Anatomie d’une victoire

Publié le 5 mars 2007 Lecture : 4 minutes.

On savait Wade politicien madré, on a découvert un chef d’État sûr de son fait. Après son dernier meeting à Dakar, le 23 février, le président sortant, fatigué mais détendu, invite la presse internationale au palais. Le message est clair, direct, sans fioriture : « Je gagnerai dès le premier tour. » Certains des communicants qui entourent le « Vieux » ont bien du mal à masquer leur malaise devant tant d’assurance. « En cas de second tour, comment va-t-on expliquer ce qui s’apparentera à un camouflet ? » s’interroge l’un d’eux, sans doute moins initié que ses collègues aux arcanes du pouvoir et aux réalités sociologiques du pays. Aucune explication ne sera finalement nécessaire. « Le président sortant a de l’expérience et il est écouté au plan international. Vu son âge [81 ans], nous allons lui donner une seconde chance pour continuer ce qu’il a entrepris », explique un jeune étudiant, après avoir glissé son bulletin dans l’urne, à Thiaroye, une commune de la banlieue populaire de Dakar. « En 2000, les Sénégalais ont voulu le changement après quarante ans de socialisme. Nous allons poursuivre sur ce chemin, car il reste beaucoup à faire », ajoute Dico Mandiang, un trentenaire au chômage qui « mène ses propres affaires pour nourrir sa famille ». Tout au long des vingt et un jours de campagne, Wade a clairement senti cette envie de continuité, mais avec un bail à durée limitée. « Je n’ai pas à exposer mon programme ni à dresser un bilan. Chacun peut constater ce que j’ai réalisé. Ma volonté est de poursuivre ce qui a été fait pour préparer le Sénégal de demain », expliquait-il sur les estrades de campagne. Le message a été reçu.
Il a été rarement question du mandat présidentiel de cinq ans. Le calendrier du chef de l’État s’arrête pour l’instant à 2008, après le sommet de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI) prévu en mars de cette année-là. « Dans deux ans, les Dakarois pourront circuler. Dans deux ans, il y aura un nouvel aéroport international, dont le financement est déjà obtenu. Dans deux ans, grâce aux biocarburants, les paysans vont devenir des pétroliers. Dans deux ans, les Sénégalais n’auront plus à se cacher des policiers pour émigrer grâce aux accords conclus avec l’Espagne », a martelé sans cesse le chef de l’État sortant. Le délai des promesses a été raccourci. De quoi susciter l’enthousiasme et une nouvelle vague d’espoir. L’homme de l’an 2000 n’a pas changé et n’a rien perdu de son pouvoir de séduction. Tribun hors pair, il galvanise les foules. Les slogans font mouche. Le microcosme politico-médiatique dakarois n’a rien vu venir. Et, au final, les « victimes » sont nombreuses.
Malgré une campagne active, Ousmane Tanor Dieng, le premier secrétaire du Parti socialiste (PS), n’a pas réussi à inverser la tendance et faire oublier la claque subie il y a sept ans. Il termine sur la troisième marche du podium. Réveil tardif des troupes, scissions et divisions, les socialistes étaient partis affaiblis. Ils perdent plus de 25 points par rapport à 2000. Avec un score de 31 % en 2000, Abdoulaye Wade fait un bond de 20 points. Même si, entre-temps, l’électorat a quasiment doublé, ce résultat a d’abord provoqué l’abattement puis la colère dans les rangs socialistes. Après avoir dénoncé un « coup de bluff » lorsque le Premier ministre Macky Sall annonçait, dès dimanche soir, un score au-delà des 50 % pour son candidat, la garde rapprochée de Tanor a sonné la charge deux jours plus tard. « Nous venons d’assister à l’élection la plus tronquée de notre histoire », a martelé la porte-parole du candidat, Aissata Tall. Avant d’ajouter, « quand les fraudeurs sont les organisateurs du scrutin, les résultats sont connus à l’avance ». Le PS accuse notamment les autorités d’avoir délibérément retenu entre 200 000 et 300 000 cartes d’électeur, non remises à leurs titulaires, pour finalement les distribuer le jour du vote à des sympathisants du Parti démocratique sénégalais (PDS). « C’est impossible, car l’identité apparaît clairement sur les cartes d’électeur et les feuilles d’émargement. Il ne peut y avoir confusion », répond Cheikh Gaye, le directeur des élections au ministère de l’Intérieur en poste depuis dix ans. En fin de journée, les bureaux de vote étaient plongés dans la pénombre, répliquent les socialistes. une preuve supplémentaire pour appuyer les allégations de fraudes et douter véritablement de la sincérité du scrutin ?
« Notre combat se situe au-delà. Nous voulons surtout alerter l’opinion internationale et ressouder nos militants avant les élections législatives de juin prochain », confie un proche du candidat PS qui ne se fait guère d’illusions sur l’issue des éventuels recours en annulation auprès du Conseil constitutionnel. Du fait de l’effondrement des « éléphants sans défense » de l’opposition – Moustapha Niasse, Robert Sagna, Abdoulaye Bathily et Landing Savané -, Tanor se positionne comme un leader incontesté. Âgé de 60 ans, en situation pour prendre date dans la perspective de l’après-Wade, il va devoir malgré tout compter avec Idrissa Seck. Arrivé en seconde position, ce dernier a fait mentir ceux qui doutaient de son poids électoral.

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