais l’ordre patriarcal règne partout. Il faut rétablir l’équilibre. On ne dit jamais assez que beaucoup d’hommes sont enfermés dans une image de la masculinité construite par les cultures. Les femmes devraient les aider à être hommes autrement. Si le féminisme consiste à faire la guerre aux hommes, je dis non. S’il consiste à nous considérer comme une catégorie sinistrée, avec un comportement et un discours victimaires en permanence, c’est non. Mais si c’est une quête de justice et d’égalité, sans haine, je suis d’accord. La condition masculine est telle qu’un homme qui aurait été violé dans son enfance ne pourrait pas le dire facilement pour ne pas être traité de faible. Même chose s’il est battu par sa femme. Le féminisme devrait être la recherche d’un équilibre afin que chacun puisse s’épanouir. Nous avons besoin les uns des autres. Contrairement à ce que nous croyons, les hommes souffrent également. Il n’est pas facile pour eux de se comporter toujours en conquérants, tout simplement parce que la société est ainsi faite. »

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Latifa Jbabdi
51 ans, marocaine.
Membre de l’Instance Équité et Réconciliation
« Je suis la deuxième d’une famille de six enfants, et j’ai été éduquée par un père moderniste et militant. Je suis tombée très jeune dans la politique : révoltée par les inégalités et l’injustice, je me suis engagée à 14 ans, et j’ai basculé dans la clandestinité peu après, en rejoignant l’organisation (communiste) du 23 mars, l’ancêtre de l’OADP. C’étaient les années de plomb. J’ai été arrêtée, brièvement, en 1972, puis en 1977. Trois ans de prison, sans jugement. En 1980, l’organisation s’est prononcée pour l’action démocratique et a tourné le dos aux utopies révolutionnaires.
J’ai participé au mouvement des femmes marocaines à sa naissance, au début des années 1980. Notre cheval de bataille, c’était la réforme de l’archaïque code des femmes, la Moudawana. La question féminine était alors jugée mineure. Il y avait énormément de réticences, y compris au sein de la gauche, qui ne jurait que par la lutte des classes. Mais en 1992, au grand dam des conservateurs, notre pétition a recueilli un million de signatures. Le grand tournant remonte à mars 2000, avec la marche des femmes de Rabat, dont j’étais la coordonnatrice. La question féminine est devenue politiquement incontournable, a fait exploser les clivages. Le roi Mohammed VI s’en est emparé. La dynamique que nous avions créée a débouché sur la réforme de la Moudawana, en 2003, qui est allée au-delà de nos espérances. Aujourd’hui, il faut mettre l’accent sur la représentation féminine en politique, et se battre pour des quotas aux élections.
J’ai eu le privilège d’être l’une des 16 membres – et la seule femme – de l’Instance Équité et Réconciliation (IER), installée par Sa Majesté pour faire la lumière sur les années de plomb, réconcilier le Maroc avec son passé. J’ai côtoyé les mères et les épouses des disparus. J’ai fait miennes leurs plaies et leurs souffrances. Ce fut l’expérience la plus marquante de ma vie. »

