Un manifeste contre la maladie

Pour faire face au fléau du sida, le ministre camerounais de la Santé publique préconise, dans un livre, une remise en question de certaines traditions africaines.

Publié le 5 février 2007 Lecture : 4 minutes.

On peut lire Le Sida en terre d’Afrique*, d’Urbain Olanguena Awono, pour ce qu’il est : un essai-manifeste écrit par un important acteur de la lutte contre l’épidémie en Afrique subsaharienne, et plus particulièrement au Cameroun, où il occupe la fonction de ministre de la Santé publique depuis 2001 (le taux de prévalence de ce fléau dans le pays atteignait 5,5 % en 2005). On peut le lire également comme l’une des rares contributions d’un responsable politique de la région du globe la plus touchée par la maladie. Bien plus qu’une énième étude sur les ravages du sida sur le continent, cet ouvrage bouscule les tabous et évite tous les clichés véhiculés par quelques auteurs non africains. Il était donc naturel qu’Urbain Olanguena Awono rende visite à Jeune Afrique, muni de son ouvrage, qui connaît un honorable succès de librairie : sept cents exemplaires vendus en dix jours.
Tout ministre de la Santé qu’il est, Urbain Olanguena Awono n’est pas un spécialiste. C’est en économiste – il est entré au gouvernement camerounais en tant que secrétaire d’État à l’Économie et aux Finances – confronté au monde de la recherche médicale et pharmaceutique qu’il aborde son sujet. Si son exposé, pudique et dénué de lyrisme, emprunte parfois au langage administratif, sa plume peut aussi trahir au détour d’une formule une grande sensibilité teintée d’indignation. Il faut dire que la situation est alarmante : depuis l’apparition de ce fléau en Afrique, l’espérance de vie y a baissé en moyenne de près de dix ans.
Comme mû par l’instinct de survie, l’auteur dresse un constat, interpelle et préconise des solutions. Sans prendre de gants. « L’Afrique subsaharienne doit s’interroger sur les raisons qui en font le terreau privilégié de l’épidémie du VIH, écrit-il. Cette partie de la planète ne peut plus faire l’économie d’une autocritique. […] Sans correction appropriée de ces faiblesses, le continent s’acheminerait lentement, mais sûrement, vers un suicide collectif. » Car selon lui, c’est le « magma de préjugés » qui empêche de combattre une maladie « qui se propage sous une chape épaisse de silence hypocrite et coupable, et dont l’une des principales stratégies de lutte est critiquée par les tenants de la morale ». Pour Urbain Olanguena Awono, il est plus que temps de « dépoussiérer » les traditions africaines.
Tout d’abord, le statut social des femmes. En situation d’infériorité et de dépendance par rapport à leur partenaire, elles n’ont pas le droit de « négocier leur sexualité » et ne peuvent donc se prémunir contre les risques de contamination. Il arrive même qu’un veuf ait parfois le droit d’épouser la sur de sa conjointe décédée dont on néglige les causes de la mort. À l’inverse, la veuve peut être remariée à un des frères du conjoint emporté par une maladie qu’on feint d’ignorer. Résultats : 57 % des personnes infectées en Afrique subsaharienne sont des femmes. Bien d’autres facteurs entretiennent les chaînes de contamination : les pratiques traditionnelles d’échangisme, les rites initiatiques, les épreuves de virilité se déroulant avec plusieurs partenaires, les circoncisions pratiquées en dehors des hôpitaux, etc.
Également sur le banc des accusés, les « marabouts » et les charlatans qui, en dépit du diagnostic clinique du sida, préfèrent évoquer une maladie « mystique » qui rassure davantage le patient et sa famille. Et les lave du sentiment de culpabilité et de honte, la « stigmatisation » dénoncée par l’Onusida. Au final, « si le malade meurt, sa dignité ainsi que celle de sa famille sont sauves ». L’auteur n’épargne pas non plus les chercheurs qui annoncent, de manière hâtive, la découverte d’un « vaccin » ou d’un traitement sans réelles démarches scientifiques. Lorsque le ministère de la Santé exige des garanties, les adeptes du « remède miracle » l’accusent de faire le jeu des multinationales pharmaceutiques qui n’admettent aucune autre avancée que celle sortie de leurs laboratoires.
Urbain Olanguena pointe également du doigt la faiblesse du système de santé africain, fragilisée par les départs massifs des médecins et des infirmiers formés à grands frais par les États. Le continent compte 4 % du personnel sanitaire mondial et le taux d’émigration du personnel soignant peut atteindre des chiffres records. S’il n’est que de 3 % au Cameroun, il est de 37 % en Afrique du Sud. Et il n’existe, en moyenne, que 2,3 travailleurs dans le domaine de la santé pour 1 000 personnes en Afrique, contre 18,9 en Europe et 24 en Amérique du Nord. À cet exode vers l’Occident s’ajoute le manque d’infrastructures sanitaires en partie dû au ralentissement, dans les années 1980, des investissements dans un secteur jugé « non productif ».
Mais l’Afrique, terre de foi, n’échappe pas non plus au poids de l’Église catholique et de l’islam dont certains membres condamnent, comme d’une seule voix, l’usage des contraceptifs et du préservatif. Quand ce ne sont pas les Églises évangéliques qui prétendent guérir les malades par les prières et ne les envoient se soigner dans les hôpitaux qu’une fois en phase terminale.
Enfin, Urbain Olanguena Awono en appelle à une meilleure gouvernance des États et à une meilleure gestion de la part des ONG. Tant il est vrai – et le livre ne s’attarde guère sur ce point – que les organisations internationales destinent le plus souvent les fonds affectés à la lutte contre le sida à un usage éloigné des réels objectifs de santé publique. Vaste problème, qui pourrait bien faire l’objet d’un prochain livre.

* Le Sida en terre d’Afrique. L’Audace des ruptures, éditions Privat, 182 pages, 15 euros.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires