Au royaume des flambeurs
Loto, PMU ou Totofoot, les jeux de hasard sont en plein boom. Pour le plus grand profit de l’État.
Il ne rêve que d’une chose : décrocher un jour le jackpot. Depuis qu’il est à la retraite, Abdesslam, un ancien commerçant casablancais, avoue, un peu gêné, consacrer les trois quarts de ses économies aux jeux de hasard : « Le PMU, un jour sur deux et, quotidiennement, le Quatro, le Keno et, bien sûr, le Loto, mais ne le dites surtout pas à mon épouse. » Ladite épouse accepte de plus en plus difficilement qu’il consacre chaque mois à sa passion jusqu’à 900 DH (plus de 80 euros). Et, surtout, qu’il tape à l’occasion dans ses propres économies. D’autant qu’il n’a, à ce jour, à peu près rien gagné !
Comme lui, ils sont, au Maroc, des milliers de « flambeurs » réguliers, sinon compulsifs. Courses de chevaux ou jeux de grattage à gain immédiat, tout est bon. « Ce sont des habitués. Certains viennent chez moi tous les jours pour parier et regarder Equidia, la chaîne du cheval », explique Abdallah, gérant d’un café du boulevard Zerktouni, à Casa. Ces turfistes frénétiques vivent au rythme des courses de chevaux qu’ils suivent à la télévision, en direct des hippodromes parisiens de Vincennes, Longchamp, Saint-Cloud ou Auteuil. Certains en vivent. « Ce sont des experts qui ont les moyens de miser systématiquement des sommes importantes et connaissent comme personne les petites et grosses combines du milieu hippique », s’extasie Abdallah. Mais il s’agit évidemment d’une toute petite minorité. La plupart sont des perdants.
En semaine, les turfistes se retrouvent généralement à la mi-journée. Dans le café du boulevard Zerktouni, l’ambiance est à la fois tendue, électrique et un peu glauque. L’attente du très hypothétique « gros coup » creuse les traits des parieurs. Le départ vient d’être donné. Abdelhadi (43 ans) a les yeux rivés sur le petit écran, placé pour l’occasion sur le comptoir. Le monde extérieur a cessé d’exister. Deux ou trois minutes plus tard, il jure entre ses dents. Comme d’habitude, ou presque, il a perdu. Rares sont ici ceux qui parviennent à « faire les frais », à équilibrer à peu près pertes et gains. « C’est une dépendance, une maladie comme l’alcoolisme ou la toxicomanie. Je n’ai pas le choix, plus je perds et plus je me sens obligé de continuer », se désole Abdelhadi, qui, quand il ne joue pas aux courses, enseigne à l’université.
Il y a des cas beaucoup plus dramatiques que le sien, comme celui de ce conducteur de car, qui, criblé de dettes, a fini par se suicider, à 29 ans. La passion du jeu dévore d’ailleurs de plus en plus les jeunes. « C’est vrai, on voit beaucoup d’adolescents qui, à la sortie du lycée, tentent leur chance, reconnaît Mustapha, buraliste à Oujda. Mais ils ne cherchent qu’à gagner un peu d’argent et à se divertir. » Pourtant, les spécialistes de la santé s’inquiètent de la multiplication de ces jeunes joueurs occasionnels, plus fragiles psychologiquement que les adultes. « Si on ne réagit pas maintenant, on aura dans quelques années un vrai problème de santé publique », confirme un médecin de la région d’Oujda.
En attendant, les jeux de hasard rapportent de plus en plus d’argent à l’État. Trois sociétés publiques se partagent actuellement le marché : La Marocaine des jeux et des sports, qui gère notamment les paris sur les matchs de football par le biais du très populaire Totofoot, la Loterie nationale et la Société royale d’encouragement du cheval (SREC), qui dépend du ministère de l’Agriculture et du Développement rural. Cette dernière, qui détient le monopole des paris sur les courses de chevaux et de lévriers, réalise un chiffre d’affaires avoisinant 1,5 milliard de DH (135 millions d’euros) par an. Celui de La Marocaine des jeux, qui exploite des jeux de grattage à gain immédiat et des loteries instantanées comme Bravo, Manda, Bingo ou Fooz, a atteint près de 280 millions de dirhams en 2004. Et celui de la Loterie nationale, spécialisée dans les jeux de hasard à numéros, plus de 500 millions de dirhams, dont 256 millions pour le seul Loto. La moitié de cette somme a été redistribuée aux gagnants. Comme dit le célèbre slogan de la Française des jeux, 100 % des gagnants ont tenté leur chance. Hélas ! 100 % des perdants aussi.
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