Partira, partira pas ?

Chef de l’État pendant le processus de transition, Ely Ould Mohamed Vall a promis de prendre sa retraite après la présidentielle. Mais certains doutent encore de sa sincérité…

Publié le 5 février 2007 Lecture : 6 minutes.

Nouakchott, fin janvier. À moins d’un mois et demi de l’élection présidentielle du 11 mars, tous les regards sont tournés vers le palais présidentiel. Ancien directeur de la Sûreté et auteur, le 3 août 2005, avec ses seize compagnons du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD), du putsch qui mit fin à vingt et un ans de règne sans partage de Maaouiya Ould Taya, le colonel Ely Ould Mohamed Vall focalise l’attention. « Partira, partira pas ? » La question obsède la classe politique, mais aussi l’ensemble des Mauritaniens, habitués, hélas ! aux coups d’État et aux promesses non tenues.
Le discours prononcé par le chef de l’État le 27 janvier, lors de l’ouverture du sixième congrès de l’Association des maires, n’a certes pas levé toutes les incertitudes. Au début, « Ely », comme l’appellent ses compatriotes, s’est pourtant efforcé de se montrer rassurant, réitérant clairement la volonté des autorités de respecter le calendrier électoral du processus de transition et les engagements de neutralité du CMJD. C’était manifestement une réponse aux rumeurs faisant état d’un soutien présumé du pouvoir à l’un des candidats à la présidentielle : Sidi Ould Cheikh Abdellahi, ancien ministre de Mokhtar Ould Daddah et d’Ould Taya.
Mais un passage de son discours a mis le feu aux poudres. Évoquant, geste à l’appui, les différentes possibilités qui s’offrent aux Mauritaniens, le chef de l’État a paru privilégier le vote blanc – c’est ainsi, du moins, que son propos a été perçu. Morceau choisi : « Si vous ne voulez d’aucun des candidats, vous avez le droit, conformément à notre Constitution, d’exprimer votre rejet par un vote blanc. C’est ce que l’on appelle, en termes techniques, un vote de rupture. Qu’est-ce que cela implique ? Un nombre extrêmement élevé de votes blancs, qui ne permet à aucun des candidats d’obtenir la majorité absolue au second tour, signifie que le Conseil constitutionnel ne peut constater l’élection d’un président. Le vote est validé, le calendrier est respecté ainsi que la Constitution, mais le peuple mauritanien manifeste ainsi qu’il n’est pas intéressé par ceux qui ont sollicité ses suffrages et demande que d’autres choix lui soient proposés, par la suite. La date d’une nouvelle élection doit alors être fixée par le gouvernement. »
Dès le lendemain, la tension monte d’un coup dans les rangs de la Coalition des forces pour le changement démocratique (CFCD), l’ex-opposition. « Ce discours est une manière de montrer qu’il ne veut pas partir, c’est inquiétant », commente Messaoud Ould Boulkheir, président de l’Alliance populaire progressiste (APP), leader historique d’El-Hor, le mouvement de défense des Haratines (esclaves affranchis), et candidat à la présidentielle. Même son de cloche dans les rangs du Rassemblement des forces démocratiques (RFD) d’Ahmed Ould Daddah, demi-frère de Mokhtar, le père de l’indépendance, et figure de proue de la CFCD.
Lundi 29 janvier. Dans le quartier résidentiel de Tevragh Zeina, près du Stade olympique, Ould Daddah inaugure officiellement son QG de campagne. Plusieurs centaines de militants sont présents, assis sous de grandes tentes dressées pour l’occasion. L’inquiétude est à la hauteur des espoirs suscités par le changement du 3 août 2005. Après la rumeur Abdellahi, que certains présentent comme un homme « malléable » et « effacé », bref, comme la marionnette du CMJD censée permettre à ce dernier de tenir son engagement de se retirer tout en restant de facto aux affaires par son intermédiaire, un nouveau scénario sort des sables : aucun candidat n’obtenant la majorité, « Ely » et le CMJD restent aux affaires.
Un familier des arcanes du pouvoir soutient une autre thèse : « Il s’agit en fait, au sein du CMJD, d’une lutte entre Ely et le colonel Ould Abdel Aziz, qui dirige le Bataillon de la sécurité présidentielle [Basep]. » Soit les deux membres les plus éminents de cette instance, avec Abderrahmane Ould Boubacar, le chef d’état-major, et le colonel Ould Ghazouani, le chef de la Sûreté. Selon notre interlocuteur, « Abdellahi est le candidat d’Ould Abdel Aziz, pas celui d’Ely. Avec cette histoire de vote blanc, ce dernier a pu vouloir envoyer un signal aux Mauritaniens de manière à court-circuiter l’opération Abdellahi. Autre hypothèse : Abdellahi ne serait là que pour faire barrage à Ould Zeidane, l’ancien gouverneur de la Banque centrale soutenu à la fois par les Smassides, la tribu d’Ould Taya, et par les gens de l’Est, longtemps écartés des centres de pouvoir et qui veulent leur revanche. L’objectif serait qu’Abdellahi, de préférence à Ould Zeidane, soit opposé à Ould Daddah au second tour »
