Immigration

Si aucun des quatre principaux candidats n’aborde le problème de fond et n’ose dégonfler la bulle des chiffres fantasmés, tous présentent un programme en ce domaine. Revue de détail.

Publié le 5 mars 2007 Lecture : 6 minutes.

Le test est probant. Parlez, ces jours-ci, d’élections à un Marocain, un Algérien, un Camerounais ou un Ivoirien, tous habitant le continent, et il vous répondra immédiatement : Sarko-Ségo – en oubliant au passage que la question posée pouvait, après tout, fort bien porter sur l’échéance électorale de son propre pays. Si le match passionne autant chez les francophones d’Afrique, c’est sans doute parce que les compétiteurs sont nouveaux et que son issue est incertaine. C’est aussi et surtout parce que l’enjeu migratoire est loin d’être secondaire en France, où la population immigrée d’origine africaine (Nord- et Sud-Sahara confondus) est estimée à environ deux millions d’individus, soit le tiers du nombre total de migrants installés dans l’Hexagone. L’enjeu est d’autant plus fort que ce chiffre est, dans l’inconscient collectif des électeurs français, sans portée réelle. Si, dans tous les pays riches, l’opinion a l’impression d’accueillir beaucoup plus de migrants que ses voisins, c’est en France que la surestimation est la plus importante – alors même que l’immigration y est plus faible qu’en Allemagne ou en Belgique (voir p. 24). Un récent sondage en dit long sur ce sujet : une majorité des Français s’accorde à estimer le pourcentage d’étrangers vivant en France à 30 % de la population globale, bien que selon l’OCDE il ne dépasse pas 10 %. Pays en crise, croissance faible, peur récurrente de l’avenir et de la perte d’identité, rôle néfaste des politiciens, angoisses sécuritaires : les raisons de cette mythification migratoire sont multiples. Nul doute qu’elles pèseront sur l’issue du scrutin.
Si aucun des quatre principaux candidats (Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, François Bayrou et Jean-Marie Le Pen) n’aborde le problème de fond et n’ose dégonfler la bulle des chiffres fantasmés, tous présentent un programme en ce domaine. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les différences sont certes réelles, mais des passerelles existent. Aucun, par exemple, ne propose de régulariser massivement les sans-papiers, encore moins d’ouvrir largement les frontières aux candidats à l’immigration. Tous avancent comme panacée le codéveloppement, cette Arlésienne qui s’est jusqu’ici traduite par des opérations de rapatriement de clandestins en échange d’aides financières âprement négociées avec les pays d’origine. Tous assurent que l’aide financière accordée par la France aux pays africains sera conditionnée aux performances de ces derniers en matière de bonne gouvernance. Trois sur quatre se déclarent en faveur du vote des étrangers aux élections locales, sous certaines conditions (seul Le Pen y est hostile). Deux sur quatre (Sarkozy et Bayrou) annoncent la création d’un grand ministère de l’Immigration et de l’Intégration. Enfin, et comme pour rajouter à la confusion ambiante, la palme de l’altermondialisme revient à Jean-Marie Le Pen. Le candidat de l’extrême droite est le seul, avec les Verts et l’extrême gauche, à promettre un moratoire total de la dette des pays les plus pauvres !
Si le caudillo du Front national donne ainsi dans le tiers-mondisme cosmétique, c’est qu’il a un objectif : l’immigration zéro. Il est le seul à s’accrocher encore à ce mythe coupé de toute réalité, d’autant que sa réalisation impliquerait le rétablissement des frontières internes à l’Union européenne et une sanctuarisation aberrante de la France à l’heure de la mondialisation. Pour le reste, ce sera l’assimilation pour une minorité d’immigrés méritants et totalement francisés, et la précarité pour tous les autres. Première mesure : la carte de séjour de dix ans sera ramenée à trois ans maximum. Si Le Pen, dont l’immigration a toujours été le fonds de commerce, est le plus radical, Nicolas Sarkozy est celui qui présente le projet le plus élaboré. Et pour cause : il s’agit de la continuation de la politique qu’il mène en ce domaine, en tant que ministre de l’Intérieur, depuis plus de quatre ans. Son antienne, l’« immigration choisie » – qui a pris le relais d’une politique des quotas inapplicable et vite abandonnée -, a un petit côté père Noël et un fort aspect père Fouettard, directement inspirés de l’ouvrage de son