Combien d’étrangers ?

Publié le 5 mars 2007 Lecture : 3 minutes.

A écouter les déclarations de certains hommes politiques, et pas seulement à l’extrême droite, la France serait submergée par des vagues d’immigrés. Une bonne partie de l’opinion en est convaincue, et les images répétées de clandestins défiant les flots de l’Atlantique ou de la Méditerranée sur des embarcations de fortune n’ont évidemment pas contribué à démentir les préjugés sur la question. Les chiffres sont difficiles à manier, tant les notions sont imprécises ou varient d’un pays à l’autre. En France est considérée comme immigrée une personne née étrangère dans un pays étranger. Si la même personne acquiert la nationalité française, elle reste immigrée au regard des classifications. Ses enfants, en revanche, ne sont plus des immigrés dès lors qu’ils naissent en France.
En 2006, l’Insee a rendu publique une série de données démographiques parmi lesquelles le nombre des immigrés, évalué à 4,93 millions, soit 8,1 % de la population totale de l’Hexagone (61 millions). Mais ce total exclut la plupart des moins de 18 ans, qui, nés en France, sont considérés comme français. Pour certains spécialistes, il faut donc comparer ce qui est comparable, donc calculer le rapport entre les immigrés de plus de 18 ans et la population totale de plus de 18 ans. Ce qui donne un pourcentage de 9,9 %. Quoi qu’il en soit, la France ne fait pas partie, loin s’en faut, des pays européens où le poids de l’immigration est le plus élevé. Avec, pour simplifier, un taux de 10 %, elle est en dessous de la Belgique (environ 11 %), de la Suède (12 %), de l’Allemagne et de l’Autriche (12,5 %). Tout juste dépasse-t-elle le Royaume-Uni (8,3 %). Mais, surtout, la France est une terre d’immigration déjà ancienne, dont près de la moitié des résidents d’origine étrangère ont acquis la nationalité de leur pays d’accueil, à la différence de l’Europe du Sud où l’arrivée de travailleurs étrangers a pris, au cours des dernières années, la forme d’une intrusion massive.
Comme le montre dans un livre récent* François Hérard, directeur de l’Institut national d’études démographiques (Ined), le tableau démographique français exprime clairement cette réalité. La population augmente chaque année d’environ 365 000 habitants, un chiffre obtenu en additionnant le solde naturel, qui est de 260 000 individus (800 000 naissances moins 540 000 décès), et le solde migratoire, voisin de 100 000 (200 000 entrées pour 100 000 sorties). Les mouvements migratoires contribuent donc pour moins de 30 % à la croissance de la population, alors que ce taux est de 85 % en moyenne dans l’Europe des Vingt-Cinq (chiffres de 2004). S’il y a une exception française, elle est bien là.
Reste, évidemment, la question des clandestins. En 2003, le gouvernement estimait à 30 000 le nombre annuel d’entrées illégales. Chiffre forcément très inférieur à la réalité, ne serait-ce que parce que les déboutés du droit d’asile sont à eux seuls 50 000 et qu’une bonne partie d’entre eux restent dans l’Hexagone. Pour ce qui est du « stock » de clandestins, c’est-à-dire leur nombre cumulé au fil des ans, diminué des départs ou des régularisations, le ministère de l’Intérieur donnait, en 2006, la fourchette de 300 000 à 400 0000 personnes. L’association Droits devant parle pour sa part de « 500 000 sans-papiers ». Cette évaluation, qui renvoie au rayon des aberrations le million et demi de clandestins évoqué par le Front national, est corroborée par la plupart des experts.
Rapporté à la population totale, le solde migratoire représente 1,7 pour mille. Si l’on y ajoute les irréguliers (100 000 plus 50 000), le taux passe à 2,5 pour mille. Comme dit l’autre, ce n’est pas la mer à boire pour un pays qui a connu des taux autrement plus élevés (jusqu’à 3,5 pour mille) dans les décennies 1960 et 1970. Mais, surtout, avec le vieillissement et l’augmentation des décès, et même si sa natalité reste l’une des plus vigoureuses en Europe, la France aura un solde naturel négatif dans un quart de siècle. Seule une arrivée importante de migrants empêchera sa population de diminuer. Les hommes politiques qui prétendent diriger ce pays s’honoreraient de dire cette vérité à leurs concitoyens.

* Le Temps des immigrés. Essai sur le destin de la population française, Le Seuil, 112 pages, 10,50 euros.

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