« L’impunité zéro n’existe pas »

L’avocat Jean Haguma est formel : la lutte contre la corruption doit s’exercer jusqu’au sommet de l’appareil judiciaire.

Publié le 5 mars 2007 Lecture : 3 minutes.

Ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du Rwanda, Jean Haguma (54 ans) voit d’un bon il la réforme de la justice. Et se réjouit des efforts faits en matière de lutte contre la corruption.

Jeune Afrique : La justice est-elle suffisamment armée pour combattre la corruption ?
Jean Haguma : Avant d’aborder le judiciaire, parlons d’abord du législatif. Le législateur rwandais ne s’est pas contenté des infractions contenues dans le code pénal, mais il a aussi adopté une loi spécifique de lutte contre la corruption plus vigoureuse qui renforce les dispositions du code pénal. Quand cette loi arrive au niveau judiciaire, il n’y a plus qu’à l’appliquer. Tout ce qui est demandé au judiciaire, c’est de dire le droit.
C’est ce qui se passe en réalité ?
Il peut y avoir des couacs, comme partout. Mais, en général, la corruption n’est pas très visible dans notre appareil judiciaire. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en ait pas. Depuis la réforme judiciaire entreprise il y a trois ans, on trouve maintenant des inspecteurs chargés de la lutte contre la corruption, ce qui n’existait pas auparavant. Au Conseil supérieur de la magistrature, des agents contrôlent le travail des juges, et pas seulement dans le cadre de la corruption. Et le Conseil supérieur du parquet, qui dépend de l’exécutif, dispose également de personnes qui ont été nommées pour veiller à la bonne marche de la justice.
Est-ce suffisant pour obtenir des résultats ?
Je pense que ces dispositifs sont efficaces d’autant qu’ils ont été suivis de mesures d’accompagnement, telle que l’amélioration de la rémunération des magistrats, des juges et des procureurs. Je ne dis pas que leurs revenus sont faramineux. Mais lorsqu’on les compare à leur situation précédente, on sent une volonté de les mettre à l’aise financièrement. Leurs salaires ont été augmentés, et ils bénéficient désormais de véhicules pour se déplacer. Il eût été malheureux de croiser un juge à la Haute Cour en train d’attendre un bus pour se rendre au tribunal.
Si l’intégrité des juges est liée à leurs moyens d’existence, sont-ils suffisamment indépendants pour dire le droit dans les affaires de corruption ?
L’important pour l’avocat que je suis, c’est l’existence des textes de loi que le juge doit appliquer. Il faut admettre néanmoins que nos magistrats n’ont pas beaucoup d’expérience. Les jeunes diplômés apprennent vraiment leur métier dans l’exercice de leurs fonctions. Mais quand on voit d’où nous venons, il faut reconnaître que nous avons fait un grand pas en avant. Auparavant, il n’y avait pas de juges juristes. Maintenant, ils le sont presque tous. Même si le processus est lent, le changement est indéniable. Notez que, jusqu’en 1997, il n’y avait pas de barreau au Rwanda !
Demander à la population de signaler aux autorités des faits de corruption, n’est-ce pas une incitation à la délation ?
Il est vrai qu’il y a des cas de dénonciation. Je suis sûr que celui qui signale une malversation le fait parce qu’il refuse de donner ce qu’on lui demande. C’est normal. Il y a la corruption passive et la corruption active. Si les deux parties sont consentantes, personne n’en saura rien. L’essentiel pour le Rwanda, c’est d’avoir mis en place des mécanismes de lutte contre la corruption.
Les preuves de corruption sont-elles évidentes ?
Il faut arriver à démontrer qu’on a donné de l’argent ou accordé une faveur à quelqu’un contre un service. Cela n’est pas aisé. Mais la nouvelle loi a prévu d’élargir le spectre des infractions assimilables à la corruption comme par exemple le favoritisme… Le fait de placer une personne dans une position qu’elle ne mérite pas peut se prouver.
La campagne d’affichage actuellement en cours dans les rues de Kigali a-t-elle un impact sur la population ?
Le but de cette campagne est de signaler à la population que la corruption ne doit pas rester impunie. L’autre objectif, c’est la prévention. Je constate que les structures qui ont été mises en place montrent bien une volonté politique de changer les choses. La réforme judiciaire vise une justice plus rapide, accessible à tous les citoyens et respectueuse des droits de l’homme.
L’impunité existe-t-elle au Rwanda ?
Comme partout, il y a un degré d’impunité. Quelqu’un peut commettre une infraction sans qu’il soit puni. Peut-être parce qu’on ne l’a pas su ou parce que celui qui sait ne veut pas punir. Cela peut arriver. Mais ce n’est pas la norme. La lutte contre l’impunité est inscrite dans les textes. Tout dépend de l’usage qu’en font les juges.

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