Mon pote Marivaux

L’Esquive, d’Abdellatif Kechiche (sortie à Paris le 7 janvier)

Publié le 5 janvier 2004 Lecture : 2 minutes.

Des deux côtés de l’Atlantique, aux États-Unis comme en Europe, le film sur les adolescents et/ou sur les « quartiers chauds » est à la mode. Elephant, Ken Park ou 8 miles d’un côté, La Haine ou Wesh Wesh de l’autre, ont fait partie de cette cohorte de longs-métrages qui ont tenté de nous montrer ce que vivaient et ressentaient certains jeunes, sinon tous les jeunes, des pays développés.
L’Esquive, de l’acteur et réalisateur d’origine tunisienne Abdellatif Kechiche – remarqué depuis son premier film, La Faute à Voltaire, en 2001 -, était a priori destiné à s’inscrire dans la catégorie « films de banlieue ». Tourné dans une cité de Seine-Saint-Denis, il raconte la vie d’ados qui, comme tant d’autres, passent beaucoup de temps à tchatcher et à frimer au bas des immeubles.
Pourtant, L’Esquive ne ressemble à aucun de ces films auxquels on pourrait avoir la tentation de le rattacher. Il est hors catégorie. D’abord parce que, refusant de « sacraliser » la violence sans pour autant la nier, il obligera les spectateurs, y compris ceux des beaux quartiers, à considérer d’un autre regard, plein de complicité et d’empathie, la vie de jeunes sur lesquels circulent tant de clichés et d’idées préconçues. Ensuite, parce que ce film se détache du lot par la subtilité de son scénario, des plus inattendu, et par la façon magistrale dont il est réalisé.
Le temps du film, tout ce qui arrive aux personnages, est lié aux répétitions de la pièce de Marivaux, Le Jeu de l’amour et du hasard, qui doit constituer le clou de la fête de fin d’année, au lycée. Abdelkrim, dit « Krimo », est un petit caïd qui, du haut de ses 15 ans, vit ses premiers émois amoureux. Un état d’esprit qu’il ne saurait avouer à ses potes et à l’objet de sa flamme sans perdre la face. Pour séduire sa camarade de classe, Lydia, une écorchée vive parfois horripilante qui ne rêve que de briller sur scène avec une robe de marquise « dans un rôle de bourge », il n’hésitera pas à corrompre son copain Rachid. Décidant tout à coup de monter sur les planches, il lui achète avec des marchandises d’origine douteuse le droit de donner à sa place la réplique à la belle, et de lui déclarer ainsi son amour, « comme si de rien n’était ». Une combine qui échouera, car Krimo, bien qu’il « s’améliore de mieux en mieux », n’est vraiment pas doué pour le théâtre, une « activité de pédé » comme le lui répète son meilleur ami.
Cette intrigue casse-gueule, qui transforme un grand espace bétonné en une immense scène de théâtre, nous vaut un film sur les banlieues aussi léger et profond… qu’une pièce de Marivaux. Avec des dialogues savoureux et colorés, que nous servent avec humour et sensibilité des acteurs tellement naturels qu’on a du mal à croire qu’il s’agit d’amateurs. On ne sait si un film qui vous fait aimer les cités HLM peut être totalement honnête, mais on ne résiste pas à l’enchantement.

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