Shirin Ebadi

Avocate iranienne, Prix Nobel de la paix 2003

Publié le 5 janvier 2004 Lecture : 3 minutes.

Première femme iranienne à avoir exercé les fonctions de magistrat, Shirin Ebadi, 56 ans, n’a cessé, depuis qu’elle a été « révoquée » par les mollahs en 1979, de militer en faveur de la liberté, de la démocratie et de l’égalité des sexes. Incarnation d’une dissidence « légaliste » issue de la société civile, elle prône la réforme de la Révolution par le dialogue et la mobilisation, et dénonce aussi bien l’obscurantisme religieux des conservateurs iraniens que l’aveuglement impérialiste de l’administration Bush.

Jeune Afrique/L’intelligent : Vous avez déclaré à plusieurs reprises que l’islam n’est pas incompatible avec la démocratie, l’égalité des sexes ou les droits de l’homme. De quel islam parlez-vous ? Celui des talibans afghans, celui des mollahs iraniens, ou celui de la Tunisie ?
Shirin Ebadi : L’islam est l’islam. L’important est la lecture qu’on en fait. Avec une interprétation correcte des textes sacrés, nous pouvons, nous aussi, respecter les droits de l’homme et la démocratie.
J.A.I. : Vous auriez demandé au président Chirac et à l’Union européenne de vous aider à obtenir la réforme de la loi électorale en vigueur en Iran. N’est-ce pas réclamer ce que vous avez fermement dénoncé à Oslo, à savoir l’ingérence étrangère dans les affaires intérieures d’un pays ?
S.E. : L’établissement de la démocratie et le respect des droits de l’homme dans un pays donné sont avant tout de la responsabilité des citoyens dudit pays. Le président Chirac m’a interrogée sur la situation de la démocratie en Iran. Quand je lui ai parlé de la loi électorale, laquelle ne permet pas aux électeurs de choisir librement leurs représentants, il s’est proposé de mobiliser l’Union européenne pour en obtenir la réforme.
J.A.I. : Mais le Conseil des gardiens [instance chargée de vérifier si les lois votées par le Parlement sont en conformité avec la charia] a rejeté le projet de loi du gouvernement supprimant les droits spéciaux des gardiens [dont la validation des candidatures].
S.E. : Oui, mais le Conseil de discernement [dirigé par l’ancien président conservateur l’ayatollah Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, numéro deux du régime et ami intime du Guide, l’ayatollah Ali Khamenei] vient d’accorder aux mères iraniennes le droit de garde de leurs enfants jusqu’à l’âge de 7 ans, droit qui leur avait été refusé par le Conseil des gardiens. Je persiste à croire que les Iraniens pourront un jour choisir librement leurs représentants.
J.A.I. : Que faites-vous pour les prisonniers politiques ?
S.E. : Obtenir la libération sans condition de tous les prisonniers d’opinion, y compris les étudiants, a toujours été une de mes priorités. Cela dit, avec le prix Nobel, on ne m’a pas remis une clef en or capable d’ouvrir les portes des prisons.
J.A.I. : Que répondez-vous à ceux qui vous accusent d’avoir été instrumentalisée par les Occidentaux qui combattent la République islamique ?
S.E. : Tel n’est pas mon avis. Mais chacun est libre de croire ce qu’il veut.
J.A.I. : Que pensez-vous de la Révolution islamique.
S.E. : En 1979, je comptais parmi les défenseurs de la Révolution. Si elle avait atteint tous ses objectifs, elle aurait été une bonne révolution. Force est de constater que cela n’a pas été le cas.
J.A.I. : Dans une interview au Monde, le président Khatami a affirmé qu’il vous avait conseillé de porter le voile « en tant que musulmane » lors de la cérémonie de remise de votre prix, ajoutant aussitôt que « chacun était libre de son choix ». Ne pensez-vous pas que cette dernière déclaration constitue une avancée sans précédent ?
S.E. : Demandez à M. Khatami de commenter sa déclaration, pas à moi…
J.A.I. : Mais le fait qu’il ait insinué que la femme iranienne était libre de ses choix vestimentaires…
S.E. : S’il a dit une telle chose, c’est que sa foi dans les libertés est grande !
J.A.I. : Quel impact votre prix peut-il avoir sur le sort des musulmanes ?
S.E. : Le choix du jury d’Oslo va encourager les femmes musulmanes à croire plus en elles-mêmes et en leurs forces, à exiger leur droit à la liberté et à l’égalité avec plus de fermeté. Ce prix n’est pas seulement le mien. Il appartient aussi à tous ceux qui luttent pour la liberté, l’égalité et la démocratie partout dans le monde.
J.A.I. : La situation de la justice en Iran est-elle satisfaisante ?
S.E. : Non. La justice doit être indépendante. Les juges doivent être entièrement libres.

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