Parfum de liberté à Tripoli

Publié le 5 janvier 2004 Lecture : 2 minutes.

Décembre 2003. Tripoli. Ce qui frappe tout de suite le visiteur étranger familier du pays depuis plusieurs années c’est un sentiment inhabituel de légèreté, de liberté, d’ouverture… Les compagnies aériennes qui desservent la capitale de la Grande Jamahiriya – ici, le mot Libye n’existe pas – sont plus nombreuses, même si elles sont toutes européennes ou arabes. Si l’embargo aérien et économique international a été levé définitivement le 12 septembre 2003, celui des États-Unis ne l’a pas été totalement. Il ne permet pas encore à leurs ressortissants de débarquer ici, ni même de commercer à distance. Les sanctions unilatérales imposées par le président Ronald Reagan en 1982 sont toujours en vigueur et ne seront levées – au mieux – qu’en août 2004. Et seulement si la Libye se coule dans le « moule » américain : renonciation définitive au terrorisme, dénonciation de ses ex-alliés terroristes, anéantissement de ses armements de destruction massive (missiles, bombes, produits chimiques) acquis à coup de milliards de dollars depuis les années 1970, et adoption de réformes démocratiques qui restent à déterminer.
Quoi qu’il en soit, en ce mois de décembre 2003, les dirigeants libyens semblent avoir vraiment tourné la page. Les murs de Tripoli ont changé. On a enlevé les affiches et les banderoles à la gloire de la Révolution du 1er septembre 1969… et hostiles aux États-Unis. Les rues sont propres, les boutiques plus nombreuses (prêt-à-porter, électroménager, informatique, téléphonie mobile…). Bijoux clinquants, jeans, jupes en cuir… les filles ont tombé le voile (lequel n’a pas totalement disparu). Elles se maquillent et se coiffent à l’occidentale. Elles vont au restaurant, voyagent à Paris, à Rome. Les garçons, eux, continuent de se rendre à Malte pour faire du commerce. Faute de mieux. Ils aimeraient aller ailleurs en Europe, et surtout aux États-Unis.
Vingt années d’embargo américain et dix années d’embargo international ont laminé le moral des cinq millions de Libyens – surtout des étudiants et étudiantes qui voient leur avenir bouché – et quasiment détruit l’économie du pays.
Exprimé en dollars, dont, pénurie oblige, la valeur en dinar libyen a quadruplé, le revenu moyen par habitant a diminué de moitié (il est estimé aujourd’hui à 3 500 dollars). Le secteur pétrolier est sinistré faute de technologie américaine (la capacité de production est passée de 2 millions à 1,5 million de barils/jour). La Libye, faut-il le rappeler, dispose des plus grandes réserves pétrolières du continent : 36 milliards de barils, soit trois fois plus que l’Algérie et six fois plus que l’Angola (premier fournisseur africain des États-Unis). Les compagnies aériennes libyennes (Afriqiya Airways et Libyan Arab Airlines) opèrent actuellement avec des avions loués… Elles n’attendent qu’un signal pour s’équiper en Boeing.
Dans la stratégie du colonel Kadhafi, la libéralisation économique ne peut se faire sans les Américains : les permis pétroliers que leurs compagnies ont abandonnés il y a vingt ans n’ont jamais été rétrocédés. De même, pour les multiples projets pétrochimiques, sidérurgiques et mécaniques voués à la privatisation. Quant au système politique, Kadhafi l’a rappelé le 8 décembre : il n’est plus le « président » de la Libye, mais son chef spirituel. Le pouvoir appartient au peuple (ici tous les adultes sont membres d’office des comités populaires), et le peuple – qui en a ras le bol de l’embargo – a décidé d’abandonner les armes de destruction massive et de se réconcilier avec l’oncle Sam autrefois honni.

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