Un nouveau mandat, pour quoi faire ?

Publié le 5 janvier 2004 Lecture : 4 minutes.

Les réactions de protestation suscitées un peu partout dans le monde par la « réélection » de Lansana Conté à la tête de l’État n’ont pas ému outre mesure les Guinéens. Qui, après avoir superbement ignoré la présidentielle du 21 décembre, ont réservé leur indignation au crash du Boeing d’UTA, le 25 décembre à Cotonou. Ils étaient dix mille à prendre part, le 29 décembre, aux obsèques des vingt-trois victimes guinéennes de la catastrophe.

La présidentielle du 21 décembre sera ainsi restée jusqu’au bout un non-événement. L’annonce par le ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, le 24 décembre, d’un taux de participation d’environ 80 % et de la victoire du président sortant avec 95,6 % des suffrages exprimés en a fait rire plus d’un. D’autant que, quelques heures auparavant, l’unique adversaire de Conté, Mamadou Bhoye Barry, un paisible enseignant de 50 ans inconnu des Guinéens, leader d’un parti politique lilliputien, l’Union pour le progrès national (UPN), proclamait sa propre victoire avec 56 % des voix.
Les leaders de l’opposition qui ont boycotté le scrutin ont été placés sous haute surveillance et se sont vu interdire d’organiser toute forme de manifestation publique et même de quitter le territoire dans les jours qui ont précédé et suivi le 21 décembre.
Après avoir gagné sans avoir livré de combat, que peut faire Conté de sa « victoire » ? Que peut-on attendre de ce nouveau mandat d’un homme de 70 ans atteint d’un cancer du sang et rongé par le diabète, si mal en point qu’il n’a pu descendre de sa voiture pour accomplir son devoir civique ? Des questions qui se posent avec d’autant plus d’acuité que le chef de l’État est cette fois-ci « élu » pour un septennat, la réforme constitutionnelle du 11 novembre 2001 ayant porté la durée du mandat présidentiel de cinq à sept ans. Si Dieu lui prête vie, Lansana Conté est théoriquement au pouvoir jusqu’en 2010…

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Replié dans son village, abandonné aux philtres de guérisseurs recrutés aux quatre coins du pays, plongé dans un « repos » ponctué de voyages médicaux (Maroc, Cuba…), Conté n’exerce plus la réalité d’un pouvoir qu’il s’obstine à conserver. Seul un cercle restreint d’amis et de collaborateurs ont accès à lui, comme l’homme d’affaires El Hadji Mamadou Sylla, patron des patrons et président de la chambre de commerce ; les généraux de l’armée ; le ministre secrétaire-général de la présidence de la République Fodé Bangoura ; son homologue des Finances Cheick Ahmadou Camara ; le gouverneur de la Banque centrale Ibrahima Chérif Bah et son adjoint Fodé Soumah. Nombre de membres du gouvernement se plaignent, en privé, d’attendre des jours, voire des semaines pour pouvoir consulter le chef de l’État et, quand ils y parviennent, de le quitter, dans la plupart des cas, sans qu’il puisse émettre un avis. À en croire l’un d’eux, « sauf dans l’hypothèse miraculeuse où le président de la République retrouverait une bonne santé et un rythme de travail normal, le pays est parti pour demeurer dans la léthargie. Le climat délétère actuel va perdurer au sommet de l’État. Les querelles de succession entre factions rivales du PUP [parti au pouvoir, NDLR] paralyseront davantage encore l’État. »

L’attentisme né de la maladie du président accentue la marginalisation économique du pays. La Guinée n’a reçu que 12 millions de dollars de concours extérieurs en 2003, alors qu’elle aurait pu en obtenir 800 millions au titre de l’allègement de la dette dans le cadre de l’initiative PPTE (pays pauvres très endettés). Faute de programme avec le FMI depuis deux ans et en proie à la prédation caractéristique des régimes en sursis, le pays a vu son économie dégringoler : réduction du PIB de 30 % au cours des cinq dernières années, flambée des prix et dépréciation accélérée du franc guinéen (1 dollar s’échangeait contre 1 100 FG en 1999, contre 2 400 FG aujourd’hui).

Tout porte également à croire que l’isolement diplomatique de la Guinée, dû en partie à l’absence totale du chef de l’État des rencontres internationales de ces dernières années, va aller en s’accentuant. Dernier revers en date : en dépit de ses atouts (position géographique idoine) pour abriter le futur siège de la Zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest (ZMAO), le pays a été débouté de sa demande, le 19 décembre à Accra.
« On peut considérer, tranche un diplomate en poste à Conakry, que quelle que puisse être par ailleurs sa volonté de faire des choses, Lansana Conté ne peut plus, dans son état actuel, que paralyser son pays et le soumettre à des risques de basculement. » C’est sans doute pour cette raison que le chef de l’État sénégalais Abdoulaye Wade a songé un moment à proposer à son homologue guinéen une retraite dorée à Dakar. Et que le numéro un nigérian Olusegun Obasanjo a exprimé devant ses pairs de la ZMAO sa volonté de « rencontrer prochainement [son] frère Conté pour lui parler ».

Mais toutes ces initiatives risquent de se heurter à la résistance d’un homme pour qui le destin de son peuple continue de se confondre avec le sien propre et qui, peut-être, croit toujours pouvoir être utile au pays. Au point de déclarer, dans l’adresse à la nation du 31 décembre, qu’il est arrivé péniblement à lire : « Assuré du soutien indéfectible du peuple comme l’attestent les résultats de la présidentielle du 21 décembre, je renouvelle solennellement au peuple de Guinée le serment de m’employer à servir ses intérêts supérieurs et sa cause sacrée. »

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