Le temps des femmes

Le 8 mars, Journée internationale de la femme, est la (trop rare) occasion de déplorer les inégalités qui pèsent encore largement sur la moitié du genre humain. Depuis le début du siècle, les femmes sont pourtant de plus en plus nombreuses à conquérir le

Publié le 5 mars 2007 Lecture : 4 minutes.

C’est une première dans l’histoire du continent. Une femme, à la tête d’une centrale syndicale nationale, a très largement contribué à ébranler un pouvoir vieux de plus de vingt ans. Rabiatou Serah Diallo, la secrétaire générale de la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG), a tenu tête, pendant plus d’un an, à Lansana Conté, le chef de l’État, jusqu’à le faire capituler en menant une grève générale depuis le 10 janvier. Les opposants de toujours et autres leaders syndicaux se sont fait coiffer au poteau par la détermination de cette femme au regard d’ange mais à la force d’Hercule. Ancienne collaboratrice de Sékou Touré, syndicaliste de longue date, son engagement politique remonte à ses jeunes années, quand, à 19 ans, elle tente de s’imposer au sein de la CNTG. En 1969, elle échoue, mais réussit en 2000 et lance en janvier 2006 les premiers mouvements qui feront descendre les Guinéens par milliers dans la rue. À l’image de Rabiatou Serah Diallo, les femmes sont de plus en plus nombreuses à faire flancher les hommes de pouvoir – ou, du moins, à les concurrencer.
Il reste deux mois à peine avant qu’une femme gravisse peut-être les marches de l’Élysée à Paris ; seulement dix-huit mois avant qu’une autre soit éventuellement portée à la tête du parti démocrate américain dans la course à la Maison Blanche, et il y a exactement trois mois qu’une femme a été nommée au poste de secrétaire générale adjointe des Nations unies. Chaque année, depuis le début du XXIe siècle, le 8 mars ressemble un peu plus à ce que ce jour était censé incarner, quand il a été décrété « Journée internationale de la femme », en 1975. À savoir une célébration de l’amélioration du droit des femmes dans le monde.
S’il reste une écrasante majorité de femmes désavantagées, opprimées, réduites à des tâches subalternes et, parfois, à l’esclavage, le monde est pourtant en train de vivre une révolution tranquille, qui, dans les dernières décennies du XXe siècle a porté les femmes au travail salarié, et qui, aujourd’hui, en amène certaines à occuper les plus hautes fonctions.
Pour la moitié du genre humain, le temps s’accélère. Le classement des femmes les plus influentes au monde, établi par le magazine américain Forbes, témoigne du caractère récent de cette évolution. Les six premières (dans l’ordre, la chancelière allemande Angela Merkel, la secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice, la vice-présidente chinoise Wu Yi, la PDG de PepsiCo Indra Nooyi, celle de Xerox Anne Mulcahy et celle de Citigroup Sallie Krawcheck) sont toutes arrivées à leur poste, ou entrées en fonctions, entre 2001 et 2006. Depuis 2005, il ne se passe pas un semestre sans qu’une nouvelle venue vienne gonfler les rangs du club des femmes pionnières. Dernières en date – et pas des moindres -, Nancy Pelosi, devenue en novembre dernier la première femme à occuper le fauteuil de présidente du Congrès américain, et la Tanzanienne Asha-Rose Migiro a été nommée numéro deux des Nations unies en janvier.
Dans tous les domaines, sur tous les continents, le monopole masculin, historiquement installé aux manettes du pouvoir, s’érode. Enfants de la génération féministe, les cinquantenaires d’aujourd’hui ont bénéficié de l’accès généralisé des filles à l’éducation et d’un changement progressif des mentalités pour faire avancer leur condition individuelle et atteindre le « plafond de verre ». Mais celles qui l’ont ?réellement franchi demeurent des exceptions. ?Sur 198 pays dans le monde, 11 comptent des femmes chefs d’État (3 reines : Royaume-Uni, Pays-Bas, Danemark ; et 8 présidentes : Chili, Finlande, Irlande, Israël (intérim), Lettonie, Liberia, Philippines, Suisse), 7 des vice-présidentes (Afrique du Sud, Burundi, Costa Rica, Gambie, Salvador, Taiwan, Zimbabwe) et 5 des chefs de gouvernement (Allemagne, Nouvelle-Zélande, Mozambique, Jamaïque, Corée du Sud). Ces nouvelles dirigeantes ne sont toutefois que la partie émergée d’un iceberg, qui, lui, reste plongé sous des siècles d’inégalité sexuelle. En Afrique, particulièrement, l’élection d’Ellen Johnson-Sirleaf au Liberia ne fait que souligner l’absence des femmes au pouvoir. De plus en plus de maroquins sont détenus par des femmes – sous l’impulsion notamment des critères de bonne gouvernance -, mais ces dernières restent souvent confinées aux « petits » ministères. Ainsi, sur le continent, on compte 1 femme présidente sur 53 nations, quatre vice-présidentes et une Première ministre. Quant à celles qui détiennent des portefeuilles clés (Finances, Affaires étrangères, Justice, Intérieur), elles ne sont que 21 (voir carte ci-dessus). Excepté au Burundi, où Marina Barampama est vice-présidente, ce sont les pays non-francophones qui remportent la palme du féminisme sur le continent. Les trois autres vice-présidentes sont sud-africaine, gambienne et zimbabwéenne, tandis que la seule Première ministre africaine est mozambicaine.
Mais la réelle fracture entre celles qui peuvent espérer accéder à de hautes responsabilités et les bataillons de celles qui demeurent défavorisées n’est pas tant géographique que sociale. En France comme au Burkina Faso, aux États-Unis comme en Afrique du Sud, la pauvreté maintient les femmes dans l’inégalité. « Quand il y a de la richesse, on a quelque chose à partager et tout le monde obtient sa part, explique la Prix Nobel 2004 Wangari Maathai [voir p. 37]. Mais quand il y a de la pauvreté, le peu revient aux hommes. Les femmes sont toujours le second choix. »
Et quoi qu’il arrive, aujourd’hui encore, la réussite au féminin représente encore une « bizarrerie ». Parvenues au sommet, elles sont toujours renvoyées à leur supposée féminité. N’a-t-on pas entendu Angela Merkel se voir reprocher de ne pas être mère ? Ségolène Royal de trop l’être ? Condoleezza Rice d’être asexuée ? Hillary Clinton d’être « femme de » ? Il reste donc encore beaucoup de « première fois » pour les femmes, à commencer par celle où l’on ne s’étonnera plus que l’une d’entre elles soit arrivée aux plus hautes fonctions.

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