Les méandres de la politique mauritanienne sont décidément innombrables. Faute d’information, les hypothèses et les rumeurs les plus folles circulent. Les niveaux de lecture sont multiples. Mais, au bout du compte, personne ne sait rien.
Pour mettre un terme aux spéculations plus ou moins farfelues qui ont animé ce mois de janvier, Vall va finir par mettre les points sur les i. D’abord, lors d’une conférence de presse, le 30. Puis dans un entretien accordé à Jeune Afrique. « Je ne serai candidat à aucune charge élective, nous a-t-il expliqué. Après l’élection, je prendrai tout simplement ma retraite, tandis que les autres membres du CMJD continueront de servir l’État, conformément à la loi. Je n’ai pas appelé au vote blanc, mais demandé un vote de responsabilité et de citoyenneté. La décision appartient aux Mauritaniens, qui utiliseront toutes les possibilités que leur offre la loi, dont le vote blanc, mais pas seulement. » Selon lui, « la classe politique a pris l’habitude de fonctionner sur le mode de l’opposition au pouvoir, plutôt que de faire des propositions aux citoyens. Moi, je ne suis pour personne. Sauf pour celui qui sera élu, bien sûr ». Dont acte.
Une vingtaine de candidats sont aujourd’hui déclarés (voir ci-après). Le futur vainqueur se trouve sans doute dans une short-list de cinq ou six noms : Ahmed Ould Daddah (RFD), Sidi Cheikh Ould Abdellahi (indépendant), Zeine Ould Zeidane (indépendant), Messaoud Ould Boulkheir (APP), Saleh Ould Mohamedou Ould Hanena (Hatem), et, dans une moindre mesure, l’ancien président Mohamed Khouna Ould Haïdallah (indépendant). Ces « indépendants » forment une catégorie fourre-tout où l’on trouve aussi bien des nostalgiques de l’ancien régime que des islamistes, des affairistes que des « pouvoiristes », comme on dit ici pour désigner ceux qui attendent de connaître le ou les gagnants pour s’y rallier, volant ainsi au secours de la victoire…
La Mauritanie est à un tournant de son histoire. « On nous a promis le changement, explique Mohamed, la trentaine, et, au début, on y a cru. Tout a changé quand on a découvert la liste des candidats. Entre le vieux Ould Abdellahi, qui incarne le passé, des indépendants qui refusent le changement pour ne pas perdre les privilèges acquis au temps d’Ould Taya et des opposants qui n’ont d’autre ambition que de prendre leur revanche » Aujourd’hui, Mohamed n’y croit plus du tout. « Notre classe politique, dit-il, se divise en deux camps. Ceux qui ne veulent pas que les choses changent par peur de tout perdre ou d’être victime d’une chasse aux sorcières en cas de victoire d’Ould Daddah ou d’Ould Boulkheir. Et ceux qui étaient d’éternels opposants et se sont trouvés complètement démunis quand Ould Taya a été déposé. Ils n’avaient d’autre programme que de lutter contre lui. Ils ne sont nullement prêts à assumer des responsabilités, ils veulent seulement prendre le pouvoir. » Il est vrai que, jusqu’à présent, la campagne présidentielle n’a guère brillé par la qualité de ses débats ni l’ampleur des projets de société proposés aux Mauritaniens
La peur du vide, elle, est une réalité. « C’est la première fois que les Mauritaniens iront voter sans connaître à l’avance l’issue du scrutin, commente un diplomate européen en poste à Nouakchott. L’opposition entre une grande majorité qui veut que les choses bougent et une petite minorité qui n’y a pas intérêt mais contrôle nombre de leviers politiques ou économiques augure d’autres soubresauts avant l’élection. » Et, sans aucun doute, après. L’« heureux élu », quel qu’il soit, devra louvoyer entre les intérêts contradictoires des uns et des autres, se méfier des convoitises suscitées par la manne pétrolière et prendre garde à ne pas mécontenter l’armée. Il devra aussi prendre à bras-le-corps des problèmes jamais réglés jusqu’ici, comme le passif humanitaire, la place des Négro-Mauritaniens et des Haratines dans la société, les oppositions régionales ou la menace islamiste.
L’avenir est des plus incertains. La page Ould Taya n’est pas encore définitivement tournée et la suivante reste à écrire. Reste à savoir qui s’en chargera.

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