La bataille du Palais

À quelques jours de l’élection présidentielle, l’opposition ragaillardie et le chef de l’État sous pression se sont lancés dans une campagne musclée sur fond de tractations politiques. Non sans une certaine confusion.

Publié le 5 février 2007 Lecture : 6 minutes.

Alors que d’ordinaire les recompositions politiques se font à l’issue d’un processus électoral, à la lumière du verdict des urnes, au Sénégal elles se font avant. Les principaux candidats à la présidentielle prévue le 25 février ont pris les devants et plongé le pays dans l’incertitude. Les tractations au Palais, loin d’éclairer la situation, l’assombrissent. Les alliances de circonstance au sein de l’opposition, au lieu de dessiner les contours d’une entente crédible, jettent le trouble sur les réelles intentions des états-majors. La confusion règne, au grand dam des cinq millions d’électeurs bien en peine de s’y retrouver. Même le calendrier est menacé par cette débauche de calculs tactiques.
En maître de la godille, le chef de l’État sortant Abdoulaye Wade, candidat à sa propre succession et investi depuis le 16 octobre 2006 par le Parti démocratique sénégalais (PDS), a attendu la dernière ligne droite pour abattre ses cartes. Après avoir voulu, en vain, former un gouvernement d’union nationale, il a finalement opté pour une réconciliation au sommet avec son « fils spirituel » Idrissa Seck jusque-là voué aux gémonies par le camp présidentiel. La première séance de réconciliation s’est déroulée, le 22 janvier dernier, la seconde trois jours plus tard (voir J.A. n° 2403). À l’issue du quatrième entretien, le 1er février, celui que ses compatriotes appellent Idy se « réjouit d’avoir retrouvé auprès du président la confiance et l’affection dont la calomnie et la médisance l’avaient privé ». Voilà donc effacé le passif entre les deux hommes : les accusations de malversations financières, de détournement de fonds politiques, de corruption, d’atteinte à la sûreté de l’État qui ont valu à Idy un séjour de sept mois en prison. Cette page judiciaire est à présent tournée. Wade a sonné la fin de l’hallali.
Pour autant, cette réconciliation laisse entière la question des candidatures. « J’ai toujours déclaré que ma famille naturelle était le PDS. Mais le président comprend que je maintienne ma candidature. Nous sommes deux concurrents, et je ferai tout pour le battre. On parlera d’un accord de désistement pour le second tour plus tard, si je ne suis pas élu dès le premier tour », a précisé Seck dans les salons de la présidence. Le Palais, qui espérait obtenir un retrait du turbulent et ambitieux leader du parti Rewmi (« le pays », en wolof), en est pour ses frais. La grande famille libérale est éclatée. Pas de quoi réjouir certains caciques du pouvoir. à commencer par le premier ministre macky sall, promu directeur de campagne du chef de l’État.
Mais au-delà du scrutin, c’est en fait la succession du « vieux », âgé de 80 ans, qui est en jeu. La lutte pour la présidence est déjà engagée. « Idy a pour ambition de diriger le pays. Récupérer le PDS a toujours été son souhait et s’il peut le faire dès maintenant, il ne crachera pas dessus », explique, sans ambages, l’un des dirigeants de Rewmi. De là à évoquer un retrait pur et simple de la course du président vieillissant, il n’y a qu’un pas, que certains journaux locaux n’hésitent plus à franchir. Intox soigneusement orchestrée par le clan Idy ou non, le tout-Dakar s’interroge sur la volonté de Wade de se succéder à lui-même. « Si le chef de l’État veut rester en poste, seulement le temps d’inaugurer les chantiers en cours à Dakar, il n’a qu’à le dire », ose un proche de Seck. Spéculations sans fondement, réplique-t-on aussitôt dans le camp présidentiel où, certain de la victoire finale, on est pressé d’annoncer l’organisation des premiers meetings de campagne. « Nous sommes prêts et soudés derrière notre chef », proclame-t-on au siège du PDS.
« Si Wade était vraiment en position de force, il n’aurait pas engagé ces discussions à haut risque avec Idy qui brouillent le message », estime malgré tout un fin connaisseur du microcosme politique sénégalais. Et d’ajouter, mettant les deux protagonistes dos à dos : « De la même manière, si Seck était certain d’avoir en main un pactole de voix suffisant pour l’emporter ou tout du moins contraindre le sortant au second tour, il n’aurait pas engagé ces périlleuses discussions. » De fait, au sein même de Rewmi, la démarche d’Idy est loin de faire l’unanimité. Une poignée de main avec le président ou même un papier signé avec la bénédiction des confréries religieuses Mouride et Tidiane ne suffiront pas à effacer le ressentiment entre les deux camps. Désarçonner ses militants n’a jamais été la meilleure tactique pour insuffler une dynamique victorieuse. Après avoir battu le pavé en 2000 pour en finir avec quarante années de règne socialiste, les déçus de l’alternance soumettent à la population un nouveau slogan : « Wade + Seck = 0 ».
De quoi redonner des couleurs à une opposition qui jusque-là avançait en ordre dispersé sur les cendres de la Coalition populaire pour l’alternance (CPA). L’idée d’une candidature unique n’a pas résisté aux ambitions personnelles. L’héritier de l’ancien chef de l’État Abdou Diouf, le socialiste Ousmane Tanor Dieng, le président de l’Alliance des forces de progrès (AFP) Moustapha Niasse, ainsi que le leader de la Ligue démocratique/Mouvement pour le travail (LD/MPT) Abdoulaye Bathily, défendront chacun leurs chances. Robert Sagna, le maire socialiste de Ziguinchor, a décidé de faire de même. Mais à quelque chose, malheur peut être bon : la manifestation de l’opposition interdite à Dakar pour menace à l’ordre public et violemment réprimée par la police, le 27 janvier, a été un cadeau du ciel. L’interpellation de Tanor (qui a même reçu deux balles en caoutchouc à la cuisse), Bathily et Niasse (particulièrement brutalisé), et les trois bonnes heures qu’ils ont passées au commissariat central ont eu le mérite de galvaniser leurs partisans et sympathisants. Rien ne vaut « une arrestation arbitraire », pour stigmatiser un « pouvoir à l’agonie qui ne recule devant rien », resserrer les liens, sonner la mobilisation des troupes et lancer la campagne.
« Wade est traumatisé à l’idée de quitter le pouvoir. Tout ce qu’il fait est guidé par cette obsession. Comme il ne peut pas gagner démocratiquement, il multiplie les manuvres et les provocations, mais nous sommes prêts à l’épreuve de force. Soit il organise des élections libres, régulières et transparentes à terme échu, soit il part », tranche Tanor. Celui que l’on présentait comme un technocrate austère et sans charisme s’est transformé en bateleur de tribune. Le leader socialiste et son équipe attaquent tous azimuts : le bilan économique, l’affairisme au plus haut sommet de l’État, la personnalisation du pouvoir ainsi que les tentatives de fraude avec le retard dans la distribution des cartes d’électeur et les suspicions sur le fichier électoral. Après avoir été éteinte, timide, voire amorphe, l’opposition durcit son discours. Pourquoi un tel changement de ton ?
Dans la perspective des législatives initialement fixées au 25 février, le chef du PS, le leader de la LD/MPT et le patron de Rewmi ont mis sur pied une coalition Jamm-Ji (« la paix » en wolof) afin de présenter une liste commune. « Cet accord purement stratégique vise à affaiblir Wade par tous les moyens. Le paysage politique est tellement éclaté que c’est la seule manière de parvenir à la majorité parlementaire, mais pour la présidentielle, chacun défend ses couleurs », explique un proche conseiller de Tanor. « La présence d’Idy à nos cotés permettait aussi de disposer d’un bélier contre le PDS. » Bien vu, à ceci près qu’à présent, les législatives sont reportées en juin. Ce qui laisse le temps de faire exploser n’importe quelle entente.
« L’animal politique » Wade avait certainement senti le coup venir. Notamment quand, en décembre dernier, il concocte en urgence un décret faisant passer de 120 à 150 le nombre de députés. L’opposition ne l’entend pas de cette oreille, qui dépose un recours en annulation, dénonçant un découpage outrageusement favorable au parti au pouvoir. Les juges leur donnent raison et recalent le texte présidentiel, le 12 janvier. Tanor et ses amis n’ont pas fini de savourer leur victoire que s’engagent les discussions Wade-Seck qui mettent à mal la coalition Jamm-Ji. Bathily a d’ores et déjà fait savoir que le chef de file de Rewmi doit choisir. Tandis que le leader socialiste, mis dans la confidence des tractations au Palais, déclare ne pas être gêné par cette réconciliation : « Nous sommes dans une phase de transition avec une grande recomposition et des coalitions hétérogènes », soupire-t-il. C’est le moins que l’on puisse dire. Encore faut-il que les électeurs acceptent de cautionner ces multiples combinaisons.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires