En Côte d’Ivoire, les journaux en voie de disparition ?
Déjà fragilisée par l’effondrement des ventes et les dysfonctionnements de son distributeur, la presse ivoirienne connaît une crise sans précédent liée à l’envolée du prix des matières premières. Certains titres ont déjà annoncé l’arrêt de leur version papier pour se concentrer sur le web.
À Abidjan, les « titrologues », qui scrutent et commentent chaque matin les unes des journaux épinglées sur de grands panneaux en bois – une habitude élevée au rang d’art en Côte d’Ivoire – sont sans doute passés à côté de l’information. Et pour cause, elle ne figurait pas en première page de L’Éléphant déchaîné, mais en dernière.
L’hebdomadaire d’investigation, qui paraît chaque mardi, a annoncé cette semaine l’arrêt de sa version papier, « trop coûteuse en termes de fabrication et d’impression ». Désormais, le journal ne sera disponible qu’en ligne, avec des parutions exceptionnelles « chaque fois que la sensibilité d’un dossier l’exigera ».
« La situation de la presse papier est dramatique », constate son directeur (également député-maire sans étiquette de Tiassalé), Antoine Tiémoko Assalé. En dix ans d’existence, sa rédaction est passée de 13 à 4 journalistes. Les ventes se sont effondrées de 70%, comme chez tous ses concurrents. Le nombre de lecteurs du grand quotidien d’État Fraternité Matin a fondu. De 20 000 exemplaires à l’âge d’or du journal, dans les années 2010, les ventes ont dégringolé à 3 000 aujourd’hui.
« Impasse économique »
La crise que traverse le secteur de la presse papier n’est pas nouvelle, loin de là, mais la pandémie a accéléré son déclin et sa mue au profit du numérique. Avec l’envolée du prix des matières premières, le coût du papier a explosé et se répercute sur celui de l’impression. « Le coût de l’impression a bondi de 48%, et les imprimeurs exigent aujourd’hui des paiements cash », explique Lassane Zohoré , le président du Groupement des éditeurs de presse de Côte d’Ivoire, le Gepci, qui représente une cinquantaine de journaux. Des discussions ont été entamées avec le gouvernement pour trouver un moyen d’amortir cette hausse spectaculaire et mondiale.
À l’issue du conseil des ministres, ce 19 janvier, Amadou Coulibaly, le ministre de la Communication, a promis de « prendre toutes les dispositions pour que les répercutions ne viennent pas peser de façon sensible sur le consommateur qu’est le citoyen ». Augmenter le prix des journaux n’est de toute façon pas une option retenue par le Gepci, qui sait pertinemment que le portefeuille des lecteurs ne suivrait pas. « Nous sommes dans une impasse économique », estime Lassane Zohoré, alors que certaines rédactions ne sont déjà plus en mesure de payer leurs journalistes et ont été contraintes de réduire leur pagination et la fréquence de parution.
« Nous supportons toutes les charges, c’est intenable. La subvention à l’impression octroyée par le gouvernement impose aux journaux et aux périodiques un taux de vente impossible à atteindre aujourd’hui car notre distributeur, Edipresse, propriété de l’État, ne couvre que 40% du territoire. » Par ailleurs, Edipresse connaît depuis plusieurs années des dysfonctionnements. « Les recettes des ventes ne nous sont plus versées depuis mai 2021, ils nous doivent 300 millions de F CFA », déplore Lassane Zohoré. « Il y a tellement d’éléments qui nous empêchent d’avancer », souffle-t-il.
« Une chance »
Alors, quel avenir pour la presse papier ivoirienne ? Antoine Tiémoko Assalé ne verse pas dans le pessimisme, lui qui, contrairement à ses concurrents épaulés financièrement par des partis politiques, porte son journal sur fonds propres. Il voit, dans la situation actuelle, une chance de se relancer sur le web. Ces dernières années, les sites d’information se sont multipliés en Côte d’Ivoire avec un certain succès. « C’est peut-être le bon moment d’habituer les Ivoiriens à ce nouveau monde, dans lequel plus personne n’achète de papier », affirme-t-il.
La Gepci a engagé un débat sur ce thème. « Nous avons mis en place une commission pour étudier la possibilité de tous abandonner le papier pour le web, où le lecteur n’aura d’autres choix que d’aller chercher l’information. Nous sommes conscients que cela va tuer les imprimeries. Mais, si nous ne sommes pas aidés, nous serons amenés à le faire. » Les éditeurs de presse prévoient l’organisation prochaine d’une journée « presse morte » pour alerter le public et les autorités sur leur situation.
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