Daniel Kablan Duncan : « Peu de pays ont obtenu pareils résultats »

La croissance est de retour, et elle est forte. Le Premier ministre ivoirien, Daniel Kablan Duncan, entend en profiter pour engager plusieurs grands chantiers et attirer les investisseurs, publics ou privés.

Publié le 11 février 2014 Lecture : 5 minutes.

Sa connaissance de la fonction (il a déjà été Premier ministre de 1993 à 1999 sous la présidence d’Henri Konan Bédié) est son premier atout. Sa connaissance des dossiers est le second. À 70 ans, Daniel Kablan Duncan a, main dans la main avec Alassane Ouattara, le chef de l’État, remis le pays sur les rails, amorçant un retour à la sécurité, à une paix durable et à la relance de l’économie. Et il ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.

Propos recueillis à Abidjan par Baudelaire Mieu

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Jeune Afrique : La Côte d’Ivoire connaît une belle croissance économique, mais la population estime qu’elle ne profite pas de cette embellie. Comment rendre cette croissance inclusive ?

Daniel Kablan Duncan : Il faut se souvenir que nous revenons de loin. La crise postélectorale de 2010-2011 a failli faire basculer le pays dans le chaos. Les infrastructures de base ont été détruites ou laissées à l’abandon. L’objectif du président de la République, après son investiture, était d’amener le gouvernement à assurer la paix et la sécurité, à bâtir le grand chantier de la réconciliation nationale et enfin à amorcer la reconstruction et la relance économiques.

Les deux premiers chantiers étaient importants parce que sans paix, sans sécurité et sans réconciliation, il était difficile de faire repartir l’économie. En 2011, notre croissance a été négative de 4,7 % alors que les prévisions étaient comprises entre – 6 et – 8%. Nous avons ensuite élaboré un Plan national de développement [PND] de 11 000 milliards de F CFA pour la période 2012-2015. L’État et le secteur privé national et international ont travaillé en partenariat pour réaliser des investissements massifs dans les infrastructures.

Le principal défi de l’économie ivoirienne est de pouvoir disposer d’une croissance forte et soutenue pendant plusieurs années

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Résultat : en 2012, la croissance a été de 9,8 %. Peu de pays ont obtenu un tel résultat, et nous visons les 10 % pour 2014 et 2015. Cette consolidation pourra alors profiter au plus grand nombre. Le principal défi de l’économie ivoirienne est donc de pouvoir disposer d’une croissance forte et soutenue pendant plusieurs années, comme à l’époque du « miracle ivoirien », où, de 1960 à 1980, le pays a connu une croissance moyenne de 7 %, qui a profité à toute la population. L’objectif reste d’être un pays émergent à l’horizon 2020.

Quel bilan tirez-vous du PND, qui reste l’un des programmes phares du quinquennat ?

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Il comprend deux volets : l’investissement public et l’investissement privé. Les besoins étaient estimés à 4 milliards de dollars [environ 3 milliards d’euros] pour le public, et les bailleurs de fonds se sont engagés pour plus de 8 milliards de dollars. Le secteur privé n’est pas resté en marge. Lors de la réunion des bailleurs de décembre 2012 à Paris, plus de 380 investisseurs ont fait des promesses. La phase d’exécution du PND est donc bien engagée, notamment autour des grands chantiers, comme le pont Henri-Konan-Bédié, la centrale d’Azito ou le barrage hydroélectrique de Soubré. L’objectif était d’atteindre 92 % de réalisation des investissements publics pour la fin de 2013.

Quelle est la place réservée aux PME-PMI dans le PND, celles-ci étant considérées comme l’un des maillons faibles de l’économie ivoirienne ?

Les PME-PMI constituent 80 % des entreprises de Côte d’Ivoire, mais elles ne contribuent qu’à 18 % du PIB. Notre objectif est de créer des conditions favorables à leur éclosion et à leur développement. Le gouvernement a élaboré un plan intitulé « Phoenix » pour revitaliser le secteur avec des aménagements fiscaux et pour lui faciliter l’accès aux financements. L’État a également prévu qu’une partie des marchés publics sera réservée aux PME. Nous avons rencontré nos partenaires, notamment la Banque mondiale, pour qu’ils nous apportent leur concours afin de permettre à nos PME-PMI d’aller de l’avant. Pour ce faire, notre objectif est de professionnaliser les PME, qui doivent renoncer au secteur informel pour devenir des entreprises nationales pourvoyeuses d’emplois.

Local content : nous devons soutenir les Ivoiriens, mais pas à n’importe quel prix.

Qu’est-ce qui explique aujourd’hui la faiblesse de la politique du local content (préférence nationale pour l’emploi) ?

Dans ce domaine, l’État n’est pas resté les bras croisés. Nous devons soutenir les Ivoiriens, mais pas à n’importe quel prix. Il faut d’abord agir méthodiquement, en commençant par identifier nos qualités pour pouvoir aller de l’avant.

Ne redoutez-vous pas que vos efforts restent vains si, dans le même temps, vous ne parvenez pas à juguler une corruption susceptible de faire fuir les investisseurs ?

Le chef de l’État nous exhorte régulièrement à combattre ce mal. D’ailleurs, nous venons de mettre en place la Haute Autorité de la gouvernance, qui disposera de tous les instruments nécessaires pour lutter contre ce phénomène. Nous voulons rassurer les investisseurs sur notre volonté d’en finir avec la corruption. Des mécanismes ont été mis en place, comme la création d’un tribunal de commerce. Nous avons engagé plusieurs réformes structurelles et institutionnelles destinées à améliorer l’environnement des affaires, notamment dans les mines et le pétrole. Nous profiterons justement du Forum ICI 2014 [Investir en Côte d’Ivoire, du 29 janvier au 1er février] pour présenter l’ensemble de nos réformes économiques aux investisseurs.

Avec la montée en puissance des Chinois dans les grands projets, ne craignez-vous pas de froisser vos partenaires traditionnels ?

Nos amis chinois financent eux-mêmes beaucoup d’infrastructures. La Chine contribue au projet de l’autoroute de Grand-Bassam pour plus de 120 millions de dollars. Elle participe déjà à la construction du barrage hydroélectrique de Soubré à hauteur de 85 % et vient de consentir au pays une ligne de crédit de plus de 300 millions de dollars.

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Les prêts des Chinois sont très avantageux : ils courent sur vingt à vingt-cinq ans, avec parfois un différé de cinq ans, et un taux d’intérêt d’environ 2 à 3 %. De tels investisseurs ne sont pas légion. Lors du sommet Chine-Afrique de 2013, Pékin s’était engagé à investir 20 milliards de dollars en Afrique, et la Côte d’Ivoire essaiera d’en capter le maximum. Mais nous sommes également prêts à aller en Inde ou au Danemark chercher les financements susceptibles de soutenir notre économie.

Le gouvernement a annoncé une levée de fonds sur les marchés internationaux dès cette année pour relancer l’investissement. Pourquoi maintenant ?

Nous empruntons déjà régulièrement en francs CFA à l’intérieur de la zone UEMOA. Mais, pour mieux soutenir les investissements, l’État envisage de lever en 2014 entre 800 millions et 1 milliard de dollars via des émissions de bons en euros. Un choix très avantageux pour nous. Pourquoi maintenant ? Pas par effet de mode, mais parce que nous sommes liés au FMI, qui nous conseille en matière d’endettement. Et nous devons tenir nos engagements.

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