La guerre est-elle finie ?

Publié le 5 janvier 2004 Lecture : 6 minutes.

Le dernier rapport de l’International Crisis Group (ICG), paru le 28 novembre 2003, s’intitule « Côte d’Ivoire : la guerre n’est pas encore finie ». Il se révèle, au fil des pages, bien pessimiste. Le préambule met l’accent sur la petite phrase prononcée par le général Mathias Doué, chef d’état-major, le 15 novembre dernier : « La guerre pourrait reprendre à n’importe quel moment. » Une déclaration ayant entraîné la mise en place de l’état d’urgence dans la zone Nord, sous contrôle des Forces nouvelles (ex-rebellion). Le pays serait donc assis sur un baril de poudre ?
Premiers fauteurs de troubles, répond l’ICG : les accords de paix de Linas-Marcoussis, signés en janvier 2003. Ils n’ont pas apporté de réponse adéquate et durable aux problèmes du pays mais ont, au contraire, généré des frustrations considérables, notamment chez les ex-rebelles, qui n’ont pu exercer la totalité des pouvoirs qui leur avaient été concédés. De son côté, la mouvance présidentielle a calculé, avec raison, qu’une stricte application des accords pourrait conduire à une défaite de Laurent Gbagbo à l’élection présidentielle de 2005. Celui-ci a donc cherché par tous les moyens à gagner du temps, pariant sur les divisions internes aux Forces nouvelles, en particulier entre militaires et politiques, susceptibles de conduire à sa désagrégation.
« Les commandants locaux s’affranchissent de plus en plus souvent du commandement central et se comportent comme des chefs de guerre, voire carrément comme des bandits », estime l’ICG. L’incident du 19 décembre, à Bouaké, vient le confirmer. Ce jour-là, Bamba Kassoum, dit « Kass », un rebelle aux positions très « radicales », et ses hommes de la « Cobra force », ont bloqué la voiture de Guillaume Soro, ministre de la Communication et secrétaire général du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), et l’ont menacé d’une arme.
Si aucun coup de feu n’a été tiré, ce n’est pas toujours le cas. Au Nord comme au Sud, la distribution d’armes à la population et le recrutement de milliers de jeunes gens ont conduit à une recrudescence de la violence. Les rancoeurs politiques se sont mêlées aux conflits interethniques et aux règlements de comptes. Cette situation d’insécurité entraîne toujours de nombreux déplacements de populations. D’après des données produites par le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), l’ICG dit que « fin juillet 2003, sur l’ensemble du territoire, le nombre de personnes déplacées se situe entre 700 000 et 1 million. Selon des chiffres communiqués par le gouvernement burkinabè, 250 000 ressortissants ont dû quitter la Côte d’Ivoire en dépit du fait qu’ils y avaient vécu toute leur vie. Au centre du pays, les tensions sont toujours vivaces entre immigrés et Ivoiriens de souche. »
Dans la zone Sud, la « jeunesse patriotique » ultranationaliste s’organise en milices urbaines. « Dans la zone gouvernementale, écrit l’ICG, les membres de l’opposition appartenant au Rassemblement des républicains [RDR], les nordistes et les émigrés du Burkina et du Mali ont été victimes d’une campagne de violence, d’extorsion de fonds, d’arrestations et d’assassinat de la part des forces loyalistes de sécurité et de leurs milices civiles ainsi que de groupes de défense informels. » L’augmentation du nombre des « milices tribales » et leur idéologie de « nettoyage ethnique » ouvertement affichée représentent « le développement le plus inquiétant jusqu’ici », conclut le texte, mettant enfin à l’index les médias qui « ont joué un rôle central dans ce processus de radicalisation ».
La division physique entre le Nord et le Sud a cristallisé un clivage politique entre populations qui existait bien avant la guerre. Le principal défi de la réconciliation sera non seulement de rétablir l’autorité de l’État, de démobiliser et de réinsérer les combattants, mais aussi de surmonter cet antagonisme entre nordistes et sudistes, qui s’est enraciné et qui se maintient aujourd’hui quel que soit l’endroit géographique où chacun vit.
Car pour l’ICG, la crise en Côte d’Ivoire est avant tout politique. Elle est non seulement une contestation du pouvoir en place, mais surtout un désir de voir redéfinir les notions de « citoyen ivoirien » et « d’identité nationale ». C’est bien « l’ivoirité » qui est au coeur du conflit. Le président Gbagbo a parfaitement compris cette donnée dès le début de la guerre. Il a plusieurs fois rappelé que c’était « la souveraineté de la nation » qui était attaquée, d’abord par les rebelles, puis par les accords de Marcoussis. Son point de vue est partagé par une grande partie de la population, pour laquelle ce texte représente aussi une forme de retour sous la domination française.
Pour l’ICG, les hommes qui ont travaillé à Marcoussis ont négligé de prendre en compte l’aspect sous-régional du conflit. En effet, les dirigeants du MPCI, premier groupe de rebelles à s’être fait nommément connaître, ont préparé le coup d’État pendant leur exil au Burkina Faso. Selon le rapport, le président Blaise Compaoré était informé des préparatifs. Entre décembre 2002 et mars 2003, les enquêteurs de l’ICG ont interrogé des membres des services de renseignements occidentaux, qui leur ont révélé que des armes en provenance de Ouagadougou avaient été livrées par avion et par camion à Bouaké, et que des commandes de missiles sol-air – qui ne semblent pas avoir été honorées – avaient été passées auprès d’un pays d’Europe de l’Est.
L’ICG met également l’accent sur la situation dans l’ouest de la Côte d’Ivoire et sur le rôle du président libérien Charles Taylor, aujourd’hui déchu. Celui-ci aurait contribué à la création du Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest (Mpigo) pour se protéger d’éventuelles incursions du MPCI sur son territoire. En effet, ce dernier recrutait de nombreux combattants libériens dans les camps de réfugiés au Ghana, hostiles à Taylor. Tout comme le camp présidentiel, soutenu dans l’ombre par les États-Unis désireux d’accentuer la pression sur Taylor, s’est adjoint les services de soldats krahns appartenant à la rébellion libérienne.
Aujourd’hui, la région semble débarrassée de tous les groupes de combattants libériens et sierra-léonais, mais l’ICG note que « de nouveaux rapports, non confirmés, font état de contacts entre les responsables des Forces nouvelles et les chefs de guerre de l’ancien parti de Charles Taylor. Il est hautement probable que lesdites Forces nouvelles ne restent pas inactives puisque, de son côté, Gbagbo continue de soutenir et d’armer le Model ». Ce Mouvement pour la démocratie au Liberia, qui combattit Taylor, serait ainsi susceptible de se diriger rapidement vers le Nord ivoirien si la guerre reprenait.
L’ICG appuie aussi sa démonstration concernant le risque de guerre sur la déclaration conjointe des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (FANCI) et des Forces nouvelles pour l’arrêt total de la guerre, parue dans la presse ivoirienne le 4 juillet 2003. « Elle contient en germe une menace de coup d’État », conclut le rapport, car les FANCI se sont réarmées de façon considérable et pourraient utiliser ce stock à leurs propres fins. D’après les chiffres fournis par la Banque mondiale, le président Gbagbo a consacré 150 millions de dollars à l’achat d’armes depuis mars 2003, ce qui ne correspond nullement à une logique de réconciliation.
En conclusion, et avant de donner ses recommandations pour restaurer une paix durable, l’ICG note que « l’équilibre actuel est fragile. […] L’aile dure du parti du président Gbagbo, ses jeunes supporteurs patriotes ainsi que les chefs rebelles laissés l’arme au pied peuvent obtenir un soutien populaire contre le processus politique. Une réouverture des hostilités est parfaitement possible. » Un pessimisme appuyé par la longue liste finale des mesures urgentes et indispensables à prendre au cours de l’année.

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