Algérie : à Sonatrach, des investissements sans ambition ?

La compagnie publique pétrolière et gazière prévoit d’investir 40 milliards de dollars sur cinq ans, soit un niveau proche de son engagement moyen depuis 2016. Mais les défis qui l’attendent réclament sans doute davantage.

Des installations de Sonatrach en Algérie. © JF Rollinger pour Jeune Afrique

Publié le 26 janvier 2022 Lecture : 6 minutes.

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Les 500 premières entreprises africaines en 2022

La 23e édition du Top 500 porte les stigmates de la pandémie. Ce classement exclusif fondé sur les performances de 2020 – on était alors au plus fort de la tourmente – le reflète. Les grandes entreprises ont subi un choc inédit.

Sommaire

Après une année 2020 difficile, Sonatrach a terminé 2021 sur de meilleurs résultats. Le géant des hydrocarbures a exporté pour 34,5 milliards de dollars, contre 20 milliards de dollars un an auparavant. Fort de cette réussite, le PDG du groupe, Toufik Hakkar, ainsi que les principaux cadres de Sonatrach, se sont succédé début janvier dans les médias pour évoquer les performances de l’entreprise nationale.

« Sonatrach a réussi à maintenir le cap de production pétrolière grâce à la hausse des quotas au sein de l’Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole, ndlr) et à l’augmentation du prix du baril qui a grimpé en moyenne de 40 % par rapport à 2020, atteste l’ancien ministre de l’Énergie et ex-dirigeant l’entreprise, Abdelmadjid Attar. Ses exportations globales ont aussi augmenté de 19 % en volume, grâce au gaz surtout. Ce chiffre aurait pu être plus important, mais la demande intérieure croit de plus en plus. »

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Dans les 34,5 milliards de dollars d’exportations, Mourad Preure, expert pétrolier international, estime qu’il faut « distinguer la part due à l’augmentation de la production et celle due à une embellie pétrolière qui reste aléatoire ». Qualifiant les déclarations des officiels algériens d’optimistes, il enchaîne : « Une compagnie pétrolière ne doit pas être jugée sur le niveau de ses exportations, mais plutôt sur sa faculté à vendre une production qu’elle a réalisée à moindre coût, découvrir des réserves, réaliser des profits. »

Sonatrach doit être en capacité d’être un grand donneur d’ordres

Ne plus être un simple exportateur

Car malgré des résultats globalement positifs, Mourad Preure défend « un saut qualitatif, aujourd’hui impératif » pour l’entreprise. L’objet de ce virage stratégique ? Participer aux reconfigurations en cours de la scène énergétique internationale et non plus se positionner comme une source d’approvisionnement, un exportateur d’hydrocarbures. « Sonatrach doit être en capacité d’être un grand donneur d’ordres, d’orchestrer toute la chaîne de sous-traitants parapétroliers pour réaliser ces objectifs, d’abaisser ses coûts de découverte et de production, d’augmenter sans cesse ses réserves, d’opérer dans l’amont pétrolier dans des zones frontières. »

Les défis sont donc multiples si Sonatrach veut devenir un acteur de poids dans le secteur. Le mastodonte algérien a pris un retard important dans ses investissements pour renouveler ses réserves, mais aussi développer d’autres activités comme la pétrochimie. Pour rebondir, la compagnie compte investir 40 milliards de dollars entre 2022 et 2026, dont 8 milliards de dollars en 2022.

Pour assurer l’investissement, il faut développer les partenariats

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Présenté par les officiels algériens comme relevant d’un effort exceptionnel, cet investissement « n’est pas colossal », assène Abdelmadjid Attar, qui le place au niveau des montants engagés depuis 2016, avec une moyenne de 8,2 milliards de dollars par an. « Compte tenu des défis que représentent le renouvellement des réserves, le maintien du niveau de production, surtout celui du gaz naturel, et enfin le retard affiché dans le domaine de la pétrochimie, l’engagement devrait être supérieur. » Afin de limiter l’effort à produire, l’ancien PDG estime nécessaire de privilégier les partenariats.

Le retour en Libye, une mine d’opportunités

En 2011, la compagnie algérienne avait annoncé un plan stratégique doté de 60 milliards de dollars sur cinq ans pour renforcer ses capacités de production. Mais l’effondrement des cours du brut à partir de 2014 avait forcé le groupe à réduire ses engagements, encore révisés à la baisse après la survenue de la pandémie de Covid-19 en 2020 et une nouvelle chute des cours de l’or noir. En 2020, l’investissement de la compagnie nationale était de l’ordre de 5,7 milliards de dollars.

