Le survivant

Ancien sportif professionnel, le patron des patrons rwandais, Robert Bayigamba, est un rescapé des massacres de 1994.

Publié le 5 mars 2007 Lecture : 3 minutes.

Robert Bayigamba est un miraculé. En 1994, ce pur produit de l’Université nationale du Rwanda, à Butare, n’a que 27 ans lorsqu’il dirige un projet canadien de coopératives agricoles à Nyangatare, au nord de Kigali. Depuis quatre ans, le pays est paralysé par la guerre civile. Le jeune homme effectue régulièrement des allers-retours entre Nyangatare et la capitale, où réside sa famille. Le 6 avril 1994, les massacres commencent. Le 8 avril, des miliciens Interahamwes débarquent chez lui. Bien que Hutu, Bayigamba est accusé d’entretenir des relations avec les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR), dont il faciliterait l’infiltration dans Kigali. Une trahison qui mérite la mort. Mais au moment où la sentence va être exécutée, l’un des miliciens le reconnaît. Ancien capitaine de l’équipe nationale de volley-ball et premier vice-président de la fédération, Bayigamba jouit d’une certaine notoriété dans le monde sportif. Il a la vie sauve, mais sa maison est mise à sac.
Le 15 avril 1994, il parvient à quitter Kigali pour rejoindre Butare, au sud du pays. Le jeune homme décide alors de se réfugier au Burundi, où il a de la famille. Le 19, nouveau signe du destin : il rencontre par hasard un officier de l’armée rwandaise, arbitre de volley-ball à ses heures, qui l’embarque dans un convoi sécurisé en partance pour le Burundi. Quatre mois plus tard, il revient au Rwanda. « Je dois au volley-ball le fait d’être encore en vie », confesse-t-il aujourd’hui, avec philosophie.
En août 1994, Robert Bayigamba est recruté en qualité de directeur général par Manumétal, une entreprise spécialisée dans le mobilier des particuliers et des collectivités. Trois ans après, il entre dans le capital de la société, avant qu’elle ne soit nationalisée en 1999. Mais le jeune businessman n’a pas oublié le sport qui lui sauva la vie cinq ans auparavant : il devient président de la fédération de volley-ball, puis secrétaire général du Comité national olympique rwandais. En 2002, il est nommé ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture. Après son départ du gouvernement en 2004, Bayigamba retrouve le monde des affaires. La même année, il est élu président de la Fédération du secteur privé du Rwanda (RPSF).
Patron des patrons rwandais depuis maintenant trois ans, Bayigamba se félicite de l’environnement des affaires. Mais au Rwanda, « il y a plus de commerçants que de businessmen, constate-t-il. Un homme d’affaires, c’est quelqu’un qui a une vision, qui sait ce qu’est un plan de développement et qui peut travailler avec plusieurs partenaires ». Toutefois, Robert Bayigamba se veut optimiste. L’émergence récente d’une poignée de jeunes cadres mieux formés, capables de prendre des risques, rassure le patron des patrons.
Le secteur privé rwandais contribue pour 40 % à 45 % au budget de l’État. Pour le rendre encore plus performant, la Fédération du secteur privé rwandais compte sur la création d’un réseau de centres d’affaires qui favoriserait l’information commerciale, la formation, la maîtrise des langues et de la comptabilité, la diversification des activités, l’aide aux études de faisabilité et de marketing ainsi que l’accès au financement, qui constitue un problème majeur de l’économie locale. Mais cela ne suffit pas. « Au Rwanda, les directeurs généraux, commerciaux, administratifs et financiers se font rares, avoue Bayigamba. Et les étrangers que nous recrutons coûtent cher. »
Dans le cadre de la bonne gouvernance, le chef du patronat rwandais a mis en place un cadre permanent de concertation avec les institutions du pays. Chef de l’État, Premier ministre, Conseil économique et social sont fréquemment sollicités, Bayigamba n’hésitant pas à intervenir auprès des plus hautes autorités chaque fois qu’un de ses confrères se sent lésé dans ses droits. Adepte de la mobilisation de l’investissement local, il espère bien que les membres de la Fédération puissent tirer parti des appels d’offres des marchés publics. « Chacun possède une carte professionnelle pour éviter que les contrats soient attribués à des personnes de peu de confiance, assure-t-il. Nous faisons respecter une éthique et les règles d’une concurrence loyale. » Autant de bonnes intentions qui, à terme, devraient porter leurs fruits. C’est ce que souhaite en tout cas Bayigamba, dont l’ambition est de pouvoir exporter un jour un savoir-faire made in Rwanda.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires