Diplomatie du yuan

Nouveau périple africain, le troisième en trois ans, pour le président Hu Jintao. Il n’est pas venu les mains vides

Publié le 5 février 2007 Lecture : 4 minutes.

Depuis l’arrivée au pouvoir d’Hu Jintao, en mars 2003, les relations sino-africaines ont subi une vigoureuse impulsion qui n’a rien de conjoncturel. Elle est appelée à durer, et c’est ce qui intrigue – ou dérange – les chancelleries occidentales et les gardiens de l’orthodoxie financière internationale, notamment le FMI et la Banque mondiale. Le développement fulgurant de sa coopération économique et commerciale avec la Chine dessert-elle les intérêts de l’Afrique ? Le débat ne fait que commencer.
Quoi qu’il en soit, Hu Jintao a mis le paquet pour son troisième périple africain. En douze jours, du 30 janvier au 10 février, il a visité pas moins de huit pays : Cameroun, Liberia, Soudan, Zambie, Namibie, Afrique du Sud, Mozambique et Seychelles. Lors du premier, en janvier-février 2004, il n’en avait visité que trois (Égypte, Gabon, Algérie). Et autant lors du deuxième, en avril 2006 (Maroc, Nigeria, Kenya).
À l’évidence, le numéro un chinois a voulu démontrer au cours de son dernier voyage qu’il est un homme qui tient ses promesses, celles, en particulier, faites lors du 3e Forum de coopération sino-africain, à Pékin, en novembre 2006 (voir J.A. n° 2392). Mais aussi que son pays ne fait pas de distinction entre ses partenaires. Il s’est rendu aussi bien chez les grands – l’Afrique du Sud est le premier client et le deuxième fournisseur africain de la Chine (9 milliards de dollars de produits échangés) – que chez les petits, comme les Seychelles (6 millions de dollars).
Enfin, il s’efforce d’apporter la preuve que la Chine ne pratique pas la politique du « deux poids deux mesures ». Son slogan : « égalité, paix, fraternité, développement mutuel ». Sa ligne rouge : pas d’ingérence dans les affaires politiques intérieures (droits de l’homme, élections, libertés, démocratie). Son argument : des milliards de yuans disponibles pour financer n’importe quel projet en Afrique, du plus petit (un dispensaire au Liberia) au plus grand (un centre de conférences de l’Union africaine à Addis-Abeba). La liste des réalisations chinoises, achevées ou en cours, sur le continent est véritablement impressionnante : pistes rurales, autoroutes, voies ferrées, aéroports, barrages, stades de football, palais présidentiels, maisons du peuple, satellites de télécommunications
Selon les statistiques établies à Pékin – les seules disponibles en l’absence d’une centralisation des données à l’échelle africaine -, près de 1 000 entreprises et 100 000 ressortissants chinois seraient aujourd’hui installés en Afrique. C’est dix fois plus qu’il y a cinq ans. Le volume des échanges est passé de 10 milliards de dollars en 2000 à 56 milliards en 2006 et devrait atteindre 100 milliards en 2010 (800 milliards de yuans). En proportion, il représente 10 % du commerce extérieur de l’Afrique, deux fois moins que les États-Unis et trois fois moins que de l’Union européenne. C’est dire qu’il est pour le moins prématuré de crier au loup.
Ce qui gêne le plus les Occidentaux, c’est avant tout l’irruption de la Chine dans un secteur qui leur était autrefois réservé : l’argent. Le fait de donner de l’argent, sous forme de dons ou de prêts, devrait, selon eux, être soumis à des règles strictes (rentabilité, solvabilité, endettement, capacité de remboursement, etc.) qu’eux-mêmes n’ont pas toujours respectées dans le passé, et qui, quoi qu’il en soit, pèsent d’un poids trop lourd sur la gestion des finances africaines : trop de conditions, trop de comptes à rendre… Certains pays, pas tous africains, refusent désormais l’aide de la Banque mondiale et se tournent vers de nouveaux donateurs, moins regardants : Russie, Chine, Inde et Brésil.
À elle seule, la Chine dispose aujourd’hui de plus de 1 000 milliards de dollars de liquidités, cinq fois plus que le FMI. Quand elle alloue 10 milliards de dollars par an à l’Afrique, c’est pour elle une goutte d’eau, mais pour l’Afrique, cela représente le tiers de l’aide occidentale. L’aide chinoise permet surtout aux Africains de faire pression sur les Occidentaux et, dans les cas extrêmes, de passer outre à leurs injonctions, comme l’ont déjà fait le Soudan, le Zimbabwe ou l’Angola. Elle leur permet d’agir vite et de financer sans délai et sans condition draconienne (appels d’offres et cahier des charges à respecter) la reconstruction de leurs infrastructures. Naturellement, la Chine y trouve aussi son intérêt. Elle se ménage ainsi un accès direct aux matières premières : pétrole, qui représente les deux tiers de ses achats, mais aussi cuivre, cobalt, coltan, diamants, bois, coton Et à diverses autres ressources (pêche, tourisme).
Mais les relations d’État à État ne sont pas seules en cause. Les entrepreneurs privés chinois, qu’ils soient de Chine continentale ou de Hong Kong, arrivent par dizaines sur le continent, comme en témoigne, en novembre 2006, le rachat hautement symbolique par un milliardaire chinois, Larry Yung, de la moitié des parts de la famille sud-africaine Oppenheimer dans le groupe minier Anglo-American. Montant de la transaction : 800 millions de dollars.
Le 6 janvier, une liaison aérienne directe a été ouverte entre Pékin et Lagos (3 vols par semaine). C’est sans nul doute l’amorce d’une intensification du trafic sino-africain, qui transite actuellement par l’Europe ou le Golfe. Moins alarmiste que Paul Wolfowitz, le président de la Banque mondiale, qui craint une résurgence de la corruption et de l’endettement, Donald Kaberuka, son collègue de la Banque africaine de développement, garde les pieds sur terre. Une récente interview au Financial Times en témoigne. « En accordant des crédits pour défendre ses intérêts, explique-t-il, la Chine ne fait pas quelque chose que les donateurs occidentaux n’auraient jamais fait. Et, d’autre part, quand les ressources deviennent imprévisibles à long terme, il est naturel que les pays africains cherchent ailleurs. Mettre la Chine à l’index est parfaitement vain. »

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