Mamadou Lamine Loum

Ancien Premier ministre du président Abdou Diouf

Publié le 5 mars 2007 Lecture : 4 minutes.

Que pensez-vous des résultats de la présidentielle ?
Je crois que cette victoire n’a pas encore livré tous ses secrets. Nous attendons de connaître toute la vérité pour savoir si le vote du peuple a été détourné ou non. Il faut savoir ce qui s’est réellement passé pour éviter les éventuelles répétitions et mettre à l’abri notre jeune démocratie. Au Mali ou au Bénin, personne ne songe à gagner dès le premier tour et, malheureusement, j’ai peur pour mon pays que le flambeau que nous tenions fièrement dans nos mains soit désormais entre les mains d’autres frères africains. Le Sénégal n’aurait jamais dû perdre son rang. Il doit le reconquérir.
Craignez-vous une dérive vers un pouvoir personnel ?
Il est vrai qu’a priori une victoire au premier tour avec une telle majorité peut donner la tentation de mettre en place un pouvoir personnel renforcé. Des garde-fous sont plus que jamais nécessaires. D’autant que c’est une victoire au terme d’un premier mandat qui a été celui de toutes les dérives politiques, économiques et sociales. Je crois qu’une telle victoire appelle à l’humilité chez les vainqueurs.
Je souhaite que le pouvoir ne soit pas tenté par l’abus d’autorité et l’abus de majorité. Au contraire, le mandat à venir doit être un mandat de correction, de rectification. Il faut remettre le Sénégal sur les rails d’une démocratie majeure et de l’émergence économique. Il y a des préalables politiques. Il faut une charpente constitutionnelle stable, qui ne soit pas soumise à des changements trop fréquents. Il faut que les consultations électorales se tiennent à date fixe. Elles ne doivent plus être différées pour de mauvaises raisons de tactique politicienne.
Il y a aussi des préalables économiques. Ces dernières années, l’environnement des affaires a été parasité. L’État a renoncé à lutter contre la corruption. Celle-ci est devenue systémique, notamment dans l’attribution des marchés publics. De nombreuses fortunes suspectes ont fleuri. Les corps du délit de la corruption, c’est-à-dire l’étalage des ressources qu’on tire d’une richesse soudaine, sont exposés au vu et au su de tout le monde. On se demande s’il y a encore dans les valeurs des Sénégalais des défenses qui n’ont pas cédé devant tant d’exhibition. Aujourd’hui, faire de la politique est le moyen le plus sûr de s’enrichir. Et cela me pince le cur.
Y a-t-il un clan, voire une famille qui prend de plus en plus d’importance dans l’État ?
Je ne voudrais désigner personne, mais tous les hommes d’affaires disent que certains représentants de l’État sont trop visibles quand ils accompagnent les entreprises sous prétexte de les rassurer contre le harcèlement de l’administration.
L’opposition socialiste et progressiste est-elle laminée ?
Je pense qu’elle n’a pas dit son dernier mot. Même sonnée, l’opposition n’a pas à rougir des résultats obtenus. Après tout, en 1993, la majorité actuelle n’avait pas plus fière allure. À Dakar, le président sortant n’atteint la majorité absolue que sur le fil du rasoir, et il ne l’obtient dans aucun des six départements des régions de Thiès et de Kaolack, à savoir Thiès, Mbour, Tivaouane, Kaolack, Nioro et Kafrine. À Louga non plus. Et tout cela est intéressant dans la perspective des législatives de juin prochain, à condition que l’opposition ait le réflexe salvateur de l’unité. Je suis sûr que l’opposition va rebondir grâce aux hommes de qualité qui sont en son sein.
Le premier secrétaire du Parti socialiste Ousmane Tanor Dieng doit-il s’effacer ?
Il ne faut pas en arriver à de telles extrémités et prendre des décisions à l’emporte-pièce. Je pense que les socialistes ont plutôt plébiscité le premier secrétaire pendant la campagne électorale. L’avenir, c’est de rétablir la social-démocratie dans ses contours historiques d’avant 1996. Il faut essayer de bâtir un grand parti social-démocrate où se retrouveraient socialistes et progressistes [les partisans de Moustapha Niasse, NDLR]. Il faut également tisser des liens avec l’ex-gauche communiste.
L’après-Wade ne risque-t-il pas d’être une période de fortes tensions ?
Au sein de la famille politique du président, on est déjà dans une transition successorale. Le compte à rebours vient d’être sifflé. Il faut préserver le pays des empoignades de ce combat long et mortel. Les luttes internes au sein du PDS [Parti démocratique sénégalais] ne doivent plus prendre l’État en otage, comme à l’époque de la brouille entre le président Wade et son Premier ministre Idrissa Seck. J’espère que le chef de l’État, en homme avisé, saura anticiper ces risques. Depuis qu’Idrissa Seck a créé son parti, la donne est encore plus compliquée. Maintenant, il y a tellement de changements dans la famille politique du président qu’il est difficile de dire s’il y aura des retrouvailles ou bien si Idrissa Seck restera résolument dans l’opposition. Toutes les options sont ouvertes.
Quelles sont pour vous les priorités du nouveau quinquennat ?
À mes yeux, il y a quatre priorités politiques : rebâtir l’État, le fonder sur des règles du jeu consensuelles, réhabiliter l’éthique et l’intégrité dans les affaires publiques et faire prévaloir l’équité dans le partage des ressources nationales. Il y a aussi quatre urgences économiques : redresser la base économique du pays, notamment la filière arachide, la filière phosphate, la pêche et le tourisme, attirer les investisseurs dans de nouveaux secteurs pour relancer les exportations, assainir les finances publiques et planifier le développement. Quand on préfère ériger une statue que construire un réseau d’eau potable dans une région reculée du pays, il y a un vrai problème de cohérence.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires