Que reste-t-il de ses atours ?

La capitale a perdu de son lustre. Les façades colorées des bâtisses coloniales s’usent et le flux de nouveaux arrivants l’étouffe chaque jour un peu plus.

Publié le 5 janvier 2004 Lecture : 5 minutes.

Un soleil de plomb darde ses rayons sur Luanda. Une chaleur torride nargue l’océan Atlantique qui borde la ville, impuissant à l’abreuver de sa brise. Dès la sortie de l’aéroport, le regard est attiré, au loin, par les musseques, ces quartiers sinistrés faits de maisons en brique ou en tôle, construits sur cette terre rouge dont ils tirent leur nom. Ils s’étendent sur des dizaines de kilomètres : à l’est de la ville vers Viana, au nord vers Cacuaco, au sud vers Samba et Futungo…
La ville fortifiée, construite au XVIe siècle par les Portugais, porte des marques indélébiles de cinq siècles de colonisation et d’une guerre fratricide de vingt-sept ans. Luanda est dominé par une bourgeoisie essentiellement blanche et métisse, qui habite les beaux quartiers, conduit des voitures neuves de grande marque, fréquente des restaurants aux tarifs dissuasifs, passe ses week-ends dans le cadre paradisiaque de Mussulo (à 25 km en bateau), va à Lisbonne même pour soigner une simple migraine, a un pied dans le pouvoir et un autre dans les affaires…
L’agglomération se divise en deux. D’un côté la « ville basse » et ses grandes bâtisses de style colonial, à la couleur fanée et aux façades moisies par les années. On ne trouve ici que bureaux, boutiques, restaurants, cafés… s’étendant du vieux barrio (quartier) Coqueiros à Mutemba, et de Kinaxixe à Maianga… La Cidade Alta (ville haute) héberge pour sa part le palais de l’ancien gouverneur de la ville, rénové par José Eduardo Dos Santos, les ministères dits « stratégiques », le joyau architectural de l’Igreja do Jesus (église de Jésus) et la résidence de l’évêque de Luanda. Se tiennent également sur les hauteurs de la ville les quartiers huppés Alvalade et Miramar, antres de tout ce que la cité compte de pontes du régime, hauts fonctionnaires, diplomates et cadres de multinationales.
Les villas luxueuses, grillagées et gardées qu’on y trouve tranchent avec la misère désolante des musseques, peuplés de laissés-pour-compte, de « bas revenus », de personnes chassées par la guerre de Kuito, Malange ou Huije, des villes proches de la capitale. Luanda dégage une forte impression de pauvreté, d’insalubrité, de surpeuplement… De nombreux crianças da rua, ces fameux enfants des rues, squattent les espaces abandonnés – entrepôts et usines désaffectés, immeubles effondrés, terrains vagues -, fouillent les poubelles dans l’espoir de trouver à manger, tendent la main à tout passant pour obtenir une pièce… Âgés de trois à dix-huit ans, séparés des leurs par l’éclatement familial dû à la guerre, ils mangent, dorment, jouent, se blessent, et meurent quelquefois, sur le seuil des bâtiments, les marchés, la place du 1er-Mai, le parvis des églises… Des organisations non gouvernementales se mobilisent, sortent des tracts pour crier le droit de ces enfants à être pris en charge par l’État. Le foyer Mulemba par exemple, ouvert en 1997 à Viana, dans la banlieue, en accueille cinquante. Une goutte d’eau dans l’océan.
Les candongueiros, des taxis collectifs bleus et délabrés, sillonnent la ville, ajoutant à la pollution sonore par leurs klaxons et le bruit de leurs carcasses vétustes. Le week-end, ils déversent les « baigneurs » par dizaines sur la presqu’île d’Ihla, une bande de terre liée à la ville et cernée par les eaux de l’océan, parsemée de palmiers, de cahutes de pêcheurs et, au bout, de restaurants et pubs en plein air de style caribéen. On y pratique la capoeira, un art martial qui conjugue rythme musical, souplesse, acrobaties et contorsions. Un genre afro-brésilien créé au XVe siècle en Angola – et devenu l’expression de l’identité culturelle des esclaves au Brésil -, interdit puis réhabilité au XIXe siècle. À la Ihla, les jeunes bougent également au rythme de sonorités locales comme la semba (ancêtre de la samba brésilienne) et le kizomba. Comme pour rappeler que Luanda est la capitale africaine de la danse et qu’elle accueille, chaque année, une compétition entre les créations chorégraphiques de différents pays du continent.
La ville est bruyante. S’y mêlent d’étourdissants bruits de moteurs de guimbardes crachant une fumée noire, les cris lancés aux passants par les peixeiras – ces vendeuses de poissons qui prennent d’assaut toutes les artères à partir de la Ihla -, les appels des kinguilas, ces femmes qui exhibent des liasses de billets et proposent de changer les dollars en kwanzas (la monnaie locale) ou vice versa. Luanda craque à vue d’oeil.
La ville comptait 20 000 habitants en 1900, l’agglomération en englobe aujourd’hui plus de 3 millions. Elle a vu débarquer plusieurs vagues d’arrivants, depuis le XIXe siècle. Les colons portugais cantonnaient alors les autochtones dans les musseques de la périphérie pour « blanchir » le centre. La plus belle artère de la capitale, l’avenue Marginal, qui longe la baie, rappelle cette période où les « grands » de l’administration coloniale et autres négociants en commerce y érigeaient demeures et somptueux bureaux. La ville était d’ailleurs autrefois appelée « le petit Rio de Janeiro », référence à la ressemblance de son front de mer avec celui de l’ancienne capitale brésilienne. Au début du XXe siècle, l’industrie du café y attire une abondante main-d’oeuvre en provenance des provinces pauvres du pays. Puis, pour contrecarrer les revendications indépendantistes qui commencent à se faire jour, le Portugal décide de faire de l’Angola une colonie de peuplement, et inonde la capitale de métropolitains, des années 1930 aux années 1960. En 1970, à Luanda, il y avait 125 000 Blancs, 40 000 métis et 315 000 Noirs.
Le brassage a donné une ville multicolore, un mélange noir-blanc-métis qui charme le visiteur. Ici, comme aux Caraïbes et aux Antilles, le métissage a produit des beautés. Les Luandaises sont jolies, colorées et habillées… à la mode brésilienne. Les telenovelas et les productions des musiciens E. O. Tchan, Caetano Veloso, Gilberto Gil… inondent maisons et lieux de divertissement, consolident l’influence du pays de la samba.
Mais les points chauds de la nuit de Luanda – Miami Beach, Copaca-bana… – résonnent du rap et du kizomba, servis par les vedettes locales Don Kikas, Maya Cool, As Gingas, Mister Nino…
L’avenir se veut malheureusement plus menaçant pour cette agréable cité. La descente vers la capitale d’ex-réfugiés et de personnes déplacées, amorcée dans les années 1970, s’est accélérée depuis la fin de la guerre. Et pour cause : Luanda est le dernier pôle économique du pays. Construits pour accueillir le flux ininterrompu d’arrivants, les quartiers Palanca, Mabor, Benfica, Rocha Pinto, Petrangol… sont brusquement sortis de terre sans qu’aient été réalisés l’assainissement (réseaux d’eaux résiduaires, d’eau potable, évacuation des ordures ménagères) et les travaux d’urbanisme (traçage des routes, électrification…) nécessaires. Ainsi, ils se retrouvent souvent inondés, envahis par des moustiques, prisonniers d’une odeur pestilentielle.
Luanda ne respire plus. Elle a besoin d’un bol d’air pour devenir à nouveau vivable, retrouver son lustre et l’éclat de son centre-ville, l’ex-quartier européen qui faisait naguère sa fierté en Afrique.

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