Habré et l’impunité

Publié le 5 février 2007 Lecture : 2 minutes.

Il a suffi d’une seule phrase pour mettre le feu aux poudres. Et c’est l’agence Reuters qui la met, le 30 juin, dans la bouche de Cheikh Tidiane Gadio, ministre sénégalais des Affaires étrangères, en plein sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba : « Le procès d’Hissein Habré se tiendra au plus tôt dans trois ans. » Pour de multiples raisons, dont les difficultés liées à l’instruction. Branle-bas de combat au niveau des organisations de défense des droits de l’homme. Reed Brody, le directeur général de Human Rights Watch, la puissante organisation américaine, en première ligne dans la campagne internationale pour le jugement d’Habré, rue dans les brancards, accuse les autorités sénégalaises de chercher de faux prétextes, crie au scandale Il rappelle aussi que la justice belge, qui a achevé l’instruction du dossier, peut mettre les fruits de ses investigations à la disposition de son homologue sénégalaise pour diligenter le traitement de l’affaire.
La polémique amène Gadio à préciser la démarche de son pays. En privé, il se confie à des officiels et à des militants des droits de l’homme en ces termes : « J’ai voulu dire que l’instruction dans ce type d’affaire peut durer trois ans. Je ne suis pas juge et il ne me revient pas de fixer l’échéance d’un procès. » En public, sûrement après en avoir référé au président Abdoulaye Wade, le chef de la diplomatie sénégalaise adopte un point de vue qui est celui de son gouvernement : « L’acharnement des organisations de défense des droits de l’homme ne peut pas infléchir notre démarche. Le Sénégal ne peut pas contredire ses institutions judiciaires en engageant tout de suite une procédure contre Habré. Notre justice avait dit le droit, s’estimant incompétente pour juger l’ex-chef d’État tchadien. » Dans l’entourage du ministre, certains ajoutent : « En dépit du mandat de l’UA, nous ne pouvons pas agir immédiatement, sans lever au préalable cet écueil juridique. Il faut d’abord modifier la législation sénégalaise. C’est dans ce sens que notre gouvernement a adopté deux projets de loi destinés à rendre nos institutions judiciaires compétentes pour juger de l’affaire. »
Mais ces seuls réaménagements légaux ne suffisent pas. Manque le nerf de la guerre : « Il nous faut, avec l’aide de l’UA, mobiliser les dizaines de millions d’euros nécessaires au financement d’une procédure judiciaire qui promet d’être coûteuse, pouvant s’étendre sur trois ans. N’étant pas un expert des questions juridiques, je ne sais pas si Habré va être inculpé dans deux ou six mois. Je ne saurais préjuger du temps qu’il faudra pour instruire le dossier dans l’équité et le respect des droits des deux parties : les victimes et l’accusé. »
Pour autant, le Sénégal, qui refuse de rester sur la défensive, a décidé de monter au créneau. Et Gadio ne s’en prive pas, qui demande : « Pourquoi une telle virulence des activistes quand il s’agit de chefs d’État africains, alors qu’on les a peu entendus sur le Chilien Augusto Pinochet, mort en paix entouré des siens ? »
Sur ce front de la contre-attaque, le Sénégal peut compter sur l’UA qui lui a décerné le 30 janvier une motion de félicitations et de soutien. En attendant, Habré coule des jours tranquilles à Dakar.

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