La fin du djihad ?

Victimes d’une sanglante répression dans les années 1990, les islamistes armés du GICL seraient aujourd’hui presque entièrement neutralisés.

Publié le 5 février 2007 Lecture : 5 minutes.

Simple coïncidence, bien sûr : fin décembre et début janvier, au moment même où les forces de sécurité tunisiennes démantelaient un groupe djihadiste au sud de Tunis (J.A. n° 2402), Mouammar Kadhafi libérait pour sa part une soixantaine de membres du Groupe islamique combattant en Libye (GICL) détenus dans un camp près de Tripoli. Ils seraient les derniers des quelque cent quatre-vingts anciens djihadistes que le gouvernement libyen avait, en 2005, affirmé détenir encore. Par ailleurs, l’administration américaine a, en juin 2006, annoncé la mystérieuse arrestation en Afghanistan d’un ressortissant libyen, un certain Ibn al-Shaykh al-Libi, présenté comme un gros poisson de la mouvance terroriste. Cette capture a, selon elle, constitué un succès de premier plan dans la guerre contre le terrorisme.
Est-ce donc la fin du djihadisme libyen ? Au moment où al-Qaïda s’efforce de fédérer les combattants maghrébins et sahéliens sous la houlette du GSPC algérien, le phénomène serait paradoxal. Certes, quelques maquis « dormants » du GICL subsistent sans doute dans les montagnes du nord-est de la Libye, notamment la région du Djebel al-Akhdar, mais ceux-ci n’ont pas mené la moindre opération depuis 2001. Leur dernier communiqué remonterait à 2005. Pourtant, à en croire les stratèges du Pentagone, la Libye continue d’avoir « peur des salafistes », raison pour laquelle ils s’efforcent de l’enrôler dans le « combat global contre le GSPC » au Maghreb et dans le Sahel.
Flash-back. Principaux producteurs d’hydrocarbures de la région, la Libye et l’Algérie ont été, au début des années 1990 – et ce n’est peut-être pas un hasard -, les premiers pays maghrébins à être confrontés au phénomène djihadiste. Les premiers à être le théâtre de sanglantes guérillas le plus souvent dirigées par d’anciens moudjahidine de retour d’Afghanistan.
Dans les années 1980, on estime que plusieurs centaines de Libyens combattaient les troupes soviétiques aux côtés des moudjahidine afghans. Parrainée, armée et financée par la CIA, la résistance bénéficiait également, au nom de la guerre contre les « mécréants communistes », de la solidarité sonnante et trébuchante de l’Arabie saoudite. En 1989, l’armée soviétique quitte l’Afghanistan. Trois ans plus tard, Kaboul tombe entre les mains des talibans. Une grande victoire pour tous les musulmans, mais aussi, et surtout, pour l’internationale islamiste naissante.
Mission accomplie, les « Arabes afghans » rentrent dans leurs pays respectifs et déclenchent la lutte contre les pouvoirs en place, qualifiés par eux d’apostats. Quelque 2 500 ex-volontaires libyens sont dans ce cas. À leur tête, l’« émir » Abou Abdallah Sadok, un Tripolitain qui, après ses études d’ingénieur, était parti mener le djihad en Afghanistan, où il avait été blessé.
En 1993, Sadok s’installe dans une région montagneuse de l’est de la Libye, fief de la confrérie (et de la tribu) des Senoussi, traditionnellement hostile à Kadhafi (le roi Idriss Ier en était issu). C’est de là qu’il supervise l’organisation du GICL, de loin le plus important des groupes islamistes des années 1990. Ses membres recrutent activement – en se faisant passer, au besoin, pour des membres des Comités révolutionnaires Kadhafiens – et rassemblent des armes en vue du déclenchement de l’insurrection.
En 1995, les autorités localisent une ferme de la région de Benghazi qui sert de repaire à un groupe de djihadistes commandés par Salah al-Chaheibi, un officier déserteur qui préfère se suicider plutôt que de se laisser arrêter. Kadhafi entreprend alors de liquider le GICL. Les affrontements dureront au moins quatre ans et feront plusieurs dizaines de morts, des deux côtés. En juin 1996, par exemple, le GICL attaque un camp d’entraînement de l’armée à Derna, à l’est de Benghazi. Un mois plus tard, une vague d’arrestations s’ensuit. Des appareils de l’armée de l’air pilotés par des Serbes bombardent les repaires djihadistes dans les monts du Djebel al-Akhdar et de Derna, où la loi martiale est décrétée. Des images des combats sont montrées à la télévision, mais présentées comme des opérations visant des trafiquants de drogue.
Le bouquet est atteint, la même année, lorsqu’une grenade est lancée sous les pas du « Guide » de la Jamahiriya. L’engin n’explose pas, et le terroriste est arrêté. Tripoli accuse les services secrets britanniques de l’avoir manipulé. En octobre 1997, Salah Fathi Ben Salmane, alias Abou Abderrahmane al-Khattab, l’un des meilleurs commandants du GICL, est tué dans une embuscade. L’année suivante, les autorités lancent une vaste offensive contre les derniers retranchements du groupe et arrêtent un grand nombre de ses sympathisants présumés à travers tout le pays. En 1999, Kadhafi annonce publiquement que les « Afghans » formés par les Américains « pour devenir des tueurs et des poseurs de bombes » ont été neutralisés. La plupart ont été tués ou faits prisonniers. D’autres réussissent à prendre la fuite et se réfugient à l’étranger, principalement au Royaume-Uni, où quelques dizaines d’entre eux poursuivent leur dénonciation du régime. Certains regagnent l’Afghanistan, où ils tentent de se réorganiser, mais la chute des talibans, en novembre 2001, les force à trouver de nouveaux asiles. La majorité sont aujourd’hui en Iran, une poignée d’autres en Asie et en Europe.
Naturellement, les attentats du 11 septembre 2001 marquent un tournant. Peu après le drame, lors d’une rencontre secrète, à Londres, les Libyens remettent à la CIA les noms de quatorze chefs du GICL établis au Royaume-Uni. C’est le début de la lune de miel entre Washington et Tripoli, qui va notamment se traduire par un échange soutenu d’informations concernant les réseaux terroristes. En décembre 2003, suite au démantèlement de son programme d’armes de destruction massives, le Libye normalise ses relations avec les Anglo-Saxons. L’année suivante, le GICL prend place dans la liste (américaine) des organisations terroristes.
Quelques mois plus tard, l’émir Sadok et son lieutenant Abou Mondher al-Saïdi sont arrêtés, le premier en Thaïlande, le second à Hong Kong. Après les avoir « débriefés », les Américains les livrent à Kadhafi. Depuis, on est sans nouvelles d’eux. En octobre 2005, la Libye et le Royaume-Uni concluent un accord en vue de l’extradition vers Tripoli de quatre membres du GICL, en contrepartie, il est vrai, de l’engagement écrit que les expulsés ne seraient pas maltraités. Le 30 juin 2006, la Libye disparaît de la liste des États soutenant le terrorisme.

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