L’Amérique, Kadhafi et les droits de l’homme

Publié le 5 mars 2007 Lecture : 2 minutes.

Dans le cadre d’une campagne de relations publiques, Mouammar Kadhafi et les responsables de la Jamahiriya ont tenté de convaincre les opposants en exil – plusieurs centaines de milliers de personnes, au total – qu’ils pouvaient rentrer en Libye en toute sécurité. Sans surprise, la grande majorité d’entre eux a prudemment décliné. Mais Idriss Bouyafed, un médecin travaillant et résidant en Suisse, s’est montré plus téméraire. Le 30 septembre 2006, pour la première fois depuis seize ans, il a débarqué à Tripoli. Le 5 novembre, ?il a disparu.

Depuis trente-sept ans que Kadhafi est au pouvoir, des milliers d’opposants ont disparu ou ont été assassinés, en Libye comme à l’étranger. Mon père, le dissident Jaballa Matar, n’a pas réapparu dans sa maison du Caire depuis mars 1990. Personne ne sait s’il est mort ou vivant. Par chance, Boufayed a été relâché le 29 décembre, cinquante-cinq jours après son arrestation. Les autorités n’ont donné aucune explication sur sa détention, et l’intéressé, qui se signalait depuis des années par de fréquentes prises de position sur des sites Internet d’opposition, se mure dans le silence. Ce changement d’attitude n’a rien d’inhabituel : presque tous les dissidents qui ont eu la chance d’être libérés ont renoncé à critiquer le régime. L’appareil répressif de la Jamahiriya reste d’une redoutable efficacité.

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Les États-Unis ayant fait de la Libye leur alliée dans la guerre contre le terrorisme, on voit mal quelle pression pourrait être aujourd’hui exercée sur elle. C’est lorsque Kadhafi était prêt à tout pour se faire accepter de l’Occident qu’il eût été possible d’infléchir sa politique. L’aveuglement paranoïaque dont font preuve les Américains dans leur guerre contre le terrorisme les prive de tout avantage moral. Ils auraient pu contraindre Kadhafi à des concessions beaucoup plus importantes que l’abandon de son programme, de toute façon largement obsolète, d’armes de destruction massive et l’indemnisation, à hauteur de 2,7 milliards de dollars, des familles des victimes de l’attentat de Lockerbie, en 1998.
Il est vrai que les États-Unis ont abordé la question des droits de l’homme lors des négociations de 2003. Mais aucun des pays qui profitent aujourd’hui du rapprochement avec la Libye n’a exigé la libération, ni même la mise en jugement, des prisonniers politiques. Aucun n’a exigé une enquête sur les indénombrables cas de « disparition ». Aucun n’a même essayé de contraindre Kadhafi à s’expliquer sur le massacre, en juin 1996, de plus d’un millier de prisonniers de la prison d’Abou Salim. Les États-Unis ont manqué une occasion en or de faire de l’amélioration de la situation des droits de l’homme la condition sine qua non de la réintégration de la Libye dans la communauté internationale. On peut même affirmer qu’ils ont contribué à sa détérioration en justifiant de facto le recours à la torture, voire en l’encourageant. N’ont-ils pas livré à Tripoli, à des fins d’interrogatoire, des Libyens soupçonnés de terrorisme ?

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