Quand la rose broie du noir

Miné par les rivalités de personnes, dépossédé de ses chevaux de bataille par le chef de l’État, le Parti socialiste ne s’est toujours pas remis de sa défaite historique au premier tour de la présidentielle d’avril 2002.

Publié le 5 janvier 2004 Lecture : 6 minutes.

Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a au moins un allié : l’opposition socialiste. Ce n’est pas seulement une boutade, mais la triste réalité de la gauche française. Car on a rarement vu un Premier ministre en difficulté se faire sermonner aussi mollement et de manière aussi peu efficace. Au point qu’il doit souvent riposter davantage aux critiques de ses propres troupes, notamment l’aile centriste de sa majorité, qu’à celles de ses adversaires déclarés. Certes, de temps en temps, le Parti socialiste (PS) donne de la voix, mais ses offensives portent sur des points secondaires de la politique de la droite ou se contentent d’attaques personnelles. En fait, il est inaudible. Jamais il ne donne l’impression d’une opposition construite, résolue, apte à proposer une alternance. Non pas, bien sûr, que les socialistes soient séduits par les choix de la droite, sauf peut-être, au niveau de leurs électeurs, en matière de lutte contre l’insécurité. Pas plus, non plus, qu’ils soient en panne d’idées, la quasi-totalité des leaders ayant écrit des livres-programmes, mais des idées éparses ne font pas un projet collectif. Non pas, encore, qu’ils ne bénéficient pas d’une large sympathie de l’opinion. Les sondages témoignent de l’attrait des Français pour le PS, parti en qui ils ont souvent, spontanément, le plus confiance.
Le mal, en réalité, est plus profond. C’est d’abord une maladie de langueur. Les socialistes ne parviennent pas à surmonter leur échec à la présidentielle de 2002. Le fait que Lionel Jospin ne soit même pas parvenu à figurer au second tour, réduit au choc Chirac-Le Pen, les a traumatisés. Depuis, ils ne sont jamais parvenus à analyser cette déroute. Même s’ils n’en sont pas toujours conscients, cette incapacité à comprendre les raisons d’une telle désaffection de l’électorat handicape aujourd’hui encore leur stratégie. Ils ont cru que, passé quelques mois, ils allaient pouvoir rebondir. Il n’en a rien été. En dépit des proclamations et d’un congrès de fausse unanimité, l’année dernière ne leur a pas permis de se constituer en force nouvelle. Au contraire, 2003, comme 2002, a été leur année zéro. Surtout que Chirac a pris plusieurs initiatives qui leur ont coupé l’herbe sous le pied. En ce sens, trois de ses choix, emblématiques, les a fait apparaître plus comme des contemplateurs de l’action présidentielle que comme des initiateurs de propositions neuves. À propos de l’opposition française à la guerre d’Irak et à la politique de Bush, les socialistes n’ont pas su trouver un ton vraiment différent de celui du chef de l’État. Ils n’ont pas davantage contré les attentions que l’Élysée a accordées aux multiples organisations non gouvernementales (les ONG) et au mouvement altermondialiste, au point d’être violemment contestés par celui-ci lors de sa réunion en France. Enfin, la loi sur la laïcité est apparue comme une profonde volonté présidentielle, les socialistes semblant peu participer au débat alors qu’ils étaient historiquement plus légitimes que la droite à traiter du sujet.
Bref, le PS est en crise. D’ailleurs, en privé, chaque socialiste le reconnaît, les responsables comme les adhérents. Et de dresser un tableau catastrophique de l’état de la maison. Non seulement les rivalités de personnes sont permanentes, mais les alliances entre les courants sont bafouées, chacun d’entre eux tendant à reprendre son autonomie pour mieux assurer la primauté de son leader. Même des camarades de longue date en arrivent à s’opposer. Ainsi, le maire de Paris, Bertrand Delanoë, et l’ancien ministre de l’Intérieur, Daniel Vaillant, se sont querellés pour imposer leurs poulains respectifs aux élections régionales. Pourtant, ce sont deux vieux compagnons, deux fidèles de Lionel Jospin constituant les pivots de « la bande à Jospin » depuis plus de vingt ans, deux hommes implantés dans le même arrondissement de la capitale. On pourrait multiplier les