Ameenah Gurib-Fakim
47 ans, mauricienne. Professeur de chimie, lauréate 2007 du prix L’Oréal-Unesco pour la science
« J’ai reçu une éducation très complète de mes parents, surtout de ma mère, qui pensait que c’était le seul moyen de donner à une femme son indépendance. Peu de femmes de ma génération ont eu cette chance car les études coûtaient cher. Les garçons étaient favorisés. La situation a changé depuis 1976, grâce à la gratuité de l’éducation. En une génération, beaucoup de progrès ont été accomplis.
Aujourd’hui, dans les sciences, les femmes travaillent surtout dans des filières considérées comme féminines, comme la biologie et la nutrition. Mais à partir d’un certain niveau hiérarchique, elles sont invisibles. La pression sociale est très forte. Toute la charge de la famille leur incombe. Très peu ont suffisamment de caractère pour imposer le partage des responsabilités et des tâches. J’ai dû me battre cinq fois plus que n’importe quel homme pour y parvenir et être aujourd’hui la seule femme professeur.
Il faut une sacrée force de caractère pour surmonter tout ça. J’y suis parvenue grâce à la contribution de ces femmes anonymes qui m’ont transmis leur connaissance des plantes médicinales de l’île. Les femmes ont une approche très importante pour les sciences. Elles sont moins agressives dans leurs décisions. C’est là qu’est leur complémentarité avec les hommes. Elles doivent être présentes dans les prises de décision.
Même si j’aimerais voir plus de femmes à des postes de responsabilité, je ne me suis jamais sentie pour autant féministe. Cela dit, beaucoup de femmes donnent aussi des coups ! Mais je crois que cette jalousie révèle l’insécurité sociale dans laquelle elles sont.
Les choses devront changer, car un pays ne peut pas progresser s’il ignore 52 % de sa population. Il faut se concentrer sur l’éducation. Les jeunes filles doivent avoir des modèles féminins de réussite. Et, surtout, il faut qu’elles s’accrochent ! »

Dora Akunyili
52 ans, nigériane. Directrice générale de l’Agence pour l’administration et le contrôle de l’alimentation et des médicaments
« Quand j’ai été nommée à la tête de la Nafdac par le président Obasanjo en 2001, la classe politique ne voulait pas de moi. Comme je suis ibo [l’une des ethnies majoritaires au Nigeria, NDLR], que le ministre de la Santé, dont dépend la Nafdac, était ibo et que les trafiquants sont ibos aussi, les hommes politiques prétendaient que les liens tribaux nuiraient à mon travail. Mais c’était un prétexte. Ce qui les gênait vraiment, c’est que je suis une femme. Une fois que je suis arrivée à la Nafdac, les hommes ont été obligés de m’apprécier. Quand vous êtes une femme, vous devez travailler dix fois plus qu’un homme. Mais quand vous êtes appréciée, vous l’êtes dix fois plus qu’un homme. Dans l’institution que je dirige, il y a plus de femmes que d’hommes. La Nafdac [qui lutte contre le trafic des aliments et des médicaments contrefaits, NDLR] est pleine de tentations. Les occasions de corruption sont nombreuses. D’expérience, je sais que les femmes sont moins corruptibles que les hommes. Un jour, un homme m’a même dit que le département qui octroie les licences devait être dirigé par une femme !
Je m’estime privilégiée. À la campagne, les femmes sont encore de vraies esclaves, elles travaillent du matin au soir sans se plaindre. En ville, la condition de la femme change plus rapidement. Je me souviens de ma grand-mère, elle ne mangeait pas à table avec son mari et l’appelait maître. Ma mère appelait son mari mon ami et ma fille fait la cuisine avec son époux ! Plus les femmes sont éduquées, plus elles sont libres. C’est pourquoi je conseillerais aux jeunes filles de travailler dur, de dépendre de leur cerveau et pas de leur physique. »

Bernadette Tokwaulu Aena
46 ans, congolaise (RD Congo). Secrétaire générale de la Société nationale d’électricité
« J’ai gravi tous les échelons et je totalise vingt-deux ans de carrière. Fille d’ambassadeur, j’ai toujours été une femme libre, décidée et ambitieuse. Mais arrivée au sommet depuis douze ans, je n’ai jamais réussi à entrer au comité de gestion. Parce que je suis une femme. J’ai toujours conseillé aux jeunes filles de dénoncer le harcèlement sexuel et de refuser les promotions canapé. Mais ont-elles le choix ?
Pendant la guerre, le viol massif a été utilisé comme arme. Depuis, quelques femmes sont entrées dans les institutions et ont réclamé la parité [désormais inscrite dans la Constitution, NDLR]. Mais la Congolaise n’était pas préparée à cette grande avancée constitutionnelle. Les hommes encore moins. Aux dernières élections, peu de femmes étaient candidates.
Il n’y a pas assez de militantes dans les partis. Les rares qu’on y trouve n’ont pas été placées en bonne position sur les listes : là où il y a beaucoup d’ambitions, celles des femmes ne sont pas prioritaires. La démocratie congolaise est une démocratie octroyée, obtenue après un long dialogue. De la même manière, la parité dans les institutions doit être octroyée. Il faudra donc nommer un maximum de femmes à différents postes, en fonction de leurs compétences. Le féminisme vu comme une lutte de la femme pour s’imposer contre l’homme ne cadre pas avec la culture africaine. De quoi avons-nous besoin ? La reconnaissance de nos droits. Si ceux de la mère sont reconnus, il n’en est rien de ceux de l’épouse et de la fille. L’autorisation maritale exigée dans certains cas et le non-statut de la veuve le prouvent. »

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Lala Moulaye
47 ans. Directrice générale de Bank of Africa Côte d’Ivoire
Veuve et mère de trois enfants, aujourd’hui âgés de 16 à 22 ans, Lala Moulaye a donné la priorité à sa carrière. Dans la banque, elle a saisi toutes les opportunités de formation interne pour gravir les échelons et arriver, en 2000, à la BOA Côte d’Ivoire en tant que directeur des opérations et du développement. Sous l’impulsion du directeur général et avec son aide, la banque a doublé de taille en cinq ans.
Discrète, Lala Moulaye refuse d’être citée en exemple : « Je ne suis pas féministe. » Mais elle reconnaît volontiers qu’à certains moments de sa carrière, il a été « difficile d’être une femme parce qu’il y a beaucoup de préjugés, notamment dans le milieu des affaires, qui est assez machiste, où les hommes préfèrent rester entre eux car les affaires se traitent entre hommes ». Elle note également qu’« il y a des obstacles culturels et sociaux différents suivant les pays et qu’ils sont moins accentués en Côte d’Ivoire ». Forte de ces observations, elle préfère l’appellation « Madame le directeur général » à sa version intégralement féminine. C’est dans ses tenues vestimentaires, soigneusement choisies en fonction du programme du jour, qu’elle exprime sa féminité.

Hadda Hazzam
47 ans, algérienne. Directrice du quotidien El-Fadjr
« Ma mère est analphabète, mais elle considère que la réussite scolaire est l’unique moyen pour vaincre la misère. J’ai toujours rêvé d’être journaliste. En 1979, le bac en poche, je m’inscris à l’université pour préparer une licence en sciences économiques, bien qu’une carrière dans l’administration n’était guère ma vocation.
J’intègre la rédaction du quotidien arabophone El-Massa (Le Soir) en novembre 1985. Mon audace a failli me valoir plusieurs fois la prison. Désabusée par la presse publique, je lance un quotidien arabophone, El-Fadjr (L’Aube), le 5 octobre 2002. Pourquoi cette date ? Parce qu’elle symbolise la révolte de la jeunesse, l’avènement de la démocratie et du pluralisme en Algérie. Être la seule femme directrice d’un journal est un motif de fierté. Bien sûr, je suis flattée que l’on me traite de fahla (femme d’honneur), mais le pays en compte des milliers. En décembre 2006, j’ai vécu une expérience qui m’a ouvert les yeux sur un univers secret et tabou : la prison algérienne. Interpellée à l’aéroport d’Alger alors que je me rendais à Beyrouth pour un colloque sur le journaliste libanais assassiné Jabrane Touini, j’ai passé treize jours au pénitencier d’El Harrach. J’y ai côtoyé la déchéance humaine, vécu la promiscuité avilissante des détenues et partagé la détresse de ces femmes victimes d’un code de la famille rétrograde. Comment oublier le visage de Malika, qui, pour venger son honneur de femme battue, humiliée et jetée dans la rue avec ses enfants, a fini par étrangler son mari infidèle ? »

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Émilienne Macauley
47 ans, cap-verdienne. Directrice de Celtel Madagascar
Quand elle prend la direction générale de l’opérateur de téléphonie mobile Celtel au Burkina en novembre 2003, Émilienne Macauley vient de franchir le cap de la quarantaine. Elle occupe aujourd’hui la même fonction à Madagascar, où Celtel s’est implanté fin 2005. Si elle annonce d’emblée que « la promotion de la femme africaine est une lutte personnelle très importante », elle précise aussitôt qu’être l’une des rares femmes parvenues à un tel niveau de responsabilité sur le continent est avant tout « un défi professionnel, une évolution naturelle de mes performances. Je suis souvent invitée dans des universités pour parrainer de nouvelles formations. J’invite les étudiantes à apprendre à surmonter les difficultés et à affronter le monde afin de jouer un rôle dans le développement de l’Afrique ».
Adolescente, Émilienne Macauley changeait d’horizon tous les cinq ans, dans les bagages de sa mère, qui fut parmi les premières jeunes femmes du continent à travailler auprès des chefs d’État au moment des indépendances. Émilienne la suit ainsi à Accra, Lomé, Abidjan, Dakar Ses études supérieures la mènent à Belgrade en 1979, « parce que j’avais obtenu une bourse », puis aux États-Unis en 1982, « parce qu’il fallait travailler pour payer mes études ». En 2000, elle est nommée directrice commerciale et marketing de Celtel au Burkina Faso, dont elle assure le démarrage dans le pays. Deux ans plus tard, le groupe la nomme au Gabon avec le même titre. La clientèle double en dix-huit mois et voilà Émilienne Macauley promue DG.
Directrice ou directeur ? « Être une femme ou un homme n’a pas d’importance du moment qu’on a les dispositions pour prendre des responsabilités », répond-elle, avant d’ajouter que « même si, aujourd’hui, les gouvernements sont conscients qu’il est important d’avoir des femmes qui participent aux prises de décision, dans la réalité, elles n’y sont pas encore en assez grand nombre ». Pour que cela change, « il faut des engagements beaucoup plus concrets et plus fermes, et cela passe déjà par une meilleure implication des jeunes filles dans l’éducation ».

Awa Marie Coll Seck
56 ans, sénégalaise. Directrice exécutive du partenariat mondial « Faire reculer le paludisme »
« J’ai eu à conduire tout en même temps : l’éducation de mes quatre enfants, mes activités militantes et syndicales ainsi que la gestion de ma carrière. Par chance, mon père médecin était fier que je suive sa voie. La première grande épreuve a été l’internat des hôpitaux de Dakar, en 1975. Tous mes collègues étaient des hommes, qui n’avaient pas les mêmes charges que moi. J’ai dû travailler tard le soir, prendre des gardes de nuit, allaiter ma fille à l’hôpital. Puis, j’ai continué mes études en France, tandis que mes enfants et mon mari restaient à Dakar. L’éloignement peut détruire un ménage. Je n’ai pourtant pas le sentiment d’avoir sacrifié ma vie familiale et sociale à ma réussite professionnelle, même si je regrette de ne pouvoir m’attarder plus souvent avec mes amis pour bavarder. Aujourd’hui, mes enfants sont grands et je pense qu’ils sont fiers de moi, ce qui est réciproque. J’ai la chance d’avoir un mari qui me comprend. Un mari féodal n’aurait jamais accepté une épouse qui a une situation très en vue, parfois plus visible que la sienne. Dans nos sociétés, beaucoup d’éléments négatifs qui fragilisent le couple viennent des remarques de l’entourage : on s’étonnera auprès du mari que sa femme est encore en voyage, qu’on ne voit qu’elle à la télévision L’homme peut se sentir frustré. J’ai autour de moi des exemples de jeunes filles très brillantes que leurs maris ont empêchées de poursuivre leurs études ou d’obtenir une promotion. D’autres ont réussi à accéder à des professions libérales mais rentrer tard le soir déclenchait un scandale conjugal. Certaines se faisaient même battre par leur mari. Le combat des femmes est aussi le mien et je me réjouis qu’elles soient de plus en plus nombreuses au Sénégal à poursuivre leurs études et à retarder l’âge du mariage. »

