Ainsi parle Simone

Publié le 5 mars 2007 Lecture : 4 minutes.

Rédigé avec l’aide technique de quelques journalistes ivoiriens amis et de la Française Liliana Lombardo, ancienne responsable du RPR (aujourd’hui UMP) à Abidjan et proche de Simone Gbagbo, le livre-témoignage de la première dame de Côte d’Ivoire publié ces jours-ci à Paris, est censé « dévoiler le dessous des cartes » de la crise ivoirienne et « dénoncer tous ceux qui tentent de mettre à genoux ce pays souverain ».
Sur le premier de ces deux points, le lecteur restera sur sa faim. En dehors de l’évocation récurrente d’un « vaste complot international avec de solides ramifications locales » ourdi par ces « araignées de l’ombre » que sont « les vrais commanditaires » du conflit, on n’en saura pas plus – car aucun de ces Machiavels supposés n’est explicitement nommé. Aucune révélation donc, ni sur le bombardement de Bouaké, ni sur les escadrons de la mort, ni sur la disparition du journaliste Guy-André Kieffer, ni sur l’assassinat de son confrère Jean Hélène, le charnier de Yopougon, l’affaire des déchets toxiques ou l’assassinat du couple Gueï. Mais un plaidoyer en faveur de deux personnages – elle-même et son président de mari – dépeints par une « coalition maléfique » de médias, d’ONG et de politiciens « spécialistes en manipulations et en calomnies » sous les traits de « monstres horribles, capables d’organiser les massacres les plus sanglants ».
Sur le second point, en revanche, celui de la mise au pilori voire du tir à vue, Simone Gbagbo est beaucoup plus explicite, à en juger par ces quelques extraits :

Alassane Ouattara
Si elle ménage Houphouët, Bédié, Gueï et même Guillaume Soro (présenté comme un simple pion aux mains de forces occultes), l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara est à ses yeux une quasi-incarnation du diable. Après avoir dénoncé la « grande duplicité » du leader du RDR, Simone poursuit sur un ton incantatoire : « Ouattara s’est avéré un véritable fléau pour notre pays. Je pense à ce fétiche découvert en brousse, que le patriarche imprudemment ramène à la maison et qui décime tout le clan. [] Il est le souci majeur de notre pays. Il est celui qui l’a précipité dans le tunnel de la crise. Nous lui devons ce qu’il peut y avoir de pire : la xénophobie et le désordre. » Chez cette fervente évangéliste, la haine n’est pas loin. Tout comme affleure son mépris lorsqu’elle parle du Premier ministre Charles Konan Banny : « Ses échecs et ses dérives, écrit-elle, ont été plus retentissants encore que ceux de son prédécesseur. »

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Jacques Chirac
C’est la seconde cible de Simone Ehivet Gbagbo, celle qui lui permet d’exprimer toute l’ardeur de son nationalisme. « Le véritable adversaire, celui qui depuis le début nous attaque, bien caché derrière, c’est la France chiraquienne. Celle qui refuse de lâcher prise, d’abandonner la colonie. [] Le colon, pour nous peuple souverain attaqué, a un nom : Jacques Chirac. » Chirac, mais aussi « Michèle Alliot-Marie, Dominique de Villepin, Michel de Bonnecorse, Brigitte Girardin, Jean-Marc Rochereau de la Sablière, et j’en passe ». Ce sont eux « les véritables acteurs de notre crise ». Et c’est parce qu’il a dit « non à la mise sous tutelle, non à la recolonisation » que Laurent Gbagbo est devenu « leur cauchemar ».

Marcoussis
Conséquence de la volonté « prédatrice » de la France, les fameux accords de partage du pouvoir signés à Linas-Marcoussis en janvier 2003 sont l’une des causes directes du mal, selon Mme Gbagbo. « Ces accords sont mauvais, ils n’auraient jamais dû être signés ni même proposés. Les représentants du FPI, mon parti, les ont signés, mais ils ont eu tort de le faire. Plus jamais un État africain ne devra être traité comme la Côte d’Ivoire l’a été. »

Dieu, Laurent et moi
À défaut d’évoquer les perspectives de sortie de crise, Simone l’amazone ne s’attendrit (un peu) que lorsqu’elle parle de son enfance, de son père qui a su lui donner sa chance, de son époux Laurent et de Dieu. De Gbagbo, à qui elle dédie son livre, la première dame dit qu’il « continue à l’épater », elle sa « compagne de galère », son « amie de toutes les luttes, des temps de braise, de la clandestinité et du bonheur des naissances ». Laurent, poursuit-elle, « n’a jamais eu l’esprit étriqué. Il n’est pas un homme de caste, il n’est ni rosicrucien, ni franc-maçon, ni françafrique de la civilisation de la liasse ».
Certes. Mais il y a une faille dans cet cuménisme consensuel : la référence constante, presque hallucinée, sincère sans nul doute mais finalement inquiétante, de Mme Gbagbo au Dieu des chrétiens. « Dieu nous a donné l’ordre et la consigne de posséder notre pays », écrit-elle, « Dieu a béni notre combat » et il revient aux Ivoiriens de « prier davantage » afin que « le sang du Christ vienne sanctifier la Côte d’Ivoire ».
Simone voit la main de Dieu partout : derrière la solution à apporter à la rébellion armée, derrière le choix du futur président et même derrière la toute dernière résolution de l’ONU sur la crise ivoirienne. À peine connu le matricule de cette dernière – la 1721 -, la première dame s’est plongée dans l’Évangile de Jean, chapitre XVII, verset 21 : « Que tous soient un », y lit-on. « Signe de Dieu », conclut-elle. Dans un pays qui compte une forte proportion de musulmans, un tel tropisme évangélique n’est à l’évidence pas un facteur d’union. Quoique Après avoir raconté sa première rencontre mystique avec Jésus, lors d’un séjour dans une prison abidjanaise, en 1992, Simone Gbagbo explique qu’elle en fut apaisée au point de ne plus nourrir (provisoirement) d’animosité à l’encontre de Ouattara. « J’avais acquis la conviction que cet homme était dangereux, sans scrupule, sans foi ni loi. Mais avec surprise, je découvris que je n’avais pas de rancur contre lui. » Comme quoi, les miracles existent

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