Où est passé le magot de Saddam ?
Depuis 1991, l’ex-raïs aurait amassé entre 2 milliards et 7 milliards de dollars. Quelques centaines de millions seulement ont été retrouvés.
Au fond du « trou à rats » où se cachait Saddam Hussein, 750 000 dollars en petites coupures ont été découverts, dissimulés dans une cantine. Bien sûr, il ne s’agit que d’une infime partie de la fortune de l’ancien dictateur, dont le montant serait aujourd’hui compris entre 2 milliards et 7 milliards de dollars. Il était estimé à environ 20 milliards de dollars en 1991. Douze années d’embargo sont passées par là… Pourtant, selon le magazine Forbes, Saddam restait, au moment de sa chute, le troisième dirigeant le plus riche du monde !
Les services américains ont entrepris dès le début de la guerre de traquer ses milliards dans les banques libanaises, syriennes, jordaniennes, suisses ou japonaises, dans les ex-palais présidentiels irakiens ou sur les comptes de mystérieuses sociétés panaméennes. Objectif avoué : faire assumer au raïs le coût du conflit. Le clan Hussein a bien évidemment cherché à contrecarrer les ambitions de Washington. Quelques heures avant l’invasion américaine, vers 4 heures du matin, Qoussaï, le fils cadet du dictateur, prend le chemin de la Banque centrale irakienne où l’attend déjà le ministre des Finances Hekmat Mezian. Il leur suffit de montrer une lettre signée du dictateur, dans laquelle il appelle à lutter contre « l’agression américaine », pour qu’on leur ouvre les coffres-forts. Un milliard de dollars en liquide, soit le quart des réserves en devises de la Banque centrale, sont ainsi chargés sur plusieurs camions. Devant ce « casse », John Snow, le secrétaire américain au Trésor, appelle la communauté internationale à « trouver, geler et retourner l’argent irakien au peuple d’Irak ». Le glissement sémantique est notable : il ne s’agit plus de rembourser le coût de la guerre – qui est aujourd’hui estimé à plus de 88 milliards de dollars -, mais de reconstruire l’Irak « libéré ». Preuve de leur bonne volonté, les Américains ont mis sur pied, peu après la chute de Saddam, un Fonds de développement pour l’Irak, censé canaliser les revenus pétroliers du pays, les avoirs saisis à l’étranger et les aides internationales. Mais ce Fonds est soupçonné par certains pays de financer, en partie du moins, les contrats décrochés par les entreprises américaines, telles que Halliburton, une société d’ingénierie pétrolière dont le PDG, entre 1995 et 2000, n’était autre que l’actuel vice-président américain Dick Cheney.
Sur la manière dont l’ex-raïs a reconstitué sa fortune après la guerre du Golfe, on en sait désormais beaucoup plus. Par l’intermédiaire de groupes « amis », tels que Al-Hodar à Bagdad, Global Trading International au Liban, ou encore Al-Dahma’a en Jordanie, Saddam imposait aux acheteurs internationaux de pétrole une surtaxe de 50 à 70 cents par baril, reversée ensuite sur différents comptes en Suisse et en Jordanie. À cela s’ajoute le produit de la contrebande de pétrole, de gaz, de cigarettes américaines et de voitures : entre 2 milliards et 2,5 milliards de dollars par an, selon l’agence de renseignements privée américaine Kroll Associates, sollicitée en 2000 par l’organisation britannique non gouvernementale Indict et, avant elle, en 1991, par le Koweït. Saddam prélevait également une commission de 10 % sur les budgets d’équipement, au titre de « réparations générales et services »… Pour leur part, les pèlerins chiites, en s’acquittant d’une sorte de droit de passage, contribuaient à hauteur de 50 millions de dollars par an à l’enrichissement du raïs, selon un rapport de l’ONG Coalition for International Justice, basée à Washington.
Confrontés à cet imbroglio financier, les Américains ont, dans un premier temps, chargé les soldats de ratisser le pays. Ils ont rapidement mis la main sur les trésors de la famille Hussein : armes plaquées or, tableaux et objets de valeur… Puis ils ont trouvé quelque 800 millions de dollars en liquide, ceux-là mêmes qui avaient été retirés par Qoussaï quelques heures avant l’invasion. Une bagatelle par rapport à ce qui se trouverait, selon la Maison Blanche, dans les banques étrangères. Au plus fort de l’offensive, George W. Bush et ses conseillers estiment que seul Barzan Ibrahim el-Tikriti peut les mettre sur la bonne voie. Ancien chef des services secrets, ambassadeur d’Irak auprès des Nations unies en poste à Genève de 1989 à 1998, demi-frère du raïs, puis son conseiller, l’homme est le grand argentier du clan Hussein. C’est lui qui a monté le réseau de sociétés-écrans destinées à blanchir l’argent de Saddam. Le 17 avril 2003, il est appréhendé par les forces américaines, mais ses confidences sont bien maigres. Par loyauté envers son ancien maître ? Parce qu’il n’en savait pas autant qu’on voulait le croire ? Ou tout simplement parce que l’empire financier de Saddam n’était pas aussi complexe que cela ?
La Maison Blanche sollicite alors la bonne volonté des États. En mai 2003, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une résolution qui exige le gel de tous les avoirs du régime irakien et leur transfert au Fonds de développement pour la reconstruction. Les États-Unis rappellent au passage qu’ils avaient bloqué 1,7 milliard de dollars dès la fin de la guerre du Golfe et que cet argent avait été reversé au Fonds de développement. La France, qui a été montrée du doigt par la première enquête des détectives de Kroll Associates, évoque, pour sa part, le gel, en 1990, des 90 millions de dollars d’avoirs que la famille Hussein détenait dans le groupe Hachette par le biais d’une société panaméenne, Montana Management. Dirigée par un proche de Saddam, Khalaf el-Dulaïmi, celle-ci avait pris, en 1984, une participation de 8,4 % dans le capital du groupe de feu Jean-Luc Lagardère, qui avait vendu des armes à l’Irak quand il était aux commandes de Matra… La Grande-Bretagne a, quant à elle, retrouvé la trace de 600 millions de dollars. En septembre 2003, le Japon a viré au Fonds de développement 98 millions des 150 millions de dollars placés dans ses banques. Les enquêteurs américains estiment qu’il en reste 500 millions en Jordanie, autant au Liban et peut-être plus en Turquie. La Suisse a également promis de restituer l’intégralité des 585 millions de dollars – 275 millions ont déjà été transférés – retrouvés sur les comptes de plusieurs banques helvétiques. À ce jour, plus de 2,7 milliards de dollars d’origine irakienne ont déjà été placés sur ce Fonds. Mais la plus grosse partie de la fortune de l’ex-dictateur – quelque 3 milliards de dollars ! – se trouverait, selon Washington, dans les banques nationales syriennes. Ce que nient catégoriquement les autorités de Damas.
Les États-Unis ne sont pas les seuls à chercher les milliards de Saddam. L’Irak comptait beaucoup de créditeurs, dont la France, la Russie, le Koweït, l’Arabie saoudite ou encore l’entreprise sud-coréenne Hyundai Engineering & Construction Co. La dette de Bagdad, évaluée par le Fonds monétaire international entre 120 milliards et 400 milliards de dollars, devrait être échelonnée afin de laisser le temps aux chasseurs de prime, avocats et détectives du monde entier de débusquer le magot de Saddam. S’ils s’en tiennent à la résolution 1483 votée en mai 2003 par l’ONU, qui impose un moratoire pour le remboursement de la dette, ils disposent encore de cinq ans pour le trouver. À moins que Saddam, dans une sorte de baroud d’honneur, ne décide de plonger dans l’embarras ses ennemis par quelques révélations fracassantes. Lors de son procès, par exemple…
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