Tueurs de paix

Alors que les traités internationaux visant à leur interdiction et à leur collecte existent, ces armes frappent aveuglément une personne toutes les vingt minutes, y compris dans les pays où les guerres sont terminées.

Publié le 5 janvier 2004 Lecture : 5 minutes.

Soboka a été tuée à 27 ans, en juin 2002, non loin de son village, dans la province angolaise de Moxito. Alors qu’elle labourait le champ familial, elle a sauté sur une mine antipersonnel. Elle est morte sur le coup. Une victime de plus de la guerre civile, pourtant interrompue depuis un an et demi. Aujourd’hui encore, on compte par milliers les mines non explosées autour de son village.
On les appelle les « tueurs en sommeil ». Ces engins enfouis font des ravages longtemps après la fin des hostilités. Le premier traité international obligeant « à déblayer toutes les armes non explosées qui menacent les civils une fois que la guerre est terminée », a vu le jour à Genève, le 28 novembre dernier, selon Rakesh Sood, l’ambassadeur indien qui présidait les négociations. Près d’une centaine de pays ont adopté un traité international dans lequel ils s’engagent à « nettoyer » les résidus explosifs de guerre qu’ils laissent sur les zones de combats. C’est-à-dire les mines et munitions non explosées, les véhicules de guerre endommagés, les armes légères et de petits calibres ainsi que les explosifs et munitions abandonnés des conflits existants ou passés. Ce texte, qui entrera en vigueur dès que 20 États l’auront ratifié, vient s’adjoindre à la Convention de l’ONU sur les armes conventionnelles (1980), qui regroupe 92 États à ce jour dans le monde. Il vient aussi parachever la Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction, également appelé traité d’Ottawa, qui fut adopté par l’ONU en 1997.
À l’exception de la Somalie, les 48 pays d’Afrique subsaharienne sont États Parties ou signataires de la Convention d’interdiction des mines. Mais aucun pays de la région n’a adopté de législation nationale en vue de mettre en oeuvre ce texte. La prise en compte de la question des résidus explosifs de guerre dans le droit humanitaire n’aurait pu se faire sans la mobilisation de la société civile internationale, première victime de ces débris explosifs de guerre.
Aucun pays d’Afrique subsaharienne n’a été identifié comme producteur de mines antipersonnel. Mais les organisations humanitaires craignent qu’elles ne soient illégalement transférées d’un pays à l’autre. Des mines de plus en plus sophistiquées, de plus en plus meurtrières. En fait, on peut classer ces armes du troisième type en deux catégories. La première génération concerne les mines antipersonnel utilisées jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Le traité d’Ottawa définit la mine comme un engin quelconque placé sur ou dans le sol et conçu pour exploser ou éclater du fait de la présence, de la proximité ou du contact d’une personne. À partir du second conflit mondial, et surtout pendant les récentes guerres « modernes », les premières sous-munitions furent utilisées à partir de bombes larguées par des avions. Comparé à celui des mines, leur mécanisme de mise à feu est spécifique, puisqu’il peut se déclencher avant, au moment de l’impact, ou après. De plus, les matériaux non métalliques qui les composent depuis une vingtaine d’années empêchent leur détection, et il est très difficile, voire impossible, de connaître leur emplacement exact. Toutes les armes qui ont été lancées, tirées, projetées ou larguées et qui n’ont pas explosé, le plus souvent en raison d’un mauvais fonctionnement, échappent à tout contrôle et restent actives pendant des dizaines d’années. Et ces bombes dormantes accusent un taux de défectuosité pouvant aller jusqu’à 15 %.
Sur les 23 pays d’Afrique subsaharienne concernés par les mines et autres résidus, l’Angola est considéré comme l’un des plus touchés. Il stigmatise à lui seul l’ensemble des plaies générées par l’utilisation de débris explosifs sur le continent africain. Pas moins de 76 différents types de mines antipersonnel provenant de 22 pays ont été retrouvés ou répertoriés en Angola. Selon le rapport annuel 2001 de l’Institut national de déminage, plus de deux millions de zones minées et concernées par la présence de débris explosifs ont été recensées, et seulement 660 zones ont été « nettoyées » depuis 1995.
Trois facteurs essentiels peuvent expliquer que le continent africain est particulièrement affecté par les accidents dus aux mines et autres résidus de guerre explosifs. D’abord, l’exode des populations déplacées par les conflits, qui encombrent les routes anarchiquement, multipliant ainsi les risques d’accidents. Ensuite, l’utilisation ordinaire de camions plus lourds que ceux utilisés en période de guerre accroît les risques d’explosion de bombes à même le sol. De nombreux chauffeurs inexpérimentés circulent, par exemple, en zone rurale, et creusent de nouveaux raccourcis qui ne font pas forcément partie de la zone déminée. Enfin, le climat constitue le troisième grand facteur de risques. Les saisons de pluie déplacent les mines, effacent les marquages (délimitations des zones déminées ou en cours de nettoyage), modifient le contour de l’étendue exacte du déminage…
Les conséquences sur la reconstruction du pays sont dramatiques. Indirectement, la présence des mines limite l’accès des populations aux services de santé, à l’eau potable et aux terres cultivables. Des milliers de paysans ne peuvent plus travailler leurs terres, l’accès des infrastructures de communication et d’irrigation est laborieux. Les mines constituent, dès lors, un obstacle de plus à la mise en oeuvre des plans de paix, de rapatriement et de réinstallation des populations réfugiées et déplacées, dans les périodes d’après-conflit.
Pourtant, des programmes d’action contre les mines conduits en Afrique subsaharienne existent et, selon l’Observatoire des mines, les donateurs ont consacré en 2002, au titre de l’action contre les mines, environ 21 millions de dollars en Angola, 16 millions au Mozambique et 11 millions en Érythrée.
Des activités de déminage humanitaire ont été menées par des acteurs internationaux, nationaux et non gouvernementaux dans au moins 11 pays en 2002-2003 : Angola, Djibouti, Érythrée, Guinée-Bissau, Mauritanie, Mozambique, République démocratique du Congo, Rwanda, Tchad, Éthiopie et Soudan, ainsi qu’au Somaliland.
Aujourd’hui encore, à travers le monde, toutes les vingt minutes, une personne est blessée ou tuée par l’explosion d’une mine. Une autre guerre qui ne dit pas son nom. À ce jour, aucun mécanisme de sanction tangible n’a réellement été mis au point sur le terrain pour contraindre les responsables à déminer les champs de bataille. Une lacune dont tous les pays profitent. D’autant que certains États signataires du traité d’Ottawa se trouvent aussi être fabricants et fournisseurs pour le marché mondial de résidus explosifs de guerre en tout genre…

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