L’état d’exception n’en finit pas

Initialement souhaitée pour cette année, l’élection présidentielle ne devrait pas être organisée avant 2005. Et la candidature de l’actuel chef de l’État, José Eduardo Dos Santos, fait de moins en moins de doute.

Publié le 5 janvier 2004 Lecture : 6 minutes.

La cause est entendue : il n’y aura pas d’élections en Angola avant 2005. L’annonce en a été faite par le président lui-même, José Eduardo Dos Santos, le 27 octobre dernier. « L’organisation du scrutin est complexe, du fait des décennies de combats que nous avons connues », a-t-il ajouté. L’« état d’exception », qui dure depuis les élections interrompues de 1992, va donc être maintenu. Et ce, en dépit de la fin officielle, le 4 avril 2002, d’une guerre qui gardait le pays dans un état de « latence démocratique ». Lassées d’attendre, les petites formations politiques réunies dans une structure commune – dite Partis de l’opposition civile (POC) – ont réagi à la déclaration du chef de l’État. Par la voix de Paulino Pinto João, son président, le POC a manifesté son désaccord dès le 29 octobre. Joignant le geste à la parole, il a fait parvenir à Dos Santos un « document écrit », qui propose la tenue des élections en septembre 2004. Non sans fustiger l’absence de concertation entre les partis politiques et le retard accusé dans la création d’un nouveau Conseil national électoral (CNE), organe indépendant ayant pour mission de préparer et de surveiller le déroulement des scrutins.
Reste que l’organisation d’une consultation en 2004 semble techniquement peu probable. Le président du défunt CNE (dissous après les élections de 1992), Caetano De Sousa, le confiait le 1er novembre dernier : « L’échéance avancée par le POC est irréaliste. L’année 2004 ne suffit pas pour mettre en place les instruments légaux et matériels requis par des élections. On ne peut, à mon avis, y arriver avant fin 2005. » Les règles du jeu ne sont en effet pas encore au point. L’Assemblée nationale n’a pas fini d’élaborer la nouvelle Constitution, et n’a pas encore planché sur la révision de la loi électorale. Une fois rédigés, ces textes doivent être débattus, adoptés par les députés, soumis à référendum pour ce qui concerne la loi fondamentale…
Mais le problème majeur réside dans le recensement de la population et la constitution des listes électorales. L’Angola compte 13 millions d’habitants, disséminés sur un territoire de 1 200 000 km2. Immense. Le tiers de la population est constitué de personnes déplacées, chassées de leurs villes et villages par les atrocités d’une longue guerre civile. Routes, ponts, installations ferroviaires, électriques et téléphoniques ont été ravagés. L’état civil est quasiment inexistant. L’administration ne s’est jamais déployée dans les provinces du Sud et de l’Est, longtemps occupées par la rébellion de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita). Depuis la fin de la guerre, cent mille ex-combattants et leurs familles sont cantonnés dans des camps.
Tout reste donc à faire pour créer les conditions minimales d’élections. Il convient d’abord de reloger les personnes déplacées, de les pourvoir en papiers permettant de les identifier, de viabiliser les routes et outils de communication pour acheminer le matériel et les résultats électoraux. Un chantier d’autant plus vaste que 13 millions de mines antipersonnel auraient été anarchiquement semées sur les voies, dans les champs, aux alentours des cours d’eau… Des obstacles tels qu’ils faisaient déjà douter de nombreux observateurs de la tenue d’élections en 2004. Alors, pour 2005, il faudra attendre d’y être pour le croire…
Si les préparatifs des futures consultations avancent peu, les candidats potentiels, eux, ne chôment pas. Après avoir déclaré, en août 2001, ne pas entendre briguer sa propre succession, José Eduardo Dos Santos, au pouvoir depuis 1979, semble bel et bien dans les starting blocks. Et le suspense sur sa participation à la future présidentielle ne cesse de s’effriter. Le 4 novembre dernier, lors d’une conférence de presse clôturant la visite de trois jours en Angola du président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, il n’a pu éviter d’être interrogé sur son éventuelle candidature. « Il n’y a pas encore de décision définitive, a-t-il répondu. Cette question est à l’étude au sein de mon parti, le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA). »
Certes, aucun observateur averti de la vie politique angolaise n’avait pu croire un seul instant au retrait du chef de l’État. D’aucuns ont même cru que tout cela relevait d’une manoeuvre pour faire sortir du bois ses rivaux, surtout au sein de son parti. Pour couper court aux querelles de succession qui commençaient à se faire jour, Norberto Dos Santos, secrétaire à l’Information du MPLA, déclarait d’ailleurs le 11 décembre 2002 : « Eduardo Dos Santos est le candidat naturel de notre parti aux futures élections. » Les choses commençaient donc à se préciser, d’autant que, dès l’annonce de son retrait, la Fondation Eduardo Dos Santos (Fesa) et le Mouvement spontané, deux organes de la mouvance présidentielle, se sont emparés de la rue et des médias publics pour « appeler le chef de l’État à se présenter ».
Pour mettre toutes les chances de victoire du côté de son candidat, le MPLA s’est mis en ordre de bataille. Il a tenu, du 6 au 9 décembre, le Ve congrès de son histoire, et réélu Dos Santos à sa tête. Un événement que João Lourenço, le secrétaire général du parti, voulait marquant : « Le premier à avoir lieu dans un contexte de paix effective et de rupture avec le centralisme démocratique annoncée en mai dernier par le leader du MPLA, José Eduardo Dos Santos. » Le congrès entend introduire plus de démocratie dans le parti et dégager la stratégie à mettre en oeuvre, dans la perspective des échéances électorales. Comme pour imiter son principal rival, l’Unita, l’ancienne rébellion reconvertie en parti politique.
Le mouvement de Jonas Savimbi, mort sous les balles le 22 février 2002, a administré une belle preuve de démocratie interne à l’occasion de ses assises de juin 2003, les premières après la disparition de son fondateur. Elles ont vu Isaias Samakuva battre le président par intérim Paulo Lukamba Gato. Aujourd’hui à la tête de la formation d’opposition non violente, Samakuva fait tout pour qu’elle soit prête à la date des élections. Mais le chantier – transformer un mouvement armé en un instrument de conquête du pouvoir dans un cadre démocratique – est énorme. Et c’est sans doute pour cela que le nouveau président de l’Unita est moins pressé d’aller aux élections que les leaders du POC, structure dont l’Unita ne fait pas partie. Juin 2005 semble donc lui convenir.
Pour venir à bout du parti-État qui tient le pays depuis son indépendance, proclamée le 11 novembre 1975, l’Unita est déterminée à jouer à fond ses cartes. Elle compte mobiliser les 40 % de l’électorat qu’elle revendique (équivalant au poids démographique de l’ethnie de Savimbi, établie dans la région des Hauts-Plateaux, au centre du pays). Puis, comme promis par sa nouvelle direction, élargir sa base en proposant aux Angolais une véritable alternative.
Mais le parti, traditionnellement soumis à l’autorité sans partage de Savimbi, est sorti avec des séquelles de son « baptême du feu » démocratique de juin dernier. La bagarre électorale fratricide entre Samakuva et Gato a créé une brèche au sein du mouvement, et donné naissance à des tendances. La rudesse de la compétition a créé des ressentiments. Les membres du « clan Gato » se plaignent de plus en plus ouvertement d’être aujourd’hui complètement écartés des instances dirigeantes et des postes au siège flambant neuf du parti, ouvert à Maianga, dans la capitale, en août dernier. Si Paulo Lukamba Gato a déjoué les projections qui le voyaient à la tête d’une formation dissidente, l’Unita doit reconstituer l’« unité des coeurs » avant les prochaines batailles électorales.
Mais l’hypothèque la plus sérieuse au processus électoral réside dans les plaies non encore cicatrisées de la guerre. La plupart des ex-combattants de l’Unita, soumis à de désastreuses conditions de vie dans des camps, demeurent une réelle source d’incertitudes. D’autant que les armes, qui ont crépité durant près de trois décennies, circulent encore par milliers.

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