Irak : d’une tragédie l’autre

Publié le 5 janvier 2004 Lecture : 5 minutes.

Est-ce un événement important ? Oui, sûrement, en tant que show international. Mais la capture de Saddam ne change rien aux nouvelles réalités irakiennes. L’État-Saddam est abattu depuis avril dernier. Le pays est sans régime, sans ossature, déboussolé. La population est de nouveau fragmentée, avec des rivalités sans bornes, des appétits de pouvoir qui s’aiguisent, à l’ombre d’une occupation militaire qui a d’autres soucis.
Mais les conditions de son arrestation montrent à quel point cet homme était dépourvu de stratégie. En 1979, avec le tandem Bakr-Saddam, l’Irak faisait des avancées spectaculaires : une économie qui s’organisait, l’instruction et le bien-être pour les masses les plus démunies. Il a suffi que Saddam prît entièrement le pouvoir – dont il détenait déjà la réalité – pour que le pays commençât à s’enfoncer dans des aventures sans fin.
D’abord la guerre contre l’Iran, sous des prétextes sans réelle consistance, pendant huit années qui ont saigné l’économie et la population. Beaucoup croyaient à « un piège » pour enrayer un développement fulgurant qui inquiétait Israël.
Mais, cette guerre enfin terminée, comme par miracle, sans vainqueur ni vaincu, le maître de Bagdad tombe encore dans « un deuxième piège » : l’aventure du Koweït.

Celui-ci l’avait pourtant aidé dans son conflit avec Téhéran. Politiquement, diplomatiquement et économiquement, mais aussi en lui « avançant » des fonds considérables. Il est vrai que, à cette époque, les pays du Golfe craignaient d’être submergés par « la vague khomeiniste ». II n’empêche, le Koweït et l’Arabie saoudite avaient mis tout leur poids pour éviter à l’Irak une défaite honteuse.
Pour remercier le Koweït, Saddam saisit le premier prétexte venu – un supposé complot économique ourdi contre l’Irak – pour envahir l’opulent émirat, l’annexer et y perpétrer des violences odieuses.
Alors qu’il était entouré d’hommes avertis de la politique internationale – qu’il ne consultait guère -, Saddam ne comprenait rien à la politique proche-orientale de Washington. Là aussi, on dit qu’il fut « manipulé », pour lui faire croire le contraire du bon sens. Une fois la gaffe commise, au lieu de saisir la perche que lui tendait le président Mitterrand, il s’entête à faire front et à refuser tout compromis.
Le scénario de 1991 devait se répéter en 2003. Saddam croyait encore à un bluff américain – des déclarations de Tarek Aziz, après son arrestation, l’auraient confirmé. Ce n’était pas du courage, c’était de l’inconscience, une inaptitude, presque congénitale, à appréhender le réel tel qu’il était, et non comme son imagination exaltée le lui donnait à voir.
Saddam, uniquement connecté à son univers bédouin, fit régresser son pays – selon les prévisions-menaces de James Baker – de plusieurs décennies. Il voulait combattre l’Amérique et Israël. Il s’en est pris à des moulins à vent.

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Ses erreurs d’appréciation et ses décisions aventureuses devaient servir les intérêts de ceux-là mêmes à qui il prétendait faire la guerre. Jamais l’Amérique ne fut aussi puissante au Proche-Orient. Jamais la cause palestinienne ne fut aussi mal défendue. À aucun moment, depuis la guerre de 1967, les pays du Machrek n’ont semblé aussi désemparés. Jamais le pétrole arabe n’a paru, comme aujourd’hui, être une damnation, selon un mot célèbre ou, pour continuer dans la même logique du complot, un piège à panthères.
Que pouvait vouloir Saddam en se jetant dans des aventures aussi folles ? Développer son pays ? Défendre la cause palestinienne ? Rééquilibrer les relations et les intérêts avec l’Occident ? Autant d’objectifs pour lesquels – s’il les avait réellement conçus – il aurait pu oeuvrer raisonnablement, éventuellement en concertation avec ses pairs, à la Ligue arabe. Ce qui est certain, c’est qu’il n’a jamais compris la logique implacable du monde où il vivait, laquelle acceptait le débat, mais écrasait sans pitié ceux qui voulaient la casser. Il ne réalisait pas que sa démarche, obstinément catilinaire, était contraire à cette logique et le conduisait à être traité en paria par la société internationale, prêtant le flanc à toutes les suspicions, alimentant les soupçons de ceux qui étaient toujours aux aguets depuis le bombardement du réacteur nucléaire Osirak.
Si, à l’extrême rigueur, on peut lui faire crédit de « bonnes intentions » – le paradis en est pavé, dit-on -, il les a mises en oeuvre de manière à obtenir des résultats inverses. Voulant défendre des causes qu’il considérait comme sacrées, il les a toutes aggravées.
En 1975, un accord avec Téhéran permet à l’Irak un voisinage paisible avec un Iran au faîte de sa puissance militaire. Mais, dès que le chah est renversé, Saddam croit venu le moment de prendre sa revanche. Il n’a probablement pas étudié l’histoire et ne sait pas qu’il est difficile de gagner une guerre contre une révolution. Il oublie que, héritier de l’ancienne Perse, ce pays est connu pour son nationalisme exacerbé.
Des Iraniens « blancs » lui prodiguèrent des encouragements. Il les crut. Ce fut huit ans de massacres, de désolation et de ruines.
Le nombre de veuves à Bagdad ne faisait qu’augmenter. Toutes n’étaient pas des parangons de vertu. Dans les hôtels, flambant neufs, on pouvait en rencontrer. Saddam rageait d’apprendre que des riches Koweïtiens venaient y prendre du bon temps. De là, chez Saddam le Bédouin, une rancune tenace. Très à cheval sur certains principes, il fit une fixation sur les Koweïtiens en général, qui, disait-il, attentaient à l’honneur du peuple irakien en guerre. Pas moins !
Cet abcès de fixation va évoluer et mûrir, au fur et à mesure des informations qu’on apportait au maître de Bagdad, sur des propos prêtés à des responsables koweïtiens sur l’Irak et ses gouvernants. Des demandes de fonds non satisfaites vont encore envenimer les relations. Et voilà le Koweït soupçonné – que dis-je ? – accusé de comploter avec l’Amérique et Israël, pour provoquer un effondrement des prix du pétrole, fatal à l’économie irakienne.

Le caractère rogue de certains négociateurs envoyés par le Koweït à la réunion de Djeddah finit par mettre Saddam hors de lui. Il informe ses proches collaborateurs de sa décision d’envahir l’« arrogant » voisin, d’autant que l’ambassadrice US lui aurait laissé croire à une neutralité américaine, en cas de conflit – c’est du moins ce qu’il avait compris. Personne n’ose discuter sa décision. Et c’est là le début de l’engrenage infernal qui va le conduire à la catastrophe de 1991 et, une décennie plus tard, à la chute de son régime et à l’opprobre qui accompagne aujourd’hui sa sortie du théâtre politique.
Saddam a mené une politique de gribouille qui a ruiné l’Irak. Quel destin tragique que celui de ce pays malchanceux, voué à des malheurs répétés !
Quant à Saddam, quelle tragi-comédie soulignée par ces images, diffusées dans le monde entier, le montrant en despote de carton-pâte, hirsute et – apparemment – résigné au sort qui l’attend !

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