Polémiques, critiques et satisfecit

L’Année de l’Algérie en France touche à sa fin. À l’heure du bilan, les points de vue sont partagés. Tour d’horizon.

Publié le 5 janvier 2004 Lecture : 5 minutes.

Djazaïr, une Année de l’Algérie en France s’achève. Grignotée par la saison culturelle chinoise depuis le mois de septembre 2003, elle a laissé définitivement sa place à l’empire du Milieu fin décembre. Définitivement ? Pas si sûr. Des manifestations sont encore prévues en 2004, et certaines expositions courent jusqu’au milieu de l’année.
Djazaïr, née du désir des présidents Jacques Chirac et Abdelaziz Bouteflika, a connu un destin original et polémique. Baptisée dans la fièvre du samedi soir d’un méga-concert à Bercy, le 31 décembre 2002, elle a pourtant connu des débuts assez peu rock’n roll. Démission du commissaire français Dominique Wallon (remplacé par Françoise Allaire), luttes internes au sein du commissariat général algérien (« limogeage » du général Hocine Snoussi remplacé par Mohamed Raouraoua), critiques, boycottage de certains artistes… « C’était une année de tous les dangers, se souvient Hervé Bourges, président du comité mixte d’organisation. Au début, beaucoup pensaient qu’elle serait une saison de propagande en faveur du régime en place. » Pour Ratiba Kheniche, coordonnatrice, qui travaille sur le projet depuis avril 2001, « les controverses du début se sont éteintes d’elles-mêmes. Elles étaient l’expression d’une rancoeur et d’une insatisfaction liées à un système politique. Il y avait une attente énorme par rapport à cette Année qui, dès le départ, était impossible à satisfaire ». Certains, pourtant, n’ont pas désarmé : « Les financements n’ont pas été utilisés de manière transparente », affirme Ourida Benramdame-Yaker, de l’association Planet-DZ qui, via son site Internet, a soutenu les créations du programme « off » et organisé trois mois d’agitation culturelle au Viaduc des arts, à Paris. « Nous ne sommes ni pour ni contre cette Année. C’est vrai que les échanges ont été riches et qu’elle a été l’une des saisons culturelles les plus foisonnantes, mais nous n’adhérons pas à son fonctionnement. »
Le principal reproche concerne la question des fonds engagés. Djazaïr a-t-elle roulé sur l’or ? « Pas du côté français ! » répond-on à l’Association française d’action artistique (AFAA), en charge de l’organisation. « Nous avons « labellisé » sans donner d’argent, financé la communication et aidé à l’édition de catalogues. Ce sont les collectivités territoriales, les conseils régionaux et les institutions culturelles qui ont soutenu financièrement les projets », explique Françoise Allaire. Le budget de fonctionnement, en France, s’est élevé à 2,35 millions d’euros, répartis de manière égale entre l’AFAA et le commissariat algérien. Ce dernier a, de son côté, dépensé 9 millions d’euros. Pour le transport et l’assurance des 3 000 personnes et des 3 000 objets qui ont traversé la Méditerranée, la production d’oeuvres sur place, le soutien au cinéma, l’édition de 450 livres et l’aide au Théâtre national d’Alger (TNA).
Au-delà de ces histoires de sous, Djazaïr pourrait avoir débloqué certaines attitudes. « Pour la première fois, des pièces de musée ont quitté le pays. Pour l’Année de la Chine, il n’y a aucune pièce originale, ce ne sont que des copies, des photographies », indique Hervé Bourges. « Djazaïr s’est faite sans tabous. Les archives ont été ouvertes, ce qui a permis d’aborder des questions douloureuses comme la torture pendant la guerre, les harkis, le 17 octobre 1961… C’est un premier pas vers de vraies relations dédramatisées entre les deux rives. »
Reprenant les mots de Mohamed Ghoualmi, ambassadeur d’Algérie en France, Françoise Allaire souligne que « grâce à cette Année, l’Algérie est en train de récupérer son histoire ». Après une décennie noire où l’Algérie n’était associée qu’aux massacres et au terrorisme, on a pu découvrir l’art contemporain, les plasticiens et les designers du pays.
Djazaïr a aussi réussi son pari en intéressant le public français à la culture et au patrimoine algériens. Tous les musées ont vu leur fréquentation augmenter, attirant un public qui ne se restreignait pas à la communauté algérienne. Le « off », soutenu par la Mairie de Paris et la Fnac, a renforcé l’idée de dynamisme créatif. « Il y a eu beaucoup d’initiatives spontanées. Tout le monde a fait sa petite Année de l’Algérie, sans label ni subvention. Ce n’est pas l’Année officielle qui m’intéresse, mais tout le barouf qu’elle a occasionné, qu’on soit pour ou contre, a été positif », témoigne le dramaturge Aziz Chouaki. Pour Samia Messaoudi, journaliste à Beur FM : « Nous sommes restés en marge pour des raisons politiques. L’Année officielle n’a rien à voir avec notre histoire d’immigrés en France. Je ne suis pas contre, mais cela reste la culture de l’élite. Bien sûr, l’Algérie a été visible pendant un an, mais la politique, notamment le problème de la Kabylie, n’a pas été évoquée. »
Si l’Année a été relayée par les médias français, en Algérie, c’est une autre histoire. Plusieurs quotidiens nationaux se sont fait l’écho des événements mais, globalement, « l’Algérie est restée en dehors », regrette Aziz Chouaki. Et Ourida Benramdame-Yaker de renchérir : « Ça n’a rien apporté à l’Algérie, sauf pour une poignée d’artistes qui sont venus en France, mais une fois rentrés, plus rien… Et puis, il y a eu un vrai ratage sur la communication, l’information n’a pas touché la base. » Le même sentiment est palpable sur place, comme le relève un journaliste du quotidien El Watan : « Cette Année n’a pas vraiment changé les choses ici. Une production artistique a été impulsée, mais tout se fait de manière douteuse. Même si on a parlé d’un budget pour faire des films, le secteur reste sinistré. On est loin du compte en ce qui concerne le développement culturel. » Comme le souligne Ourida Benramdame-Yaker, le souci, aujourd’hui, « c’est la suite ». « Les salles de concert et de théâtre vont-elles continuer à programmer des spectacles algériens ? Les artistes et les associations craignent que non. Nous pensons aussi que certaines expositions doivent aller en Algérie, car les Algériens ne connaissent pas leur histoire, mais il n’est pas sûr que les expos tournent comme prévu. » Pour le commissaire algérien Mohamed Raouraoua : « La majorité des projets ont été produits et réalisés en Algérie, et la coopération algéro-française s’est révélée fructueuse. Des liens se sont tissés cette année de façon durable, créative et novatrice. » Djazaïr, une Année de l’Algérie en France n’a certainement pas dit son dernier mot.

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