Ses activités ont souffert de la faible attractivité technique et réglementaire de l’Algérie

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Dans ce contexte, comment Sonatrach pourra-t-elle assurer la disponibilité des 40 milliards de dollars d’investissement promis ? Tout d’abord, le prix du baril du pétrole devra se maintenir à au moins 70 dollars – le baril de brent s’échange pour l’heure à 88,6 dollars. Cela ne se fera pas non plus sans le développement important de ses partenariats, à l’image de l’accord sur la production pétrolière et de coopération dans la transition énergétique signé la mi-décembre 2021 avec l’italien ENI, et de l’exploration de nouvelles zones, par exemple en Libye. D’autant que les exportations, très rentables du groupe pétrolier algérien, sont limitées par la croissance des besoins intérieurs (5 % par an).

Depuis presque dix ans, Sonatrach assure pratiquement 80 % des investissements en amont (exploration-production). Ses activités ont souffert de la faible attractivité technique et réglementaire du pays depuis la chute du baril en 2014, et dans l’attente d’une nouvelle loi pétrolière qui a tardé à se mettre en place, explique Abdelmadjid Attar. Et l’ancien ministre d’insister : « Les activités aval nécessitent aussi de gros investissements, car il y a très peu de projets nouveaux. »

Sonatrach ne doit pas se fermer aux compagnies asiatiques, chinoises en particulier

D’ores et déjà, le groupe public algérien a annoncé, en début d’année, des démarches en vue de son retour en Libye où il avait suspendu la plupart de ses activités en 2014, après avoir engagé d’importants investissements en matière de prospection de pétrole et de gaz. Ce come-back représente d’excellentes opportunités de développement international pour Sonatrach. D’abord du fait de la proximité géographique, et également en raison des structures géologiques libyennes très proches du sous-sol algérien

Nécessaire déploiement dans les énergies renouvelables

Les hydrocarbures seuls permettront-ils la pérennité du géant du secteur ? Mourad Preure en doute. Dans une industrie de plus en plus concurrentielle où le progrès technique jouera un rôle clé, l’expert met en avant la nécessité pour Sonatrach d’accélérer dans le domaine des énergies renouvelables. « Elle doit, à l’instar de ses concurrents se déployer dans toute la chaîne énergétique qui part des énergies primaires (fossiles et nucléaire) jusqu’à l’électricité. »

Le défilé incessant de PDG ces dernières années a eu sans aucun doute un effet néfaste

« L’ensoleillement naturel de notre pays, les importantes ressources en gaz, énergie carbonée la plus propre, et l’évolution exponentielle de la demande nationale permettent à Sonatrach d’être un leader mondial de la transition énergétique. La recherche de la neutralité carbone sera un moteur des reconfigurations futures de l’économie mondiale », développe l’expert.

Si ENI peut être un partenaire majeur dans la mutation de Sonatrach vers une compagnie énergétique, leader dans les énergies vertes, la société doit aussi s’ouvrir à des compagnies énergétiques spécialisées dans les renouvelables. Avec la crise vécue par les spécialistes européens des renouvelables du fait de la concurrence asiatique, la compagnie algérienne dispose d’une fenêtre d’opportunité. « Mais l’entreprise ne doit pas pour autant se fermer aux compagnies asiatiques, chinoises en particulier », insiste Mourad Preure.

Une direction instable

Dans un groupe encore soumis à une ingérence chronique du pouvoir politique, nombre de ces défis semblent difficiles à relever.  Les fréquents changements au niveau de sa direction créent à la tête du groupe pétrolier une instabilité, à l’impact non négligeable sur son rendement et sa gestion. « Il y a une déperdition d’expérience et un sentiment général de précarité et d’instabilité qui ne s’accordent pas avec une entreprise intervenant dans une industrie où l’échéance la plus courte s’exprime en dizaine d’années, déplore Mourad Preure. Le défilé incessant de PDG ces dernières années a eu sans aucun doute un effet néfaste. »

L’actuelle direction restera-t-elle longtemps en place ? « Personne ne peut le savoir, commente l’expert.  Il reste que l’État doit évaluer les compétences et les résultats du management de Sonatrach sur une base strictement objective et choisir les meilleurs, car c’est une industrie qui ne pardonne pas l’échec, qui le pardonnera encore moins à l’avenir. »

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