Fièvre bâtisseuse

Publié le 5 février 2007 Lecture : 3 minutes.

Le président sénégalais aime à raconter une parabole pour expliquer pourquoi sa philosophie économique repose sur les infrastructures. « C’est l’histoire du chat et de la souris, explique-t-il. Le chat qui est au rez-de-chaussée voit à travers un plancher transparent une souris qui trotte à l’étage. Le chat – c’est nous – saute pour essayer d’attraper la souris – les pays développés -, mais il n’y arrive pas parce qu’il se heurte à un plafond de verre. Cela veut dire que nous rattraperons notre retard seulement si les relations structurelles changent avec le reste du monde. Et pour rattraper notre retard, il nous faut des infrastructures. »
Au début de son mandat, Abdoulaye Wade se sentait un peu seul pour défendre ce point de vue. Les Occidentaux ne voulaient soutenir que la lutte contre le sida ou le paludisme. Au point qu’au G8 d’Évian, en juin 2003, le président nigérian Olusegun Obasanjo et son homologue algérien Abdelaziz Bouteflika, un peu gênés, lui avaient demandé de présenter leur demande de soutien pour leurs infrastructures. Il a convaincu tour à tour le président français Jacques Chirac, celui de la Commission européenne Manuel Barroso et aujourd’hui le président de la Banque mondiale Paul Wolfowitz.
« Je suis devenu le coordinateur des infrastructures, affirme-t-il. Nous avions des gouvernements qui visaient toujours a minima, alors qu’il vaut mieux de la bonne qualité qui dure longtemps. En matière de routes, cela veut dire de l’enrobé dense comme en Europe, sinon on les répare tous les ans. » Il verrait bien le Nepad (Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique) construire une première route Dakar-Bamako-N’Djamena. Président de l’organisme d’aménagement de la vallée du Sénégal, il y a construit plusieurs barrages.
Mais c’est dans son pays qu’il a donné libre cours à sa fièvre bâtisseuse. Fini les bricolages ! Balayant d’un geste les maquettes et les plans qui trônent dans son bureau, il égrène, à en donner le tournis, l’interminable liste de ses ouvrages et de ses 137 grands travaux. Il commence par les palais de justice, les espaces jeunes, les nouveaux lycées, les centres départementaux de formation des femmes, la Corniche, le nouvel aéroport : « Je veux un aéroport ultramoderne, le plus beau de la côte africaine, un aéroport où l’Airbus géant A-380 puisse se poser. »
Suivent la cité des Affaires, la cité de la Paix, le Global Village, l’université du Futur africain, la plateforme de Diamniadio, la Riviera, la nouvelle capitale : « Pourquoi je l’ai mise sur la côte ? Parce que, à l’intérieur, il fait trop chaud. Un jour, je me trouvais dans un avion et je me suis dit que, vue du ciel, l’urbanisation de cette nouvelle capitale pourrait représenter un être humain avec une tête, un corps et des membres. Naturellement, la présidence de la République sera située dans la tête. Le patronat sénégalais m’offre le palais. La première phase de construction concernera 4 000 hectares, et à terme 15 000. »
Viennent encore le Grand Théâtre, l’aménagement de la gare, le parc culturel, l’école des Beaux-Arts, ?le musée des Civilisations noires, le monument de la Renaissance africaine, plus grande sculpture du monde en bronze qu’il a lui-même inspirée : « C’est l’idée qu’une Afrique jaillit de l’obscurité. »
Tout cela sans oublier la place du Souvenir et son « petit grand projet » : la case des tout-petits, auquel il tient par-dessus tout, pour accueillir les bouts de chou qui n’ont pas de jouets et encore moins d’ordinateurs et « où le grand-père peut venir raconter les légendes africaines ».
Ces travaux sont-ils tous financés ? Pas de problème, répond-il, « l’imagination permet de faire beaucoup de choses, même quand on n’a pas beaucoup d’argent ». L’État peut s’allier avec le privé dans un partenariat approprié ; il peut donner les terrains pour attirer l’investisseur.
Désormais, si on l’en croit, les Chinois, l’ONU, les États-Unis, la France, la Banque mondiale, les Émirats, l’Organisation de la Conférence islamique – pour ne citer que ces donateurs – ne demandent qu’à aider le chat à rattraper la souris.

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