Hakima Himmich
62 ans, marocaine. Chef du service de maladies infectieuses, CHU de Casablanca
« Je n’ai jamais accepté d’être traitée différemment de mes frères. Quand j’étais étudiante à Paris et militante dans un parti de gauche ainsi qu’à l’Union nationale des étudiants marocains, je n’ai jamais supporté le rôle subalterne où voulaient nous confiner certains camarades masculins. Je suis absolument féministe.
Même si aujourd’hui, grâce à notre sérieux et notre persévérance, nous avons le soutien de Sa Majesté Mohammed VI pour le travail que nous faisons au sein de l’Association de lutte contre le sida [ALCS, dont elle est membre fondatrice en 1988, NDLR], j’ai conservé mon autonomie. J’ai eu la chance d’être soutenue par mon mari, et le privilège d’avoir une personne de confiance pour m’aider à élever mes enfants. Je n’ai pas culpabilisé, contrairement à beaucoup de femmes à qui on inculque que seul le père peut travailler. Mon propre père m’a encouragée à faire des études supérieures. J’appartiens à une génération de militants, et c’est là que je me sens utile. J’essaie de faire comprendre aux jeunes femmes, futurs médecins ou pas, qu’elles doivent reprendre le flambeau de la lutte pour le droit des femmes et se battre pour être les meilleures. La médiocrité est acceptée chez un homme, pas chez une femme. »

Naha Mint Mouknass
37 ans, mauritanienne. Présidente de l’Union pour la démocratie et le progrès (UDP)
« On a tendance à croire qu’une femme qui se lance en politique doit ressembler aux hommes. Je ne suis pas d’accord. La femme doit garder sa féminité et les qualités propres aux femmes, le sens de la réalité, l’instinct, le pragmatisme. Si vous cherchez à ressembler à un homme, vous faites peur à l’électeur et il ne votera pas pour vous. Il faut incarner un idéal. Je ne peux pas dire que le fait d’être une femme m’a aidée ou desservie, car je suis un cas à part : mon père [fondateur et président de l’UDP, ex-ministre des Affaires étrangères, NDLR] m’avait préparée.
Je suis la seule femme chef de parti en Mauritanie. Traditionnellement, les femmes ne se faisaient pas remarquer en politique. Elles faisaient un travail en coulisses, derrière leur mari, leur père, leurs frères, leurs oncles. Puis le pays s’est ouvert, elles ont eu accès à l’éducation et des ambitions sont nées. Mais elles se sont davantage orientées vers la sphère économique et je pense qu’elles ont eu raison. Il faut être financièrement indépendante pour s’affirmer et être libre. Il ne faut pas se lancer en politique sans armes.
Pour une meilleure représentation, le Conseil des ministres a adopté, en juillet dernier, une loi exigeant des quotas de femmes sur les listes électorales. Les quotas se retourneront un jour contre les femmes. Ils ne mettent pas en avant le mérite, les capacités intellectuelles, l’ambition, et c’est pourtant ce qu’il faut faire pour permettre à celles qui sont le mieux à même de défendre les femmes d’accéder à des fonctions électives. Il y a aujourd’hui des femmes qui sont à l’Assemblée parce que c’est la loi et d’autres qui ne voulaient même pas être élues. Je pense qu’un fonds de promotion de la femme serait plus efficace pour améliorer la condition féminine que des miss quotas. »

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