Il y a du tonus dans le cacao
Après avoir connu une longue déshérence, la filière cacao en Côte d’Ivoire se restructure. Distribution de meilleurs revenus aux paysans, amélioration de la qualité des fèves… Les progrès sont déjà sensibles.
Au début des années 1980, le père de la nation ivoirienne, Félix Houphouët-Boigny, a cru pouvoir asseoir définitivement la suprématie de son pays – et son endettement – sur le cacao, dont les cours atteignaient des sommets. Mal lui en a pris, car la dégringolade des prix a plongé la Côte d’Ivoire dans une grave crise économique. Une guerre civile, dont les armes ont été financées par les précieuses fèves, s’en est ensuivi.
La libéralisation du secteur à la demande du FMI et de la Banque mondiale, la disparition de la célèbre Caisse de stabilisation et la multiplication des acteurs ont encore aggravé l’opacité de la filière. Avec les prédations qui en ont résulté, la rémunération des planteurs est tombée à 25 % du prix d’exportation, l’une des plus basses au monde.
Dès son arrivée à la présidence, Alassane Ouattara a engagé une profonde réforme de la filière. Elle est à la fois vitale pour les entrées de devises – les recettes du cacao et du café représentent 15 % du PIB du pays – et pour le monde rural, puisqu’un quart de la population vit peu ou prou du cacao.
Le cacao n’est pas la culture de rente la mieux valorisée sur le marché mondial
« Les producteurs, dont 60 % ont plus de 60 ans, ne gagnaient plus leur vie, explique Mamadou Sangafowa Coulibaly, le ministre de l’Agriculture. Ils n’entretenaient plus leurs vergers et se tournaient vers d’autres cultures de rente, alors que le cacao, dont la Côte d’Ivoire assure plus d’un tiers de la production mondiale, demeure une culture économiquement et socialement stratégique. »
Fluctuations
Depuis le 31 janvier 2012, une réforme ambitieuse a donc été mise en place : création d’un prix minimum garanti pour le planteur correspondant à 60 % du prix CAF (coût, assurances, fret), ainsi que d’un fonds de réserve pour assurer le versement de ce prix minimum malgré les fluctuations des cours mondiaux ; institution d’un marché à terme géré par l’État et des opérateurs privés, qui stabilise les prix pour les chocolatiers et assure la transparence du marché ; aménagement des pistes pour faciliter le transport des fèves vers les ports d’Abidjan et de San Pedro ; réduction des coûts des intermédiaires, ce qui a permis une baisse de la parafiscalité.
« Lors de la première campagne, nous avons fixé le prix à 725 F CFA [1,10 euro] le kilo et 1 176,059 milliards de F CFA ont été distribués aux producteurs, poursuit le ministre. Pour la deuxième campagne qui commence, ce prix a été fixé à 750 F CFA. Tous les transformateurs vous le confirmeront, l’entretien des vergers s’est amélioré, et avec lui la qualité des fèves, au point que certains n’ont plus besoin de les usiner. La réforme a été un succès. Il faut désormais la consolider et l’étendre à l’anacarde [noix de cajou] et au coton. »
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Rebond
Barry Callebaut, leader mondial des produits à base de cacao et de chocolat de qualité supérieure, confirme que les paysans ont amélioré leurs techniques de fermentation des fèves. « C’est un succès, car une réelle volonté politique a accompagné la mobilisation du secteur privé, estime Laurent Pipitone, directeur de la Division économie et statistiques à l’Organisation internationale du cacao (ICCO).
Deux problèmes avaient alerté les autorités : le travail des enfants dans les plantations et le risque que la désaffection des agriculteurs pour les cacaoyères n’aboutisse à une pénurie de matière première. » Ainsi, Barry Callebaut a calculé que, faute d’un rebond de production, il lui manquerait 1 million de tonnes en 2020 pour fabriquer ses beurres et ses poudres. Parvenus aux mêmes conclusions, Cargill ou ADM, ses concurrents, cherchent eux aussi à améliorer l’environnement des planteurs (santé, éducation…) pour les persuader de rester en brousse et d’acquérir de meilleures compétences techniques.
Tout n’est pas parfait pour autant. « On est encore loin de crier victoire, nuance Laurent Pipitone. La population des planteurs ne se renouvelle pas vraiment. Et on assiste au même phénomène au Ghana ou au Vietnam, car le cacao n’est pas la culture de rente la mieux valorisée sur le marché mondial. » De fait, les agriculteurs se demandent en permanence s’ils ont intérêt à poursuivre une culture beaucoup plus exigeante que celle de l’hévéa ou du palmier à huile.
Transformation
Reste enfin l’épineuse question de la transformation locale. Le gouvernement souhaiterait que les industriels transforment sur place 50 % des exportations (contre 30 % aujourd’hui) et que les chocolats prêts à la consommation supplantent les produits semi-finis. « D’autant que le marché africain demande à être développé. Nous devons offrir à toute une classe moyenne en expansion un chocolat adapté à ses goûts », indique le ministre de l’Agriculture, qui a inauguré le 19 décembre 2013 à Perpignan (sud-ouest de la France) un laboratoire du chocolatier Cémoi, dont les chercheurs se fixent pour objectif de déterminer les saveurs les mieux adaptées aux palais africains.
En arrière-plan subsiste un conflit fiscal latent. Depuis trente ans, la Côte d’Ivoire favorise les sociétés qui transforment le cacao sur son sol. Alors que le droit unique de sortie différé (DUS) acquitté par les exportateurs de cacao brut est calculé sur le prix rendu CAF à Londres, celui acquitté sur les produits transformés est calculé à partir du prix de sortie d’usine, inférieur de 40 % au précédent.
Le ministre des Finances veut mettre fin à cette subvention qui a privé l’État de dizaine de milliards de F CFA de recettes. Son collègue de l’Agriculture argue que la mesure ne devait durer que cinq ans et qu’elle était uniquement destinée à compenser le traitement de fèves de qualité médiocre. Évidemment, les industriels du chocolat, qui ne veulent pas renoncer à leur avantage, invoquent la valeur ajoutée et les emplois qu’ils procurent au pays. Les négociations se poursuivent, mais sans acrimonie.
Séisme
Un problème d’une tout autre ampleur plane sur le cacao ivoirien. Le Ghana voisin, deuxième producteur mondial, qui conduit une politique monétaire laxiste, profite de son taux de change pour avantager ses produits. Et, notamment, rendre son prix d’achat du cacao plus intéressant que celui de la Côte d’Ivoire, contrainte à la plus stricte orthodoxie monétaire en raison de son appartenance à la zone franc.
Les autorités ivoiriennes pourraient donc légitimement se demander s’il ne serait pas plus avantageux de créer une zone monétaire avec des pays comme le Ghana et le Nigeria, dont l’économie est semblable à la leur. Dans ce nouveau cadre, le cacao ivoirien lutterait à armes égales avec son concurrent ghanéen. Si cette idée venait à s’imposer, la perspective d’une sortie de la Côte d’Ivoire de la zone franc provoquerait un séisme politique à Abidjan, dont les répliques se feraient sentir jusqu’à Paris.
Paris boude-t-il ?
La France serait-elle hantée par le souvenir des deux Sukhoï 25 qui bombardèrent Bouaké le 6 novembre 2004, tuant neuf militaires français – avions en partie financés par des fonds détournés du cacao (et du café) ? Toujours est-il que Paris se hâte lentement pour s’impliquer dans la renaissance de la filière cacaoyère ivoirienne. Certes, par la voix d’Yves Boudot, son directeur Afrique, l’Agence française de développement (AFD), se félicite que « la catastrophe annoncée n’ait pas eu lieu » et que « le monde agricole ivoirien ait fait preuve d’une étonnante résilience ».
Le Contrat de désendettement et de développement (C2D) signé entre la France et la Côte d’Ivoire prévoit d’affecter 630 millions d’euros à des projets divers, entre 2012 et 2015, dont 20 % consacrés au monde rural… mais pas directement au cacao. Les crédits iront à l’entretien des pistes, aux semences, aux centres de recherche et aux organisations de producteurs dans les cultures de rente, le caoutchouc et le coton ayant priorité sur le café et le cacao…
A.J.
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