« L’Angola mérite plus de compréhension ! »

Un an après sa nomination au poste de ministre des Finances, José Pedro de Morais Jr détaille l’état dans lequel se trouve l’économie du pays.

Publié le 5 janvier 2004 Lecture : 6 minutes.

José Pedro de Morais Jr, 48 ans, a déjà eu une carrière bien remplie dans la fonction publique. Diplômé d’économie de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, il fut secrétaire d’État à l’Équipement (1991-1992) puis au Plan (1993) ; ministre de la Coordination, du Plan et de l’Économie (1994 -1995) et ministre du Plan (1995-1996). Il a ensuite fait un passage au Fonds monétaire international (1996-2000), qu’il quittera avec le titre de directeur exécutif pour les pays d’Afrique australe. Juste avant d’être nommé ministre des Finances, en décembre 2002, il occupait la fonction de coordinateur de la commission de restructuration de l’Entreprise nationale d’assurance d’Angola (Ensa).

Jeune Afrique/l’intelligent : L’économie angolaise suscite bien des questions. Dans quel état se trouve-t-elle exactement ?
José Pedro de Morais Jr : Notre économie est globalement dans une phase de stabilisation. Le retour de la paix, en avril 2002, y est pour beaucoup. Cette année, le gouvernement a intensifié les réformes. De nouvelles règles ont été adoptées pour encadrer l’exécution des dépenses publiques : aucune sortie d’argent n’est possible si elle ne figure pas dans la programmation financière. Il y a aussi une meilleure coordination entre le Trésor public et la Banque centrale, qui gère la politique monétaire.
J.A.I. : Mais les bailleurs de fonds vous reprochent toujours une gestion peu orthodoxe de vos ressources…
J.P.D.M.Jr : Cela relève du fantasme. Nous avons un Produit intérieur brut (PIB) de 13 milliards de dollars (11 milliards d’euros) et des recettes annuelles de l’ordre de 4,5 milliards de dollars, dont 3,5 milliards proviennent du pétrole. Un tiers de nos ressources sert chaque année à rembourser nos dettes garanties par des flux pétroliers. Des dettes que nous sommes obligés d’honorer.
J.A.I. : en est cette dette ?
J.P.D.M.Jr : Elle s’élevait à 8 milliards de dollars en 1998. Depuis, le Club de Paris exige la conclusion d’un programme avec le Fonds monétaire international (FMI) avant d’accepter un rééchelonnement. Pendant la guerre, on ne nous en a accordé aucun et notre dette s’est accrue. De sorte que les deux tiers de ce que doit l’État angolais sont composés d’intérêts, et d’intérêts des intérêts. En plus du service de la dette, le budget national est grevé par l’augmentation de la masse salariale et des besoins de financement, du fait de la réinsertion des ex-combattants et des dépenses de la reconstruction. Voilà pourquoi nous recherchons des ressources additionnelles auprès des institutions de Bretton Woods.
J.A.I. : Des institutions qui ne cessent de vous interpeller sur l’opacité de la gestion des recettes pétrolières…
J.P.D.M.Jr : Il est vrai que, pendant les années de guerre, le gouvernement a puisé dedans pour assurer la défense et maintenir la consommation. En raison du secret-défense, on ne pouvait pas divulguer les informations concernant les dépenses, ce qui ne signifie nullement qu’il y avait mauvaise gestion. Aujourd’hui, notre appareil financier fonctionne de façon moderne et respecte les normes internationales. Et nous avons pris des mesures énergiques pour permettre plus de transparence. L’étude-diagnostic du secteur pétrolier, réalisée par le cabinet KPMG, est diffusée sur le site Internet de l’ambassade d’Angola aux États-Unis. Ce n’est qu’un début. Le gouvernement a décidé de publier, à partir de 2004, tous les rapports du FMI sur les fondamentaux de notre économie. Nos prévisions de recettes pour 2004 figurent déjà sur le site de cette institution. C’est dire notre volonté de ne rien cacher.
J.A.I. : Qu’est-ce qui est fait au quotidien pour lutter contre la corruption et réduire le train de vie de l’État ?
J.P.D.M.Jr : De quoi parle-t-on quand on évoque la corruption en Angola ? Où est la morale des multinationales européennes et américaines qui profitent de la faiblesse de nos institutions pour corrompre les agents de l’État, faire toujours plus de profits ? Nous avons néanmoins compris la nécessité de renforcer les institutions. Le tribunal des comptes, créé en 2002, est entré en pleine activité dès 2003. Il évalue au préalable les dépenses budgétaires et vérifie leur exécution en aval. Au niveau du ministère des Finances, nous avons renforcé les règles d’exécution budgétaire. Nous ne payons aucun fournisseur qui fait une prestation pour une administration ne disposant pas de dotation à cet effet.
