Des assassins au Parlement

Publié le 5 janvier 2004 Lecture : 3 minutes.

Imagine-t-on le parti Baas être autorisé à participer à la consultation populaire que les autorités américaines finiront bien par organiser en Irak ? Et Saddam Hussein être triomphalement élu au Parlement en compagnie d’une poignée de séides sanguinaires ? Absurde, bien sûr, mais c’est pourtant ce qui vient de se passer en Serbie lors des élections législatives du 28 décembre.
Chantres de la Grande Serbie et maîtres d’oeuvre de l’épuration ethnique en Croatie (1991-1995), en Bosnie (1992-1995) et au Kosovo (1998-1999), l’ancien président Slobodan Milosevic et son vieil ami Vojislav Seselj sont aujourd’hui accusés de crimes de guerre par le Tribunal pénal international (TPI) et détenus à la prison de Scheveningen, aux Pays-Bas. Leurs procès étant en cours d’instruction, la loi serbe les autorise, au nom de la présomption d’innocence, à solliciter les suffrages des électeurs. La liste du Parti socialiste (SPS) conduite par Milosevic a obtenu 7,6 % des voix et 22 sièges sur 250. Et celle du Parti radical (SRS) emmenée par Seselj, 27,3 % des voix et 81 sièges, ce qui en fait la première formation du pays.

Sur le plan strictement politique, cette victoire des ultranationalistes est sans doute moins inquiétante qu’il n’y paraît : les partis (plus ou moins) démocratiques conservent la majorité absolue des suffrages et des sièges. Les plus importants sont le Parti démocratique de Serbie (DDS) du président Vojislav Kostunica (17,8 % des voix, 53 sièges) et le Parti démocratique (DS) de l’ancien Premier ministre Zoran Djindjic (12,7 %, 37 sièges). À terme, une évolution du système vers un modèle de type européen paraît sinon inéluctable, au moins probable. Même la direction du SPS est aujourd’hui social-démocrate et pro-européenne et ne s’est résolue à confier la direction de sa liste à Milosevic que dans l’espoir de grappiller des voix dans les franges extrémistes de l’électorat. Du coup, l’ancien dictateur, qui n’a jamais cessé d’intervenir dans le débat électoral par l’intermédiaire de sa famille et de ses avocats, joue ouvertement la carte Seselj.
Sur le plan moral, c’est évidemment une autre histoire. Que des assassins avérés puissent siéger à l’Assemblée nationale avec le soutien de 40 % de l’électorat est évidemment choquant – pour dire le moins. Seselj n’appelait-il pas naguère ses partisans à « égorger les Croates non avec des couteaux, mais avec des petites cuillères rouillées » ?
Les motivations des électeurs ultranationalistes paraissent de trois ordres.

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1. Ils ont le sentiment que les responsables croates et musulmans sont traités par la justice internationale avec davantage d’indulgence que les Serbes. De manière générale, deux Serbes sur trois sont, selon les sondages, hostiles au TPI, considéré comme une atteinte à leur souveraineté nationale. Même le président Kostunica, tout démocrate qu’il soit, partage ce point de vue.

2. Ils réagissent de manière primaire, sans doute, mais somme toute compréhensible, à la dramatique détérioration de la situation économique. En dépit d’une aide massive des États-Unis, de l’Union européenne et des institutions financières internationales, le chômage touche 32 % de la population active et la production fléchit inexorablement (- 4 % par an).
3. Ils manifestent leur exaspération face aux divisions des partis démocratiques et à la corruption qui gangrène le système. De ce point de vue, la responsabilité de Djindjic est écrasante. Nommé à la tête du gouvernement après la victoire de son parti aux législatives de décembre 2000, il engagera diverses réformes, lancera une vague de privatisations – dans des conditions de transparence plus que douteuses – et entreprendra de composer avec la communauté internationale, perdant du même coup le soutien de Kostunica. Démagogue peu regardant sur les moyens de sa politique, il choisira, dans un premier temps, de s’appuyer sur les mafias locales, ce qui lui vaudra, dès qu’il entreprendra de se retourner contre elles, d’être assassiné.
Les États-Unis, qui jouent en sous-main un rôle considérable dans la politique intérieure serbe et s’efforcent péniblement d’unifier les rangs démocrates, ont d’abord appuyé l’incommode Kostunica, avant de le lâcher au profit de Djindjic. C’était un très mauvais choix, mais, par les temps qui courent, le chef de l’État n’a pas vraiment le profil idéal pour séduire les Américains : nationaliste intransigeant, il se réclame volontiers du général de Gaulle !

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