Le numérique débarque à Ouaga !

La 20e édition du Festival panafricain de cinéma a été marquée par l’arrivée en force des nouvelles technologies. Pour le meilleur et, parfois, le moins bon.

Publié le 5 mars 2007 Lecture : 3 minutes.

Plus de trente mille spectateurs dans le stade du 4-Août, le 24 février, pour voir et entendre, entre quelques discours officiels, un ballet de guerriers tahitiens, des musiciens sud-africains, le duo de rappeurs Yeleen (dont le titre très politique « Dar es-Salam » a été particulièrement applaudi), des parades de cavaliers, un immense feu d’artifice, des extraits de films inédits Par son faste et son ampleur, la cérémonie d’ouverture du Festival panafricain de cinéma de Ouagadougou (Fespaco) a une nouvelle fois démontré à quel point cette fête du septième art en Afrique est unique en son genre.
Pourtant, en dépit de la présence du président Blaise Compaoré, qui boudait cette soirée inaugurale depuis 1999 après avoir été fâché, dit-on, par une chanson « subversive » de Salif Keïta, la fête n’a pas été, cette année, aussi grandiose que d’habitude. D’abord, en raison d’une moindre affluence : les mesures de sécurité drastiques mises en uvre pour éviter le renouvellement des terribles bousculades qui, en 2005, provoquèrent la mort de deux jeunes filles, ont certainement découragé une partie du public. Ensuite, parce qu’aucune vedette de stature continentale n’était présente cette année à Ouaga. Enfin, parce qu’une série d’incidents mineurs ont quelque peu gâché la fête : cafouillages lors du tirage du feu d’artifice, absence de Manu Dibango, le président d’honneur de la manifestation, lors du « clap » de départ, panne de sonorisation, etc.
L’ensemble de cette 20e édition du Fespaco – que ses organisateurs n’ont pas voulu considérer comme un cru particulier, préférant attendre le quarantième anniversaire de la manifestation, en 2009 – a d’ailleurs donné l’impression d’un festival de transition. L’irruption, pour la première fois massive, de la technologie numérique dans le cinéma africain y est sans nul doute pour beaucoup. Cette évolution, tant « matérielle » qu’artistique, est encore loin d’être achevée, mais elle est déjà radicale. D’où des situations d’entre-deux, dont les conséquences, petites et grandes, sont nettement visibles.
L’obligation de projeter les films sélectionnés pour la compétition en 35 mm – le format classique de la « vieille » technologie argentique -, alors que la majorité des cinéastes ont tourné en numérique, a ainsi conduit à la disqualification de deux longs-métrages candidats à l’Étalon de Yennenga, la récompense suprême. Heartlines, du Sud-Africain Angus Gibson, a ainsi été « déclassé » sans heurt par les organisateurs, prévenus à temps, quelque temps avant le début de la manifestation. Dans le cas du superbe mais austère Sourire du serpent, l’adaptation d’une pièce de théâtre du Guinéen Mama Keïta, c’est en revanche à la dernière minute que la décision a été prise de présenter le film hors compétition. Très déçu, le réalisateur a confié qu’il avait été dans l’incapacité de trouver les 30 000 à 50 000 euros nécessaires au « kinéscopage » du film. Il avait « oublié » de le faire savoir à temps
D’un point de vue esthétique, il apparaît que la plupart des réalisateurs maîtrisent bien la nouvelle technologie. À tel point qu’il est en général difficile pour un non-spécialiste de distinguer qui a tourné en 35 mm et qui en numérique, même si la profondeur de champ, notamment, n’est plus la même. Sachant que le numérique réduit substantiellement les coûts de production, on ne pourrait que se féliciter de la situation si la « démocratisation » du cinéma qu’elle entraîne était sans conséquence artistique. Ce n’est, hélas ! pas toujours le cas, comme l’a montré la déception ressentie lors de la projection de Code Phenix, de Boubacar Diallo, le pionnier burkinabè du cinéma numérique populaire.
Malgré d’autres déconvenues qui font craindre l’apparition d’un cinéma à deux vitesses, le niveau général de la compétition officielle est apparu sinon exceptionnel, du moins très convenable. Il est vrai que la sélection comprenait plusieurs films déjà consacrés internationalement, comme Daratt, du Tchadien Mahamat Saleh Haroun (récompensé à Venise), Making off, du Tunisien Nouri Bouzid (lauréat du Festival de Carthage), ou Tsotsi, du Sud-Africain Gavin Hood (oscar du meilleur film étranger 2006). Mais on a quand même eu droit à quelques belles surprises venues de Guinée (la satire très politique Il va pleuvoir sur Conakry, premier long-métrage prometteur de Cheick Fatamady Camara), du Nigeria (Ezra, de Newton Aduaka, sur le drame des enfants-soldats) et du Tchad (Tartina City, de Serge Issa Coelo, une reconstitution sans concession de la répression sous Hissein Habré).

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