exemples de ces oppositions personnelles débouchant sur des affrontements dans les sections socialistes. La perspective des élections régionales (21 et 28 mars) et européennes (13 juin) renforce les antagonismes tant chacun veut imposer ses hommes en position éligible. Ce qui conduit parfois à des situations étonnantes. Ainsi, l’ex-Premier ministre Michel Rocard pourrait ne pas être présent sur la liste socialiste aux élections européennes. Bien que député sortant, son âge et sa liberté de ton vis-à-vis de la ligne actuelle du PS le feraient écarter. C’est pourquoi, ces temps-ci, de prises de bec en polémiques semi-publiques, de mises en cause en batailles pour les places, de doutes en guerre interne, la machine socialiste s’emballe, se dérègle, tourne à vide. Usant les dirigeants exténués par tant de querelles et désorientant les militants écoeurés par tant d’ambitions personnelles.
Ces dernières sont nombreuses. Elles sont légitimes dans la mesure où Lionel Jospin assure s’être retiré de la vie politique et où le PS devra avoir un candidat à la prochaine élection présidentielle, en 2007. Celle-ci, si elle se joue comme un sprint, se prépare comme un marathon. La tactique doit être tout en finesse puisqu’il faut faire comprendre aux Français qu’on peut être candidat à l’Élysée le moment venu sans se déclarer ouvertement. Il s’agit d’habituer l’opinion à la possibilité de sa candidature sans l’annoncer pour autant afin de ne pas apparaître comme un arriviste et un impatient. Deux hommes au moins se livrent à ce jeu depuis plusieurs mois. L’un, Laurent Fabius, ancien Premier ministre de François Mitterrand, généralement considéré comme intelligent mais froid, entend être plus « humain », plus proche des gens, plus attentif à leurs espérances. Il essaie, en multipliant les confidences personnelles et sa présence dans des émissions télévisées populaires, cette rectification d’image. L’autre, Dominique Strauss-Kahn, ex-ministre de l’Économie et des Finances sous Jospin, fait savoir lui aussi, de manière plus discrète, qu’il vise la présidence de la République. Les deux, s’ils sont incontestablement des hommes de gauche, ont une réputation de « libéraux » propre à séduire des électeurs centristes, voire de droite. D’autres encore songent parfois, mais sans le dire, à l’Élysée. Ils s’appellent Jack Lang, l’ancien ministre de la Culture, Bertrand Delanoë, voire Martine Aubry, maire d’une grande ville de province, Lille, ou Bernard Kouchner. Tandis que d’autres personnalités, plus jeunes, veulent se faire un nom, ces rivalités de présidentiables alourdissent l’atmosphère au PS. D’autant que personne ne jurerait que Lionel Jospin ne peut être tenté par un retour aux affaires. Il s’y refuse aujourd’hui, mais demain ? Est-il à la retraite ou en retrait ? Toute la question est là.
Voilà qui ne facilite pas la tâche du premier secrétaire du PS, François Hollande. L’homme est intelligent, brillant et habile. À 49 ans, ce stratège lucide est parvenu à se maintenir à la tête du parti et, si l’extrême gauche entend ne rien lui céder, il sait entretenir de bonne relations avec les autres composantes de la gauche, les Verts et le Parti communiste. Lui aussi peut être présidentiable, même si sa prudence entache sa crédibilité et s’il est peu pris au sérieux par les « éléphants », c’est-à-dire les poids lourds du mouvement. En fait, il n’a pas encore réussi à s’imposer à la tête des socialistes, et ceux-ci aimeraient bien retrouver un patron, un chef capable à la fois de mobiliser les Français et de dompter les fauves qui s’agitent et prennent date pour la présidentielle. Ce n’est pas le cas, et un intellectuel proche du PS, Jacques Julliard, va jusqu’à écrire : « Seule l’apparition d’un leader charismatique, avec toute sa capacité de synthèse et aussi ses ambivalences, permettrait aujourd’hui [au PS] de passer d’une fonction clientéliste à une vocation nationale. Malheureusement, un leader ne se décrète pas par décret. » Peut-être les socialistes gagneront-ils les prochaines élections, celles des régions. Mais cette victoire, possible et probable, ne résoudra pas leurs problèmes. Au fond d’eux-mêmes, ils le savent.

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