A la primature pour faire quoi ?

Le chef de l’État, qui garde la haute main sur l’armée, a signé le décret définissant les pouvoirs du futur chef du gouvernement. Reste à trouver l’oiseau rare susceptible de cohabiter avec lui.

Publié le 5 février 2007 Lecture : 6 minutes.

« Le chef de l’État a décidé la mise en place d’un gouvernement de consensus national et la nomination d’un Premier ministre, chef du gouvernement, en vertu des dispositions de l’article 39 de la Constitution. » Le communiqué cosigné le 28 janvier par le pouvoir guinéen et les centrales syndicales du pays précise que le Premier ministre doit être « un haut cadre, civil, compétent, intègre et qui n’a jamais été ni de près ni de loin mêlé à un quelconque scandale ». Voilà pour le profil du futur promu. Reste à mettre un nom et un visage sur le portrait-robot.
La tension après près de trois semaines de chaudes émeutes n’était pas retombée que les tractations s’engageaient en coulisse. Soucieux d’éviter l’adoubement d’un homme hostile, les proches du chef de l’État, Lansana Conté, ont vite rebondi. L’homme d’affaires italien Guido Santullo, très introduit au palais, « l’ami du président » et patron des patrons, Elhadj Mamadou Sylla, la « madame Communication » de Conté, Chantal Cole, n’ont pas perdu de temps pour soumettre des noms de personnalités qui leur semblent rassurantes.
Parmi leurs favoris, l’ex-gouverneur de la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG), Kerfalla Yansané, l’ancien secrétaire exécutif de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) devenu représentant du secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) en Côte d’Ivoire, Lansana Kouyaté, l’ex-ministre des Travaux publics aujourd’hui ambassadeur à Rome, Mamadou Thierno Cellou Dalein Diallo… Peul, natif de Labé, cousin de Cellou Dalein Diallo (Premier ministre de décembre 2004 à avril 2006), ce dernier a retenu pendant quelques jours l’attention du chef de l’État. Fidèle de Conté dont il fut le directeur de campagne à l’élection présidentielle de 1993 et de 1998, il satisfait totalement à la règle non écrite de respect de l’équilibre ethnique dans la répartition des postes au sommet de l’État. Il a toutefois été écarté de la course le 30 janvier, quand une indiscrétion a fait comprendre à Conté que les syndicats ne sont pas prêts à accepter un homme suffisamment proche de lui pour ne pas être perméable à son influence.
Après avoir hésité, Hadja Rabiatou Sérah et Ibrahima Fofana, responsables des deux centrales syndicales, ont décidé de ne pas présenter de candidat pour éviter que les différences d’appréciation ne nuisent à l’unité d’action de « l’intersyndicale », mais de veiller à ce que l’homme ou la femme qui sera choisi puisse avoir le cran suffisant pour assumer la fonction. À en croire des sources proches de leur entourage, ils seraient toutefois favorables tous les deux à la désignation de l’ex-Premier ministre devenu leader de l’Union des forces républicaines (UFR), Sidya Touré.
Sans être candidat, celui qui occupa le poste, du 9 juillet 1996 au 8 mars 1999, a la faveur de la société civile, du secteur privé et de nombre de décideurs. Mais également d’une bonne partie de la population, comme l’a révélé un sondage grandeur nature. Une rumeur qui a couru dans le pays le 25 janvier sur sa désignation a fait affluer des milliers de personnes devant son domicile. Au cri de « Sidya est arrivé, la faim, la soif et l’obscurité sont parties », les Conakrykas ont été surpris de s’entendre dire par leur champion : « Je suis sensible à votre geste. Je regrette de vous dire que je n’ai pas été choisi ni même été consulté. » Ce rassemblement spontané a toutefois eu l’effet de convaincre les chancelleries occidentales et ouest-africaines en poste à Conakry de prendre langue avec le leader de l’UFR. En vain. Ces fonctions, même dotées de réels pouvoirs, à côté d’un Conté aux sautes d’humeur et aux oukases récurrents, n’emballent pas Touré.