J.A.I. : Pourquoi, alors, les rapports successifs du FMI contiennent-ils autant de reproches ?
J.P.D.M.Jr : Les rapports de mes anciens collègues du FMI révèlent quelquefois une dose d’irresponsabilité. Ils ne peuvent pas présumer d’une mauvaise gestion dès qu’il leur manque des informations sur des sujets donnés. Les gens du FMI ont fourni trop de fausses données sur l’économie angolaise. Et puis ces institutions sont trop exigeantes. Alors que le pays sort d’une guerre, le FMI demande, avant la signature du moindre programme, que nous ramenions les taux d’inflation et de change à des niveaux stables.
J.A.I. : Y a-t-il des perspectives de dégel ?
J.P.D.M.Jr : En août dernier, le FMI a publié un rapport sur la base d’une mission de revue qu’il a effectuée à Luanda, en mai 2003. On peut y lire que le gouvernement angolais atteindra difficilement les objectifs qu’il s’est fixés pour la fin de cette année, à savoir un déficit de 6,5 % du PIB et une inflation annuelle de 65 %. J’ai tendance à rétorquer que l’Angola est plus proche de ces buts que ne l’est la France des critères du « pacte de stabilité » de l’Union européenne. Nous persistons toutefois à penser que nos rapports avec les institutions de Bretton Woods vont s’améliorer. L’Angola mérite plus de compréhension ! Ses efforts de transparence doivent être reconnus. L’aide au développement baisse, la globalisation marginalise les pays pauvres, notre pays vit sur fonds propres depuis la fin de la guerre froide, l’assistance en provenance des anciens pays socialistes s’est arrêtée avec la chute du mur de Berlin. Nous devons être regardés différemment, comme une nation qui a des ressources et une volonté de se moderniser.
J.A.I. : Qu’est-ce qui a changé dans le quotidien des Angolais depuis la fin de la guerre ?
J.P.D.M.Jr : L’inflation diminue. Elle devrait se situer autour de 2 % en juillet 2004, contre 7 % mensuels durant les mauvaises années. Depuis le retour de la paix, nous dépensons annuellement 2 milliards de dollars pour prendre en charge les personnes déplacées et faire tourner l’administration dans les anciennes zones de conflit.
J.A.I. : Justement, comment avance le dossier de la reconstruction ?
J.P.D.M.Jr : Les infrastructures de notre pays sont détruites, nous avons entre les bras cent mille combattants et leurs familles à réinsérer. Dans leurs sites d’origine, les champs sont minés. Le chantier de la reconstruction est jusqu’ici entièrement financé par l’État. Nous avons réhabilité des routes et des ponts pour améliorer la circulation à l’intérieur du pays. Afin de relancer l’économie, nous viabilisons les zones privilégiées d’agriculture et les systèmes d’irrigation. Sur le volet social, nous apportons une aide humanitaire et construisons écoles et cases de santé. Tout cela coûte 2 milliards de dollars par an, que nous prêtent les marchés de capitaux aux conditions en vigueur.
J.A.I. : Et qu’en est-il de la réinsertion professionnelle des combattants ?
J.P.D.M.Jr : Cinq mille ex-soldats de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita) ont été intégrés dans le corps des enseignants de la fonction publique. Trois mille autres ont été versés dans celui des infirmiers. Ces deux mesures ont porté la masse salariale publique de 30 % à 40 % des recettes budgétaires, entre 2002 et 2003.
J.A.I. : Mais la pauvreté reste forte…
J.P.D.M.Jr : Elle est liée aux structures actuelles. Si nous réussissons à dégager l’accès aux zones de production et à relier les principaux lieux de consommation, comme Luanda, à des pôles de production ruraux, il n’y aura plus de pauvres ! Le phénomène était lié à la guerre, il finira par s’éteindre avec la reprise de la production. La pauvreté urbaine est visible à Luanda, certes, mais pas dans les zones rurales. Et puis, tout ce qui a trait à l’Angola a tendance à être exagéré… En 1999, aux négociations de paix de Bicesse, on nous avait dit qu’on pouvait trouver sur notre sol 13 millions de mines antipersonnel. Un chiffre surréaliste. De même, affirmer que 70 % des Angolais vivent en dessous du seuil de pauvreté est manifestement exagéré. Nous avons une côte de 1 600 km riche en poisson et des zones de production immenses. Il suffit, pour éradiquer la pauvreté, de stabiliser la macro-économie et de permettre la production par la réhabilitation des infrastructures.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires