Edgard Pisani

Ancien ministre français

Publié le 5 mars 2007 Lecture : 3 minutes.

L’homme est cérémonieux, solennel, et a une haute idée de lui-même : « Avec moi, vous avez une vision du monde. Je ne suis pas un politicien de quartier. » C’est vrai qu’Edgard Pisani, 88 ans, qui nous a rendu visite le 26 février, a connu les plus hautes sphères de l’État : préfet, député, sénateur, ministre – sous de Gaulle et Mitterrand – et commissaire européen. De 1988 à 1995, il dirige l’Institut du monde arabe (IMA). Il se dit social-démocrate. Edgard Pisani, c’est une page d’histoire, celle de la Ve République.
Iconoclaste, il n’a pas peur de sortir du clivage gauche-droite habituel, bien au contraire. Révolté mais pas révolutionnaire, il s’est fait une devise : replacer les choses dans leur complexité et échapper aux dichotomies habituelles. Ainsi de la question israélienne. « Ce n’est pas Israël en soi qui pose problème, dit-il. C’est le sionisme d’Israël, qui se comporte non pas comme une terre de refuge, mais comme une terre de conquête. »

Pisani se définit volontiers comme un « esprit libre » et ne craint pas de choquer. Concernant l’aide aux pays africains, il soutient que les pays donateurs ont le droit et le devoir de contrôler l’usage que les bénéficiaires en font afin de mettre fin au « gaspillage » auquel on assiste depuis des décennies. La campagne présidentielle française ? Accablante. On demande aux candidats de se prononcer sur des questions qui ne relèvent pas du président de la République et on ignore les questions de politique étrangère… La politique africaine de la France ? Consternante. « La France n’a pas su se décoloniser la tête, ni se libérer de son propre héritage au profit d’une relation tout à fait nouvelle avec l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord. » Et de déplorer le rôle que les colons, ou fils de colons, ont essayé de garder en Algérie et en Côte d’Ivoire.
L’évolution de l’Union européenne ? Décevante. L’Europe espace économique a pris le dessus sur l’Europe réalité politique. S’il admet que la Turquie peut avoir sa place dans cet espace économique, sa participation politique est plus problématique. Sa culture n’est pas celle du Vieux Continent. Pisani va jusqu’à suggérer que l’Europe n’occupe qu’un siège au Conseil de sécurité de l’ONU ; ce qui suppose que la France et le Royaume-Uni cèdent le leur. Européen convaincu, il n’oublie pas pour autant qu’il est français. L’Europe n’a pas vocation à devenir une patrie. Les nations doivent coexister avec cette Europe en construction.
La France, Pisani a passé sa vie à son service. Plus de soixante ans aux affaires. Son engagement date de la Seconde Guerre mondiale pendant laquelle il s’est engagé dans la résistance. Né en 1918 en Tunisie, de parents maltais originaires de Venise, Pisani est arrivé en France à l’âge de 20 ans pour faire ses études. Six ans plus tard, en 1944, il est le plus jeune sous-préfet de France avant d’être nommé directeur de cabinet du préfet de police puis directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur en 1946. Sa carrière de haut fonctionnaire lancée, il passera sa vie au service de l’État.
Aujourd’hui, cette France, il la souhaite, à sa manière, accueillante et ouverte à la diversité. Si un pays a le droit de refuser l’accès à son territoire, il doit en revanche faire en sorte qu’une fois sur son sol les étrangers ne soient pas tentés par le repli identitaire, religieux ou linguistique. Le droit de vote au niveau des collectivités locales doit leur être reconnu.

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Fort de sa longue expérience, Pisani se sent investi d’une responsabilité morale envers les générations futures. Son dernier livre, Vive la Révolte !, il l’a écrit pour ses petits-enfants. Pour leur dire que la politique, c’est la médiation et non la détention d’un pouvoir. Homme de conciliation, il aura essayé, lorsqu’il était proche conseiller de Mitterrand, d’éviter la première guerre du Golfe, en 1991. Aujourd’hui, il redoute une attaque américaine contre l’Iran.
Fidèle à ses principes, le « vieil homme » philosophe et constate l’évolution du monde : « Je ne me suis jamais renié, dit-il, mais je me demande si ce n’est pas le monde autour de moi qui a changé. »

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