Le serait-il que deux obstacles majeurs pourraient s’opposer à sa désignation. D’abord le Parti de l’unité et du progrès (PUP, au pouvoir), soucieux de ne pas donner à un adversaire politique une position de pouvoir susceptible de peser dans la balance lors des prochaines échéances électorales. Ensuite, Conté lui-même, qui n’a jamais pardonné à son ex-homme de confiance d’avoir basculé dans l’opposition après sa sortie de la primature. Et qui a récemment confié à l’un de ses proches : « Je n’ai aucune envie d’une nouvelle collaboration avec Sidya. Pendant trois ans, il m’a soûlé avec des chiffres, des programmes et des exigences du Fonds monétaire international. »
Heureusement pour le chef de l’État, il lui reste une infinité d’autres choix dans le vaste panel de personnalités proposées par son entourage immédiat, et par ceux qu’on appelle ici « les institutions républicaines » : Assemblée nationale, Conseil économique et social, armée… Depuis le 31 janvier, indiquent des sources proches du chef de l’État, celui-ci, qui a signé à cette date le décret précisant les attributions du chef du gouvernement, détient une short-list sur laquelle figurent les noms de son ancienne ministre des Affaires sociales devenue une personnalité influente de la société civile, Saran Daraba Kaba, de l’ex-ministre des Guinéens de l’extérieur, démissionnaire en 1986, Jean-Claude Diallo (établi à Francfort où il est conseiller municipal), du fonctionnaire international aujourd’hui à la retraite, ex-représentant de la Guinée en Angola, Ben Issa Yacine Diallo, fils de l’ancien député de la Guinée française, Yacine Diallo… Il y a également sur la liste des noms moins connus comme ceux de l’ancien ministre Soriba Kaba. L’armée a, elle aussi, son candidat, que le chef d’état-major, Kerfalla Camara, a « vivement » recommandé : le colonel Facinet Touré, secrétaire de la Grande Chancellerie. Mais d’autres évoquent le nom d’Arafan Camara, chef d’état-major adjoint.
Alors que le pays s’impatiente de voir l’heureux élu prendre fonction le plus rapidement possible, Conté prend son temps. Tout son temps. Comme à son habitude, il laisse les jours passer pour donner l’impression qu’il n’a pas agi sous la pression. Il a beau jeu de tenter de reprendre la main, après ce qui apparaît à tous les observateurs comme une grave erreur commise par les syndicats : avoir levé le mot d’ordre de grève avant la désignation effective du « Premier ministre de consensus ». D’autant qu’une sérieuse incertitude demeure sur l’étendue des pouvoirs dont ce dernier va disposer. Un obstacle juridique de taille demeure : l’article 39 de la Constitution n’accorde aucune autonomie aux ministres, ni au Premier d’entre eux qui n’est ni chef de gouvernement ni responsable devant l’Assemblée nationale.
Pour donner des moyens d’agir à celui auquel ils pensent pour prendre la gestion du pays, les responsables syndicaux, assistés par des avocats, ont concocté un « avant-projet relatif aux attributions du Premier ministre », remis au chef de l’État le 30 janvier. Ce texte de 12 articles, dont Jeune Afrique a obtenu copie, est un mode d’emploi complet du futur locataire de l’ancienne maison coloniale qui abrite le siège de la primature. Il en fait le « chef du gouvernement […] chargé de diriger, de contrôler, de coordonner et d’impulser l’action du gouvernement ». Les ministres sont responsables devant le Premier ministre, qui dirige le Conseil des ministres, nomme aux emplois civils, dirige l’administration par délégation, définit la politique économique et la met en uvre, procède à l’assainissement des finances publiques… Il veille sur le respect des engagements du gouvernement vis-à-vis des partenaires sociaux, sur le dialogue politique ainsi que sur « le déroulement correct et transparent du processus électoral ».
Le texte tend à éloigner Conté des manettes pour les confier à un nouveau chef de l’exécutif. Une version guinéenne du chef du gouvernement ivoirien, Charles Konan Banny, à quelques différences près. Isolé de facto de la réalité du pouvoir par des ennuis de santé, le chef de l’État guinéen risque toutefois de ne pas se satisfaire d’inaugurer les chrysanthèmes. Va-t-il entériner l’avant-projet de décret qui lui a été soumis par les responsables syndicaux ? S’achemine-t-on vers une répétition du scénario ivoirien, avec Lansana Conté dans le rôle d’un Laurent Gbagbo arc-bouté à ses prérogatives constitutionnelles ? Seule certitude : le premier, qui n’a plus toutes ses facultés physiques et intellectuelles, ne jouit pas, loin s’en faut, du savoir-faire politique du second.

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