Le désarroi des généraux

Révélations de Haaretz : c’est l’ensemble de la hiérarchie militaire israélienne qui a été prise au dépourvu par la résistance du Hezbollah. Et réduite à l’impuissance.

Publié le 5 février 2007 Lecture : 6 minutes.

En déclenchant une guerre contre le Hezbollah l’été dernier, Israël n’a peut-être pas essuyé une défaite cuisante, mais il est loin d’avoir remporté une victoire. Il n’a pas atteint son objectif déclaré – la destruction de la milice chiite libanaise – et n’est même pas parvenu à empêcher les tirs de Katioucha sur son territoire.
À tout seigneur tout honneur, le général Dan Haloutz, le chef d’état-major, a été tenu pour le principal responsable. Ses rodomontades, un certain exhibitionnisme, le choix d’une stratégie privilégiant l’aviation ont focalisé la lumière sur cet ancien commandant de l’armée de l’air qui caressait des rêves de carrière politique. Sa démission bien tardive, à la mi-janvier, l’a remis dans l’actualité. Mais si son rôle est essentiel, on ne peut lui imputer toutes les défaillances de l’armée. Il n’est que la partie visible de l’iceberg.
Comme l’a révélé le 23 janvier Haaretz, c’est l’ensemble de la hiérarchie militaire qui a été prise au dépourvu par la résistance du Hezbollah et n’a pas su comment y répondre. Notre excellent confrère a reconstitué les moments cruciaux de la guerre du Liban et les débats qu’ils ont suscités au sein de l’état-major. Tout au long des trente-trois jours que dura le conflit (12 juillet-13 août), Haloutz et ses généraux étaient en proie à l’hésitation et au désarroi.
Dans l’après-midi du 12 juillet 2006, plusieurs heures après l’attaque du Hezbollah et la capture de deux soldats israéliens, les deux spécialistes des opérations terrestres, les généraux Moshe Kaplinsky et Gadi Eisenkot, proposent à Haloutz une vaste offensive. Kaplinsky préconise un pilonnage par l’artillerie et des attaques aériennes sur l’ensemble du Liban, aussitôt suivi par une opération intitulée « Marée haute » impliquant le déploiement de l’infanterie à grande échelle. Eisenkot revient sur Marée haute, qui devrait être lancée le 16 juillet : « Il est important que cette opération soit bien préparée. Il faut éviter de l’entamer par des escarmouches pour ne pas en diluer l’effet. » Ce jour-là, Haloutz ne rejette pas le principe d’une offensive terrestre. Il précise néanmoins : « Je n’ai pas l’intention, à ce stade, de procéder ainsi, mais de mettre un maximum de pression tous azimuts. Nous devons créer la menace d’une offensive terrestre et nous y préparer »
Le 15 juillet, lors d’une nouvelle réunion, l’état-major se félicite des résultats de l’opération aérienne qui a détruit la plus grande partie des missiles Fajr de moyenne portée de l’arsenal du Hezbollah. Fort de ce succès, Haloutz, l’ancien patron de l’armée de l’air, s’en tient à ce qu’il connaît, l’aviation : « Nous avons détruit Beyrouth, désormais nous allons concentrer toutes nos forces sur la chasse aux Katioucha. Si la météo le permet, notre aviation pilonnera demain le Sud-Liban. » Eisenkot recommande qu’on commence par lancer des opérations terrestres limitées : « Des raids ponctuels ici et là. Un petit tour et on s’en va. »
Le lendemain 16 juillet, on évoque une opération sur Bint Jbeil. Pourquoi Bint Jbeil ? Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, y avait célébré, en mai 2000, l’évacuation par Israël du Sud-Liban. « Il faut effacer ce lieu de la carte », conclut le général Benny Gantz, commandant de l’infanterie. Le général Moshe Yaalon insiste sur le symbole : « Il faut frapper les esprits chez l’ennemi. » On estime cependant que l’opération prendrait du temps et risque de se faire aux dépens de l’élimination des Katioucha. Plusieurs généraux – dont Oudi Adam, responsable du Nord, et son adjoint Eyal Ben-Reuven – y sont hostiles. Elle aura lieu le 26 juillet et la brigade Golani y laissera huit morts.
Le 18 juillet, après examen de plusieurs options, l’état-major conclut : « Le commandant en chef ne voit pas la nécessité, à ce stade, d’une vaste opération terrestre. » Par la suite, Kaplinsky et Eisenkot changent d’avis et se rapprochent de Haloutz : procéder pas à pas en faisant chaque fois le bilan.
