Modus operandiélectoral

Les autorités ont pris des dispositions pratiques qui, a priori, devraient garantir la transparence et l’honnêteté du scrutin présidentiel du 11 mars.

Publié le 5 mars 2007 Lecture : 6 minutes.

Une main tendue, une tente traditionnelle, le chiffre 7, la couleur bleue, un aigle de profil, une clé, un lion, deux balances Le bulletin de vote pour le 1er tour de l’élection présidentielle mauritanienne, le 11 mars, ressemble à un inventaire à la Prévert. Sur un seul et même document, les dix-neuf candidats disposent chacun d’une ligne où figurent, de droite à gauche, leurs noms (en français et en arabe), leurs photos et, pour les électeurs analphabètes, leurs symboles. Au bas de la feuille, une case vide pour le vote blanc (le candidat de la ligne n° 20 s’est finalement désisté). Dans l’isoloir, l’électeur appose un cachet ou inscrit la lettre arabe bah (pour bismillah, « au nom de Dieu ») face au nom de celui qu’il aimerait voir succéder à Ely Ould Mohamed Vall au palais présidentiel.
Pour les électeurs – 1,13 million, au total – appelés aux urnes le 11 mars – et le 25, en cas de second tour -, le bulletin unique est encore largement une nouveauté. Ils l’ont utilisé pour la première et unique fois lors des dernières législatives et municipales, en novembre et décembre derniers. Après plus de vingt ans de fraudes et de truquages en tout genre, cette feuille de papier filigrané impossible à reproduire (la photocopie fait apparaître la mention « copie ») est censée garantir la régularité du scrutin, conformément à la promesse solennelle du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD) lors de sa prise du pouvoir, le 3 août 2005.
Les bulletins seront réalisés par la société britannique Smith & Ouzman, qui a déjà confectionné ceux utilisés lors des législatives – et travaillé dans différents pays africains (en Sierra Leone, au Malawi et au Kenya, notamment). Coût de l’opération : 450 000 dollars. L’objectif essentiel du bulletin unique est de rendre impossibles certaines pratiques utilisées par les tricheurs, sous l’ancien régime. Par exemple : exiger de l’électeur « acheté » qu’il rapporte les bulletins non utilisés comme preuve de son allégeance. Ou prétexter que les bulletins de tel ou tel candidat n’ont pas été imprimés en nombre suffisant pour justifier leur mystérieuse absence. « Désormais, s’amuse un observateur qui préfère garder l’anonymat, celui qui veut acheter les consciences doit compter sur la bonne foi de son client. Car rien n’empêche celui-ci de vendre sa voix à tous les candidats. Et il y en a dix-neuf ! »
Véritable « billet de banque », selon l’expression d’un membre de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), le bulletin unique est la pièce maîtresse d’un dispositif de régulation des opérations de vote sans précédent en Mauritanie. Dans ce pays où la densité de la population est l’une des plus faibles du monde (à peine 3 millions d’habitants sur un territoire deux fois grand comme la France), l’organisation d’un scrutin est un défi logistique. Prévenir les dérapages relève de la gageure.
Très pratique dans les régions reculées, l’urne ambulante est pourtant supprimée. « Comme par hasard, il y avait toujours des partisans du pouvoir en place dans la voiture chargée de la transporter », persifle un membre de la Ceni. Les partis qui en ont les moyens n’en continueront pas moins d’organiser le transport jusqu’au bureau de vote des citoyens acquis à leur cause.
Les 2 378 bureaux seront ouverts de 7 heures à 19 heures. Aucun ne pourra compter plus de 800 électeurs inscrits (contre 1 000 auparavant), afin d’éviter les files d’attente, mais aussi de faciliter le dépouillement et le contrôle. « Le maillage est serré, mais on ne peut pas dire que les bureaux couvrent l’ensemble du territoire », confie un observateur. « Les Mauritaniens sont nomades, ils ont l’habitude de bouger », tempère un autre.
Grande nouveauté par rapport à l’ère Ould Taya, une escouade de scrutateurs et d’observateurs seront présents dans chaque bureau : un représentant de la Ceni et de chaque parti, des experts étrangers et nationaux… « Lors des sénatoriales, il y a eu viol du secret du vote, raconte un membre de la Ceni. Certains électeurs sont sortis de l’isoloir en pliant leur bulletin pour bien montrer pour qui ils avaient voté. Pour la présidentielle, les observateurs ont reçu l’instruction de se montrer plus vigilants. » Détail, sans doute, mais qui a son importance. De la même façon, le rectangle à l’intérieur duquel l’électeur doit apposer un cachet ou inscrire un bah a été agrandi pour limiter les risques de confusion.
Au total, un bon millier d’observateurs sont mobilisés. Huit cents viennent de la société civile mauritanienne, les autres de diverses ONG étrangères et organisations internationales : Union européenne (80 à 85), Union africaine (une vingtaine), Ligue arabe, Conférence islamique, Organisation internationale de la Francophonie (OIF). « On ne peut se permettre d’avoir un observateur étranger par bureau, mais leur nombre est acceptable », estime un membre du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), qui coordonne l’action et les contributions des partenaires étrangers. Ces derniers ont apporté 8,7 millions d’euros pour l’ensemble du processus, contre 6 milliards d’ouguiyas (17 millions d’euros) pour l’État mauritanien.
« Les garanties sont suffisantes pour que les opérations de vote soient relativement transparentes et régulières. Nous n’avons pas de craintes majeures concernant les fraudes », juge Vincent De Herdt, membre de la mission d’observation de l’UE. Mais ne rêvons pas : les campagnes éducatives de la Ceni (spots télévisés, posters, « caravanes citoyennes », etc.) ne parviendront pas à transformer les mentalités du jour au lendemain. « L’Homo mauritanicus est un peu particulier, explique un intellectuel. D’un côté, l’islam lui commande la droiture, mais, de l’autre, il a été perverti par le parti unique. Il y a une prise de conscience progressive, mais nous sommes encore dans une période de transition. »
Lors du dernier scrutin, les tricheurs ont fait assaut d’imagination et expérimenté la technique dite du premier sacrifié. Voici en quoi elle consiste : les partisans d’un candidat s’installent discrètement à proximité d’un bureau de vote, où ils envoient un électeur muni d’une feuille de papier ; celui-ci la glisse dans l’urne en lieu et place du bulletin unique ; les fraudeurs remplissent alors à leur guise le bulletin rapporté par le « sacrifié » ; l’électeur suivant vote avec le document « prérempli » et rapporte un bulletin unique. Et ainsi de suite. « Les fraudeurs sont poussés dans leurs derniers retranchements », se félicite un observateur.
« La faiblesse, c’est finalement l’environnement des élections, estime De Herdt. C’est une campagne festive qui n’offre pas beaucoup d’occasions de poser les grands problèmes de la nation. » De fait, les ondes n’ayant pas encore été libéralisées (la loi sur l’audiovisuel est prête, mais n’a pas encore été promulguée), les possibilités de débat sont limitées. En plus du temps d’antenne accordé à chaque candidat (dix minutes par jour à la radio, cinq à la télévision), la Haute Autorité de la presse et de l’audiovisuel (Hapa) appelle de ses vux l’organisation de débats contradictoires, mais aucun calendrier n’est prévu. Et les candidats, à l’évidence débordés actuellement, manifestent peu d’enthousiasme Quant aux Mauritaniens de l’étranger – dont le nombre est estimé à 400 000 -, ils ne pourront pas voter hors du territoire national. Officiellement, le temps a manqué pour organiser les opérations de vote dans les ambassades et les consulats. Mais certains se demandent si la liberté d’esprit des exilés, parmi lesquels figurent nombre d’anciens opposants, n’inquiète pas les autorités.
Autre point noir : le poids de l’argent. Pour favoriser le pluralisme, le dépôt des candidatures n’a été assorti d’aucune contrainte financière, la seule condition étant de réunir cinquante signatures d’élus municipaux. Mais il y aura bel et bien une ségrégation par l’argent. Les dépenses de campagne sont limitées à 10 millions d’ouguiyas (28 400 euros) par département (53 en tout), mais le débat sur le remboursement des frais engagés par les candidats ayant obtenu un pourcentage minimum de voix (certains auraient voulu 5 %, d’autres 3 %) n’a pas abouti. Il est donc douteux que l’État mette la main à la poche.
Par ailleurs, les financements en provenance de l’étranger sont interdits. Les candidats ont l’obligation de tenir des comptes de campagne, une commission de contrôle a été créée et des sanctions sont prévues : de la simple amende à une peine d’emprisonnement. Mais tout cela reste assez théorique. Commentaire d’un membre de la Ceni : « La commission n’est pas encore opérationnelle alors que la campagne a commencé. Je ne crois ni aux contrôles ni aux sanctions. Nous ne sommes pas allés au bout de la logique. »

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