Entre Paris et Ispahan

Organisateur du Festival du cinéma iranien à Paris, le critique Mamad Haghigat vient de réaliser son premier long-métrage.

Publié le 5 janvier 2004 Lecture : 3 minutes.

Rue Champollion, venelle cinéphile du 5e arrondissement de Paris, Mamad Haghigat est une figure familière. Les passants le saluent. Les fidèles du Quartier-Latin, la salle qu’il dirige depuis 1988, le taquinent : « Maintenant que tu es passé derrière la caméra, on se demandait si on allait te retrouver derrière ton guichet ! »
À plus de 50 ans, Mamad Haghigat, critique, exploitant et spécialiste reconnu du cinéma iranien, vient de « commettre » son premier long-métrage : Deux Anges. Hymne à la musique et à la liberté mais aussi illustration de l’éternel conflit générationnel, ce film, partiellement autobiographique, sorti en France le 19 novembre, Haghigat le portait depuis longtemps en lui. Ali, le personnage principal, est un peu le double du réalisateur, qui, à l’instar de son héros, nourrit pour l’art, et en l’occurrence le cinéma, une passion que son géniteur réprouvera violemment. Ce qui ne l’empêchera pas de tourner des courts-métrages, entre 1969 et 1975, ni de créer un ciné-club en 1971, à Ispahan, sa ville natale, pour y diffuser des films « hors normes ».
Né en 1951, ce cinéaste s’est formé sur le terrain. Sa première rencontre avec le cinéma ? « J’étais très jeune, un ami m’a emmené voir Dracula en plein air. J’ai eu très peur et je me suis dit que je n’y retournerais plus… mais en même temps j’éprouvais une attirance. J’y suis retourné et c’est devenu une drogue », se souvient celui qui, petit, rêvait de devenir comédien. En 1977, il débarque à Paris dans l’idée de faire une cure à la cinémathèque française, « la meilleure du monde », et de rentrer chez lui. Mais même à raison de quatre films par jour, il se rend compte que quelques mois ne suffiront pas pour tout voir. Il s’inscrit à la faculté afin de pouvoir prolonger son séjour en France. En 1983, il crée à Paris le Festival du film iranien, qui contribuera à faire connaître les Makhmalbaf et autres Kiarostami, et devient une sorte d’ambassadeur du cinéma persan dans son pays d’adoption. Pas moins de quinze éditions ont lieu, mais la manifestation est finalement suspendue, notamment « parce que les films iraniens intéressants étaient déjà achetés par des distributeurs ». Parallèlement, il collabore à la revue Film, publiée à Téhéran, signe des sous-titrages et, bien entendu, s’abreuve goulûment d’images. Il publie aussi une Histoire du cinéma iranien (éditions BPI du Centre Pompidou).
Ce n’est qu’en 1990, après treize ans d’absence, qu’il remet les pieds en Iran, en quête de nouveaux talents à sélectionner pour différents festivals, dont celui de Cannes. C’est le choc ! « Tout avait changé et tout était triste. Les gens étaient déçus par la révolution et fatigués par les années de guerre. »
Critique devenu réalisateur, il explique : « Chaque fois que je visionne un film, je recrée ma propre version. Je refais le montage avant de le chroniquer. Un beau jour, je me suis dit que je ne pouvais plus renvoyer aux calendes grecques mon projet de tourner et de savoir si j’étais moi-même capable de réaliser un film intéressant. » Inspiré d’une légende persane, son premier opus est nimbé d’une poétique beauté qui n’agacera que ceux qui ne jurent que par Matrix. Pourtant, à ce jour, Deux Anges n’a pas encore obtenu le visa permettant sa distribution en Iran. Reste à savoir si cet homme, qui s’est tant démené pour promouvoir à l’étranger le cinéma iranien, réussira à distribuer son film dans son propre pays.

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