Le 26 juillet, la guerre entre dans sa troisième semaine. Après la nouvelle de la catastrophe de Bint Jbeil, Haloutz multiplie les briefings sur l’offensive terrestre. Le général Nehoushtan conseille de saisir le gouvernement : « Il faut lui dire carrément que, sans l’offensive terrestre, nous ne pouvons pas éliminer les Katioucha. S’il n’est pas d’accord, nous devons arrêter la guerre. Le fait est que la guerre entre le Hezbollah et Israël est un match nul – c’est-à-dire, pour nous, une défaite. Or nous ne pouvons nous permettre une défaite. » Le général Yossi Beiditch (département recherche) critique la stratégie du « pas à pas » chère au commandant en chef : « Nous pouvons pénétrer la nuit dans telle localité et tuer trente combattants du Hezbollah, mais rien ne changera vraiment. »
Haloutz : « Qu’est-ce qui apporterait un vrai changement ? »
Beiditch : « Une importante opération terrestre. »
Haloutz : « Vous pensez au Hezbollah. Moi, je pense au modèle palestinien de Gaza et je pense qu’avec un pas, puis un autre, et encore un autre, nous progresserons, sans atteindre le but, mais en allant quand même de l’avant. »
Alors que la plupart des généraux, y compris les aviateurs, optent désormais pour une opération terrestre, Haloutz s’entête. Amos Yadlin, le chef du renseignement militaire, revient à la charge : « J’ai du mal à croire que l’État d’Israël, avec ses divisions et son aviation, soit incapable de mener à bien une opération terrestre qui aura affaire à deux cents combattants au total. Si, dans une autre semaine, nous n’arrêtions pas les Katioucha, ce serait une catastrophe. Les Syriens nous observent, tout le monde nous observe. » Yadlin n’ignore pas le prix à payer : « Au bout du compte, nous payons le même prix à petites doses, au lieu de le payer d’un coup. » S’adressant à Haloutz : « Écoutez, une longue guerre n’est pas dans notre intérêt. Nous voulons en finir une fois pour toutes, et nous perdons du temps. » Réponse : « Nous devons combiner toutes les options. Il n’y a pas d’option gagnante. » Il revient sur l’intensification de l’action aérienne, y compris le bombardement des infrastructures civiles de Beyrouth : « Il nous faut un autre Liban. »
Le 27 juillet, le débat porte sur Bint Jbeil et la possibilité de remettre ça. Pour Kaplinsky, la localité n’a qu’une valeur symbolique. « Elle témoignera que ce que nous faisons, nous le faisons pour ceux qui écriront l’Histoire demain. » Adam s’indigne : « Nous n’avons pas besoin de jouer les héros pour conquérir ce trou de merde. » Haloutz s’en mêle : « Vous pensez qu’il n’y a pas d’Histoire. Eh bien, moi, je pense qu’il y en a une et que ce n’est pas eux qui l’écrivent, c’est nous. » Après quoi, il ordonne de lancer une nouvelle opération contre Bint Jbeil.
Le débat sur l’offensive terrestre se poursuit encore une semaine. Finalement, lorsque l’état-major en fait son option préférée, le gouvernement hésite, puis autorise, le 11 août, l’opération « Changement de direction ». Commentaire du Haaretz : « Lorsque l’état-major et le gouvernement se mirent d’accord sur le fait que la raison d’être de cette guerre était de mettre fin aux tirs de Katioucha, et non pas de conquérir Bint Jbeil et d’écrire une page d’Histoire, il était déjà trop tard. »
Rétrospectivement, les propos de Yadlin à la réunion du 28 juillet résonnent comme une oraison funèbre : « La situation n’est pas bonne. Le Hezbollah a le sentiment d’avoir gagné la partie et nous passons, à tort ou à raison, pour ceux qui n’ont pas fait leur boulot. Je pense qu’il est de notre devoir de réagir. Nous avons entre cinq et dix jours. Nous devons faire un plan et nous y tenir. Pas changer tout le temps. Laisser les forces faire ce qu’elles ont à faire. Réduire un peu les séances de réexamen et agir pour de bon En ce qui concerne les Katioucha, nous devons leur montrer qu’il est possible de leur régler leur compte, sinon cela va durer des années. Apparemment, on ne peut y arriver que sur le terrain Allons donc ! Nos pères ont mis à genoux tous les pays arabes en six jours et nous ne serions pas capables de foncer avec deux divisions et de nettoyer le sud du Liban ? »
Laissons néanmoins le dernier mot à Nasrallah. Il déclarait, le 30 janvier, devant des centaines de milliers de ses partisans que le Hezbollah avait vaincu Tsahal « armée et équipée pour infliger des défaites à toutes les armées arabes et sur tous les fronts ».

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires