John Kufuor

Le choix du chef de l’État ghanéen comme président de l’Union africaine est d’autant plus judicieux que l’organisation devra se lancer sur le chemin des États-Unis d’Afrique.

Publié le 5 février 2007 Lecture : 5 minutes.

« 31janvier 2007. Premier jour au quartier général de l’Union africaine pour rencontrer le président de la Commission, mon ami Konaré, et ses collaborateurs. J’assume la présidence de l’Union à partir d’aujourd’hui et j’espère bénéficier d’une grande coopération avec la Commission. » Ces quelques mots, tracés en anglais à l’encre verte dans le livre d’or de l’UA, d’une écriture ample et élégante, sont signés « John Kufuor, président de la République du Ghana ». Ils sont à l’image de celui qui, en se portant candidat, a permis à l’organisation panafricaine de se débarrasser de l’encombrant Omar el-Béchir : un mètre quatre-vingt-dix de simplicité, de pragmatisme et d’efficacité.
Alors que le Ghana fêtera le 6 mars prochain le cinquantième anniversaire de son indépendance – la première de l’Afrique subsaharienne et, à ce titre, tout un symbole -, John Agyekum Kufuor, arrivé au pouvoir en décembre 2000, soufflera les trente bougies de ses débuts en politique. Parvenu au sommet d’une carrière mouvementée qui devra s’achever en décembre 2008, le chef de l’État ghanéen était visiblement heureux, le 28 janvier, à Addis-Abeba, lors du 8e sommet ordinaire de l’UA, d’avoir été choisi à l’unanimité pour occuper le poste le plus prestigieux du continent. La décision de ses pairs a beau avoir été inspirée par l’histoire de son pays davantage que par la personnalité de son leader, le « gentil géant » – comme l’appellent affectueusement ses compatriotes – n’en prendra pas ombrage. Et compte en profiter pour continuer à faire du Ghana « un pays fier, droit dans ses bottes, moderne ».
Depuis la transition politique en douceur de 2000, le Ghana, troublé jusqu’alors par de nombreux soubresauts politiques, a acquis une réputation de stabilité qui en fait l’un des modèles de bonne gouvernance sur le continent. Le choix du président de l’ancienne Côte d’Or est d’autant plus judicieux pour l’Union africaine qu’elle se penchera très sérieusement sur son avenir, et se lancera peut-être sur le chemin des États-Unis d’Afrique, lors de son prochain sommet en juillet 2007, dans la capitale ghanéenne. On ne peut rêver mieux que de débattre de cette idée plus que jamais audacieuse dans la patrie de Kwame Nkrumah, chantre du panafricanisme et premier chef d’un État subsaharien libéré du joug colonial.
Nul doute que John Kufuor saura mettre en valeur cet héritage prestigieux au moment des cérémonies en grande pompe du 6 mars – pour lesquelles quelque 20 millions de dollars seront dépensés et auxquelles assisteront notamment Thabo Mbeki, Olusegun Obasanjo, Ellen Johnson-Sirleaf et Kofi Annan. Mais ce conservateur (à l’anglo-saxonne), fervent défenseur de l’économie libérale, devra s’imposer quelques acrobaties pour assumer l’héritage de son lointain prédécesseur socialiste…
S’il reconnaît à Nkrumah le mérite « d’avoir cristallisé à un moment donné les aspirations du peuple noir à travers le monde pour l’égalité raciale et l’indépendance politique », comme il l’expliquait à Jeune Afrique en 2002, le président ghanéen n’appartient pas à la même famille politique que le père de sa nation, qu’il cite d’ailleurs moins souvent comme modèle que Félix Houphouët-Boigny et Lee Kuan Yew, l’ancien Premier ministre de Singapour. « Je peux lui reconnaître beaucoup de qualités, sauf une : son idéologie », tranche John Kufuor. « Nkrumah était un visionnaire, avec ce que cela comporte d’irréalisme. Son rêve panafricain, qui faisait l’économie de la lente et patiente construction d’ensembles régionaux, était séduisant. Il s’agissait en fait d’une utopie. » Aujourd’hui, c’est pourtant cette utopie qu’il devra exhumer si l’UA décide, cinquante ans plus tard, de suivre les pas de Nkrumah. En juillet, le débat sera rude entre des chefs d’État divisés sur les États-Unis d’Afrique (EUA, voir « L’événement » pp. 24-30).
Au moins Kufuor peut-il être assuré de sa bonne entente avec Alpha Oumar Konaré, le président de la Commission, dont il ne partage pourtant pas l’ambition de renforcer immédiatement l’intégration panafricaine. « Je le connais, confie Konaré. Je sais qu’il souhaite accéder aux EUA par étapes. Nous verrons ce qui se passera pratiquement, mais il existe un réel respect entre nous. » L’ancien chef de l’État malien n’a pas oublié que Kufuor l’accueillait à Kumasi toujours avec tous les honneurs et lui manifestait attention et considération même lorsqu’il était sur le point de quitter le pouvoir.
Pour réussir sa nouvelle mission, John Kufuor peut aussi compter sur la coopération de ses pairs ouest-africains. Il a appris à bien connaître ses voisins, notamment au cours de ses médiations en Côte d’Ivoire. Sur ce dossier délicat, le revoilà à la barre, après avoir été constamment au cur des efforts pour aider la Côte d’Ivoire à sortir de la crise.
Reste qu’il ne fait pas tout à fait partie de la « famille » et demeure un « British » perdu dans un océan francophone se distinguant par son style discret, sa gestion rigoureuse des affaires publiques, son mode de vie modeste et un réseau d’influences différent.
Né en 1938 à Kumasi, dans une famille proche du trône ashanti, John Kufuor a été envoyé à Londres à la fin du cycle secondaire. Diplômé d’Oxford en droit, en sciences politiques et économiques, il revient au Ghana en 1967 pour être nommé city manager (administrateur chargé des questions économiques) de sa ville natale. Avocat, il estime que ses origines privilégiées sont précisément un rempart contre la corruption. Businessman à l’occasion, ses affaires ont aussi contribué à sa prospérité personnelle. Mais, très tôt, l’Ashanti se découvre une fibre politique. En 1968, il est élu député puis propulsé vice-ministre des Affaires étrangères en 1970. Il a 31 ans quand il représente son pays dans les grands forums internationaux. Le coup d’État du général Asheampong en 1972 met brutalement fin à sa carrière diplomatique et l’envoie en prison pour un an. Revenu sur les bancs de l’Assemblée nationale en 1979, il tâte à nouveau de la prison sur ordre du gouvernement révolutionnaire de Jerry Rawlings. Ce qui ne l’empêche pas d’accepter à sa libération, un an plus tard, de siéger à son Comité national provisoire de défense. Mais Kufuor ne tarde pas à comprendre qu’il n’est pas sur la même longueur d’onde que le révolutionnaire, qui sera, jusqu’à ce jour, son ennemi politique.
Au bout de sept mois, il démissionne et crée le New Patriotic Party (NPP) dans le but déclaré d’accéder à Osu Castle, le palais présidentiel, par les urnes. En 1992, il perd les primaires du parti. Choisi enfin en 1996, il échoue à la présidentielle contre Rawlings, mais l’emporte en 2000 contre John Atta Mills.
Aujourd’hui, son parti a du mal à lui trouver un successeur dans la perspective de l’élection de décembre 2008. D’ici là, Kufuor aura à peaufiner un bilan en demi-teinte à la tête du Ghana. Politiquement et diplomatiquement satisfaisants, ses résultats en matière économique ne sont pas à la hauteur des attentes, et l’honorable 6 % de croissance attendu pour 2007 ne cache pas l’aggravation du déficit public. Il lui reste à peine deux ans. Après la présidence de l’UA, puis l’organisation, en 2008, de la Coupe d’Afrique des nations, Kufuor devra faire ses adieux aux Ghanéens. À 70 ans, il pourra se consacrer à son hobby : les voyages.

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