Mercenaires d’État

Si les missions de maintien de la paix coûtent cher aux pays riches, elles constituent une source de revenus appréciable pour les pays pauvres.

Publié le 5 janvier 2004 Lecture : 3 minutes.

Mobiliser des dollars et des troupes en nombre suffisant pour pacifier les coins chauds de la planète n’a jamais été une mince affaire pour les secrétaires généraux successifs de l’Organisation des Nations unies (ONU). Les missions de maintien de la paix décidées par le Conseil de sécurité coûtent cher. Après avoir atteint le montant record de 3,6 milliards de dollars en 1993, en raison des troupes déployées en ex-Yougoslavie et en Somalie, le coût de ces opérations est tombé sous la barre de 1 milliard de dollars en 1998. Résurgence des conflits oblige, la facture s’est à nouveau alourdie, bondissant à 2,6 milliards de dollars en 2002.
L’année 2003 n’a pas été plus facile pour le département onusien des opérations de maintien de la paix car il lui a fallu trouver rapidement 15 000 militaires et 1 115 policiers, conformément à la résolution 1509 du 19 septembre, pour sortir le Liberia du chaos. En attendant que les gouvernements répondent à l’appel, l’ONU a dû se contenter d’une cérémonie de changement de bérets des troupes de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le 1er octobre, à Monrovia. Pour épauler les 3 500 soldats béninois, gambiens, ghanéens, bissauguinéens, maliens, nigérians, sénégalais et togolais, seul le Bangladesh a envoyé des troupes qui servaient en Sierra Leone voisine.
Comme d’habitude, pourrait-on dire, ce pays étant l’un des plus réceptifs aux sollicitations de l’ONU. Au 31 août 2003, le Bangladesh était le deuxième contributeur aux opérations onusiennes de maintien de la paix, avec 3 925 soldats, observateurs militaires et policiers, derrière le Pakistan (4 180 hommes). Ce sont en effet les troupes des pays pauvres qui participent le plus aux missions de l’ONU. Le premier pays « riche » sur les 89 contributeurs aux missions onusiennes – l’Australie, avec 871 soldats – n’arrive qu’en treizième position. Suivent le Portugal (699), le Royaume-Uni (603), le Japon (525) et, plus loin, les États-Unis (453), l’Allemagne (360), la France (315)… Les puissances de la planète veulent bien déployer leurs armées à travers le monde, mais là où elles le souhaitent, quand elles le souhaitent et en dictant leurs propres conditions.
Il y a donc comme un deal tacite entre le Nord et le Sud. Comme le résume Alix Freedman du Wall Street Journal, « les pays riches paient les pays pauvres pour faire le sale boulot dans des endroits désagréables ». Échaudés par quelques expériences qui ont mal tourné, à l’image du fiasco de l’opération américaine Restore Hope en territoire somalien (1992-1993), les gouvernements occidentaux ne veulent plus voir leurs soldats revenir dans des body bags. Passe encore quand il s’agit de défendre des intérêts économiques et stratégiques majeurs, mais pas pour sauver des peuples en guerre civile permanente. Ils veulent bien donner de l’argent, mais c’est (presque) tout. Cet argent, l’ONU le reverse ensuite aux soldats des pays pauvres comme le Pakistan, le Bangladesh, l’Uruguay ou le Ghana. En 2002, par exemple, Washington a contribué à hauteur de 28 % (2,4 milliards de dollars) au financement des missions onusiennes de paix. Pressés de toutes parts d’intervenir militairement au Liberia, les États-Unis n’ont pas cédé, se contentant de payer 26 millions de dollars pour l’appui au déploiement des forces de la CEDEAO.
Les opérations de maintien de la paix constituent donc une source de revenus appréciable pour les pays du Sud. Les Casques bleus sont rémunérés en fonction de leur rang dans leur armée d’origine. En outre, l’ONU dédommage les États contributeurs à hauteur de 1 100 dollars par soldat et par mois. Elle les indemnise pour les équipements fournis avec les bataillons. La location des hommes et de leurs armes peut donc se révéler une bonne affaire.
Outre ces considérations matérielles, il y a bien sûr le prestige que confère la participation régulière à des opérations de maintien de la paix. Cette motivation est d’ailleurs mise en avant par les fidèles contributeurs comme le Bangladesh, l’Uruguay ou l’Afrique du Sud. Qui insistent surtout sur ce que cela leur coûte en sus : les frais d’acheminement des soldats ne sont pas indemnisés. Pour l’Afrique du Sud, qui intervient massivement dans les crises africaines (notamment avec un effectif de 1 400 personnes en République démocratique du Congo), il s’agit aussi d’accroître son influence diplomatique. Ce pays ne s’engage pas, en effet, pour des raisons financières, mais bien pour asseoir son rôle de puissance continentale.
Quelle que soit la motivation, l’engagement est cependant à saluer. Car le port du casque bleu est un geste risqué : de 1948, date de la première opération, au 31 août 2003, 1 832 soldats de l’ONU ont perdu la vie, dont 31 en 2003.

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