conseiller en relations internationales Maxime Tandonnet, Immigration : sortir du chaos. Il s’agit d’attirer les meilleurs cadres et les meilleurs étudiants étrangers, ainsi que la main-d’uvre qualifiée la mieux adaptée au marché, en mettant en place comme au Canada un système de points. À la clé : une carte permanente de séjour « pour les étrangers installés depuis longtemps et qui respectent nos lois et nos principes ». Voilà pour les sucettes. La pilule, elle, est amère. Le candidat promet de poursuivre et de renforcer les expulsions de sans-papiers, lesquels se verront frappés d’une interdiction de revenir en France. Les pays d’origine seront directement « responsabilisés », puisque la politique de délivrance des visas sera soumise à leur bonne (ou mauvaise) volonté en matière de récupération de leurs propres clandestins. Sarkozy annonce qu’il fera tout pour que l’attribution des visas Schengen dépende d’un réseau consulaire européen unique aligné sur les positions les plus strictes – idem pour les procédures d’asile. Enfin, tout continuera d’être fait pour retarder et complexifier les regroupements familiaux (à défaut de les interdire, ce qui serait contraire aux conventions internationales sur les droits de l’homme) afin que « vivre en France soit un projet fondé sur le travail, pas sur le bénéfice des prestations sociales ». On le voit : le traitement policier de l’immigration, la volonté de renforcer les mailles autour des clandestins et celle, sous-jacente, de culpabiliser a priori les migrants potentiels, l’emportent en définitive sur tout le reste.
L’immigration choisie, le candidat centriste François Bayrou ne l’aime pas : « C’est un leurre, dit-il, un concept vide. Elle s’ajoute à l’immigration subie, elle ne la remplace pas. » Une petite phrase ambiguë, à l’image du programme, plutôt vague, qu’il propose en la matière. S’il est pour l’expulsion « le plus vite possible, avant qu’ils ne créent des liens familiaux » des étrangers non admis, Bayrou envisage la régularisation « sous certaines conditions » des clandestins après cinq années de présence sur le sol français. Son originalité – à défaut de vraie politique : il est celui des candidats qui insiste le plus sur la lutte contre les réseaux de passeurs et le travail clandestin. Celui aussi qui prône avec le plus d’insistance l’intégration par l’apprentissage de la langue et des « valeurs » de la République (laïcité, égalité des sexes, etc.). C’est tout. Et c’est assez sommaire. Reste Ségolène Royal, bien sûr. Son démarquage d’avec Nicolas Sarkozy est net et c’est sans doute ce qui constitue l’ossature de son programme au chapitre immigration. Faire de l’anti-Sarkozy et revenir sur la plupart des mesures appliquées ou prônées par le ministre de l’Intérieur lui tient lieu, en grande partie, de projet. Et cela même si, prudente, elle se garde bien de préconiser la moindre procédure de régularisation globale des sans-papiers du type 1981 (130 000 régularisés) ou même 1997 (80 000). « Il n’est pas question d’ouvrir purement et simplement nos frontières », répète la candidate socialiste, dont le projet de création de centres éducatifs renforcés avec encadrement militaire pour les « mineurs violents » (dont beaucoup sont des enfants d’immigrés) inquiète nombre de militants associatifs des quartiers sensibles. Côté propositions, pourtant, certaines sont franchement novatrices et s’éloignent du tout sécuritaire et de la bonne conscience sarkoziste : institution d’un « visa saisonnier » avec allers et retours multiples sur plusieurs années, création d’une Haute Autorité du pluralisme spécifiquement chargée de veiller au pluralisme dans les médias, introduction d’un enseignement sur l’histoire de l’esclavage et de la colonisation dans les programmes scolaires, rétablissement de la règle des dix ans de présence sur le sol français comme critère de régularisation des quelque 400 000 sans-papiers. Signe des temps, néanmoins – et du durcissement de l’enjeu migratoire -, l’immigration est unanimement considérée comme un problème, voire un fléau qu’il convient selon les candidats de réguler, de contenir, de tarir ou d’interdire. Aucun, pas même Ségolène Royal, à la différence du François Mitterrand de 1981, n’a désormais le courage de dire qu’elle demeure pour la France une chance indispensable au maintien de sa croissance et au rajeunissement de sa population.

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